Le soulagement après les frappes israéliennes en Iran

Tel-Aviv et Téhéran veulent éviter l’escalade après des explosions dans la province ultrasensible d’Ispahan, dans le centre de la république islamique.
Garance Le Caisne
À Kiryat Malachi, le 16 avril, une soldate israélienne devant un missile iranien, tombé le 13 avril.
À Kiryat Malachi, le 16 avril, une soldate israélienne devant un missile iranien, tombé le 13 avril. (Crédits : LTD / GIL COHEN-MAGEN/AFP)

Le volubile et va-t-en-guerre Benyamin Netanyahou reste étonnamment silencieux depuis deux jours. Alors que tous les observateurs et des médias américains attribuent à Israël les explosions qui ont retenti vendredi à l'aube près d'une base militaire iranienne, le Premier ministre israélien se tait.

Lire aussiAttaque contre Israël : les Etats-Unis menacent de renforcer les sanctions qui pèsent sur l'Iran

Comme s'il fallait minimiser l'importance de ces attaques nocturnes à Tabriz et dans la province d'Ispahan, dans le centre du pays, région ultra-sensible qui abrite le centre de technologie nucléaire du régime des mollahs mais aussi, entre autres, une usine de production de munitions et une autre de zirconium, métal utilisé dans l'industrie nucléaire. Ces attaques seraient en fait la réponse attendue israélienne au déferlement de drones et de missiles iraniens lancés sur l'État hébreu le week-end dernier.

Une agression chorégraphiée

Une riposte comme dans un miroir inversé. Téhéran avait prévenu soixante-douze heures à l'avance de son agression sans précédent mais parfaitement chorégraphiée, les 350 engins s'approchant du territoire israélien après plusieurs heures de route, pratiquement tous interceptés par les Israéliens dans un ballet de feu ou arrêtés par les Américains et leurs alliés. Tel-Aviv, lui, aurait fait partir quelques drones depuis le sol iranien, s'abstenant de les envoyer depuis son propre territoire et se gardant aussi de revendiquer l'opération.

« Il faut demeurer très prudent mais il semble que les "engins volants" puissent être partis depuis l'Iran, analyse David Rigoulet-Roze, enseignant chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Ce ne serait pas la première fois. Fin janvier 2023, une opération attribuée au Mossad avait été menée de l'intérieur de l'Iran avec des drones quadricoptères. Ils avaient visé une usine de production de drones et de missiles dans la même province d'Ispahan. »

Le silence de Tel-Aviv permet aux Iraniens de nier l'importance de l'attaque de vendredi, le ministre iranien des Affaires étrangères affirmant même qu'il n'avait pas « été prouvé qu'il existe un lien entre ces événements et Israël ». Mais les deux pays ennemis ont fait passer leur message. Les Iraniens ont prouvé qu'ils n'accepteraient plus des attaques israéliennes sur leur sol, comme celle menée contre le consulat iranien à Damas le 1er avril. Le bombardement du bâtiment avait tué deux généraux et des officiers des Gardiens de la révolution iranienne, le bras armé du régime de Téhéran, et a déclenché cet épisode inédit d'affrontements.

 « La logique d'escalade est évitée mais elle est déjà engagée. »

David Rigoulet-Roze, de l'Iris

L'escalade que les Occidentaux et les pays du Proche-Orient redoutaient entre Israël d'un côté et l'Iran et ses proxys (le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais, et les Houthis du Yémen) de l'autre serait donc évitée. Le monde est soulagé. Les pressions de Washington sur Benyamin Netanyahou pour qu'il fasse preuve de retenue auraient fonctionné. Il est vrai que le vote prévu hier à la Chambre des représentants pour accorder une aide de 13 milliards de dollars d'assistance militaire à Israël afin de l'aider entre autres à renforcer son Dôme de fer, le bouclier antimissile, tombait au bon moment.

Le risque d'une erreur de calcul

« La logique d'escalade est évitée pour l'immédiat mais elle est déjà engagée, craint le chercheur David Rigoulet-Roze. Depuis le 7 octobre, tout a changé et on ne reviendra pas en arrière. » Pour le rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques, « la région est dans une logique systémique dans laquelle chaque attaque d'un acteur fait monter le curseur de la réplique d'un cran ». Il détaille : « Même si un acteur ne le souhaite pas forcément, la situation le contraint, pour maintenir une forme de dissuasion, à prendre une décision dont il aurait sans doute fait l'économie. Le véritable risque réside dans une potentielle erreur de calcul, car il est vraisemblable qu'Israël ne s'en tiendra pas là. »

Hier à 1 heure du matin, une énorme explosion a retenti sur une base militaire en Irak. Elle a tué un membre des Unités de mobilisation populaire irakiennes et en a blessé huit autres. Les informations étaient encore très floues hier en fin de journée sur l'événement survenu sur la base de Kalso, dans le centre du pays, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Bagdad. Elle aurait visé la direction des véhicules du Hachd Al-Chaabi, une coalition paramilitaire qui rassemble des factions pro-iraniennes et qui a mené ces dernières années des dizaines d'attaques contre des soldats américains en Syrie et en Irak.

Le commandant militaire américain pour le Moyen-Orient, le Centcom, a affirmé sur X (anciennement Twitter) que les États-Uniens n'avaient « pas mené de frappes aériennes en Irak ». L'armée israélienne a refusé de « commenter les informations parues dans les médias étrangers ».

Sanctions : les fabricants de drones ciblés, le pétrole oublié

Jeudi, le Trésor américain a annoncé les nouvelles sanctions contre Téhéran. Outre des individus, des sociétés iraniennes fabriquant des drones ou leurs moteurs, en particulier l'entreprise Kipas, qui appartient à la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution, sont à présent dans le collimateur. Le premier groupe aciériste iranien, Khouzestan Steel Company, ainsi que ses fournisseurs et ses exportateurs sont également listés. Les exportations d'acier rapportent des milliards de dollars au gouvernement. Le constructeur automobile iranien Bahman Group, qui produit des véhicules militaires, et certaines de ses filiales sont aussi épinglés, soupçonnés de financer Al-Qods. En revanche, le secteur des hydrocarbures n'est pas concerné. Si la production de gaz alimente le marché local, ce n'est pas le cas du pétrole.

Alors que sa production est tombée à 2 millions de barils par jour (Mb/j) après le retrait américain du dossier nucléaire en 2018, la National Iranian Oil Company a produit 3,2 Mb/j en mars contre 2,8 Mb/j un an auparavant, selon l'Agence internationale de l'énergie. Le pays en exporte 1,6 Mb/j, principalement vers la Chine. Ces exportations ont rapporté 35 milliards de dollars en 2023, selon Javad Owji, le ministre iranien du Pétrole. Mais Joe Biden veut éviter une flambée des prix de l'essence et des tensions avec Pékin en pleine campagne électorale américaine. Pour le moment, ça marche. Le prix du baril de brent est repassé sous les 90 dollars malgré l'escalade militaire israélo-iranienne.

Garance Le Caisne
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.