Téhéran confronté à ses fondamentaux

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — L’épisode inédit de représailles entre l’Iran et Israël ces derniers jours pose la question des intérêts de dirigeants qui cherchent à sauver leur régime ou leur leadership.
François Clemenceau
François Clemenceau.
François Clemenceau. (Crédits : © LTD / DR)

« L'Iran est en position de faiblesse, ses difficultés internes sont immenses, l'absence de soutien au régime étant de plus en plus visible. Pour les Iraniens, plus on parle de l'Iran, moins on parle de Gaza et ça ne les arrange pas. » Ce diagnostic d'un ancien responsable de la diplomatie française vient soutenir l'argument selon lequel la République islamique ne gagnerait rien à se lancer dans une escalade militaire après la riposte d'Israël sur Ispahan et Tabriz de vendredi matin, en représailles au raid iranien spectaculaire et inédit d'il y a huit jours. Ce qui « arrange » Téhéran, le Guide suprême et les Gardiens de la révolution, c'est de préserver l'influence déterminante de l'Iran au Liban au travers du Hezbollah, en Irak avec ses milices chiites, en Syrie auprès de l'armée de Bachar El-Assad, au Yémen grâce aux houthistes, si « utiles » lorsqu'ils menacent le trafic maritime mondial par la mer Rouge. Cette posture d'ensemble est bien plus sécurisante que de se lancer dans un affrontement bilatéral direct mais inégal avec Israël.

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« Leur intérêt, c'est de remettre le projecteur sur Gaza pour bien montrer qu'ils sont finalement les seuls à s'intéresser aux Palestiniens et à leur cause, souligne Agnès Levallois, vice-présidente de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo). L'Iran veut peser sur la solution politique de l'après-Gaza, surtout s'il s'avère que le Hamas sera peut-être éliminé mais pas l'islamisme en tant que tel. » Depuis la fondation du Hamas en 1987 à Gaza et les accords d'Oslo en 1993 entre Israël et l'OLP, le régime des mollahs n'a cessé de tenter de prouver qu'il était le plus « sincère » dans l'aide apportée à la lutte armée des Palestiniens contre Israël. Que le pouvoir à Téhéran soit aux mains des « conservateurs » ou des « réformateurs », ou qu'Israël soit dirigé par un Premier ministre travailliste ou du Likoud, la matrice fondamentale iranienne a toujours été la volonté de s'attaquer à « la tumeur » que représente « l'entité sioniste » au cœur du monde arabo-musulman. Ce pouvoir de nuisance iranien, couplé avec une volonté renouvelée de se doter de l'arme atomique, ne peut se permettre d'être annihilé dans le cadre d'une guerre frontale avec Israël. « Les Iraniens ont toujours été très calculateurs dans leur stratégie, il est donc crucial pour eux de maîtriser cette crise, de favoriser un cessez-le-feu permanent entre Israël et Gaza qui serait perçu à la fois comme une baisse des tensions régionales et comme une victoire du Hamas, et donc de Téhéran, estime Thierry Coville, spécialiste de l'Iran à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). En fait, ils ont toujours été à la recherche d'un grand accord global. »

Ce pouvoir de nuisance du régime ne peut se permettre d'être annihilé

Dans ce registre, c'est bien Donald Trump en 2018 qui mit fin à un « deal » laborieux lorsqu'il jugea bon, en accord avec le Premier ministre israélien de l'époque - un certain Benyamin Netanyahou, déjà -, de déchirer l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, signé en 2015 d'un côté par l'Iran, et de l'autre par les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Union européenne. Mais lorsque Joe Biden a repris la main à la Maison-Blanche en 2021, les signataires de Vienne ont bien fait comprendre à l'Iran qu'un nouvel accord devrait comporter deux volets adjacents, l'un sur sa dimension balistique et l'autre sur ses « activités régionales » nuisibles au Moyen-Orient. Ce monde, hélas, n'existe plus.

Car dans le nouveau monde édifié par les alliés de l'Iran depuis la sortie de la pandémie, la tentation de la fuite en avant brutale est omniprésente. À l'évidence pour la Russie en Ukraine, pour la Chine face à Taïwan, ou pour la Corée du Nord vis-à-vis du Japon et de la Corée du Sud. Mais aussi pour Israël, et singulièrement pour Benyamin Netanyahou. Si l'Iran veut revenir à sa grammaire obsessionnelle de la « libération » de la Palestine, il lui faut maintenir les acquis obtenus par ses proxys tout en priorisant la situation intérieure à l'heure des débats sur la succession du Guide suprême, qui a « fêté » ses 85 ans vendredi. Bref, l'Iran n'a fondamentalement pas besoin de « s'embraser ». Le Premier ministre israélien, en revanche, pourrait être tenté de croire que sa lutte « existentielle » contre la République islamique détournera le regard de l'opinion publique mondiale des horreurs de Gaza pour reporter le débat sur le demi-échec de sa guerre contre le Hamas. À lui de s'arrêter à temps.

François Clemenceau
Commentaire 1
à écrit le 21/04/2024 à 8:41
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En effet et c'est bien après cette attaque israélienne que l'on voit que l'Iran est faible, que ce pays qui a généré tant de crimes odieux partout dans le monde est faible, son oligarchie est terrifiée à l'idée de perdre son pognon adoré, son peuple ...

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