Claude Chirac, au nom de tous les siens

La fille de l’ex-président a toujours préféré l’ombre à la lumière. Mais elle doit composer avec « Bernadette », le film qui starifie sa mère. Enquête sur une ancienne conseillère élyséenne encore courtisée.
Le samedi 30 septembre, lors de l’inauguration de l’espace Jacques-Chirac de Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire).
Le samedi 30 septembre, lors de l’inauguration de l’espace Jacques-Chirac de Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire). (Crédits : latribune.fr)

Des cérémonies comme celle-là, elle en a connu des dizaines, maintenant. Pourtant, ce samedi matin à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), on sent Claude Chirac particulièrement émue. Le maire, Philippe Briand, qui a tellement aimé son père, a décidé de rebaptiser l'ancienne mairie du nom de l'ex-président.

Pour l'occasion, ce 30 septembre, nombre de compagnons de route ont tenu à faire le déplacement. François Baroin, Christian Jacob, Renaud Muselier, Hervé Gaymard, Bernard Accoyer, Jacques Toubon et tant d'autres tombent dans les bras de la fille de leur héros. Seul Alain Juppé, qui a subi deux jours plus tôt une intervention chirurgicale, a dû se décommander.

Ces retrouvailles ont lieu à un moment particulier. Il y a quatre ans, quasiment jour pour jour, Jacques Chirac s'éteignait.

« Merci à toi d'avoir toujours été à ses côtés du temps de la campagne, de l'Élysée, des dernières années, lance à la tribune Philippe Briand à la cadette de l'ancien chef de l'État. Je pense que tu as été sa plus grande joie. »

Avant de repartir, il lui offrira un bouquet pour sa mère, Bernadette. En cet automne, ce prénom fleurit partout. Dans quatre jours, sous les traits de Catherine Deneuve, l'ex-première dame sera à l'affiche de tous les cinémas de France. Entre les présents, le film, qui met en scène la revanche d'une première dame, ridiculise son mari et montre sa fille soucieuse de l'effacer de la photo pour cause de ringardisme, nourrit les conversations. Vont-ils aller le voir ou non?

Stratégie du silence

Ces dernières semaines, Claude Chirac s'est, elle, posé une autre question. Devait-elle au nom de sa famille rédiger un communiqué pour prendre ses distances avec cette pochade si peu fine ? Devait-elle imiter la fratrie Tapie, qui avait déclaré ne pas du tout se reconnaître dans la série de Netflix consacrée à leur père ? Finalement, elle a opté pour le silence. À Saint-Cyr-sur-Loire, quand un reporter de RTL lui demande son avis, elle réplique :

« J'ai pris le parti de ne faire aucun commentaire sur le film. Je m'en tiens là. »

Durant toute sa carrière, l'ex-conseillère en communication a apporté un soin particulier à tout contrôler. Cette fois, le projet de Léa Domenach lui a totalement échappé. Elle en a appris l'existence par une aide-soignante de sa mère qui a vu passer l'information sur les réseaux sociaux. Ni la réalisatrice ni les producteurs ne l'ont jamais contactée. Ça l'a étonnée. Jean et Pierre-François, les fils Veil, n'avaient-ils pas été étroitement associés à Simone - Le voyage du siècle, le long-métrage consacré à l'ancienne ministre de la Santé ?

Dans le TGV qui la conduit en Touraine, Claude Chirac fait part à Françoise de Panafieu, assise à son côté, de ce qui l'a spécialement choquée : elle a jugé particulièrement inélégant que personne n'ait pris la peine d'adresser ne serait-ce que quelques mots à sa mère. Cet été, elle a eu un échange téléphonique avec Léa Domenach pour lui dire ce qu'elle en pensait.

Depuis, elle a vu Bernadette. C'était un mois avant sa sortie. À ses intimes, elle a avoué que cette comédie, où Sara Giraudeau interprète son rôle, ne l'avait pas fait rire. Elle s'est étonnée qu'il soit encore une fois raconté que son père ne se trouvait pas à l'Élysée, la nuit de la mort de Lady Di, mais au domicile d'une fameuse actrice italienne. Sa fille a toujours certifié que son père était bien dans son lit, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Christine Albanel, la plume du président, était de permanence ce soir-là. C'est la future ministre de la Culture qui avait choisi de ne réveiller Jacques Chirac qu'à 5 heures du matin plutôt qu'au beau milieu de son sommeil, et ce dernier qui avait demandé à son épouse de se rendre au chevet de la princesse.

Mais ce film est aussi un vrai-faux biopic qui lui a fendu le cœur. Un choix de la réalisatrice l'a profondément heurtée. Celle-ci fait apparaître dans plusieurs scènes Laurence, sa sœur aînée, qui a souffert toute sa vie d'anorexie mentale avant de disparaître en 2016. Elle ne s'attendait pas à ce que ce drame intime, qui a tant soudé sa famille, y figure. Elle a trouvé cela déplacé.

Claude Chirac a-t-elle dit à sa mère qu'elle était devenue une star de ciné ? Depuis le décès de Laurence, la santé de l'ex-première dame, 90 ans, est devenue très fragile.

« Elle va le mieux possible, affirme sa fille à tous ceux qui lui demandent des nouvelles. Elle est allée en Corrèze au mois d'août comme tous les ans. »

Claude Chirac s'occupe d'elle au quotidien.

« Je suis son aidante, comme j'ai été celle de mon père, confie-t-elle à La Tribune Dimanche. Je suis là tous les jours. J'organise la rotation des soignants qui viennent. Je fais ce que font des centaines de milliers de Français. »

« Son agenda est dicté par l'état de sa mère ; elle le dit sans chercher à se faire plaindre », assure Aurélien Pradié, député LR du Lot, qui s'inscrit dans la filiation chiraquienne et a tissé un lien avec elle.

Toute sa vie, Claude Chirac aura fait le choix de se consacrer aux siens. Dès ses 26 ans, elle avait rejoint son père à la mairie de Paris pour travailler auprès de lui.

Élue dans le fief de son clan

Aujourd'hui, si elle en a 60, elle ne se vit pas comme la gardienne d'une mémoire.

« Tous ceux qui ont partagé les combats de mon père, tous ceux qui ont travaillé à ses côtés le sont également, explique-t-elle. C'est une affaire de valeurs autant que de liens. »

« Elle est moins la gardienne d'un temple que la marraine du rayonnement du nom de Jacques Chirac dans toutes les communes de France », observe François Baroin.

Chacun de ses déplacements est pour elle l'occasion d'entretenir une trace.

« Les crises qui nous menacent montrent combien il avait été visionnaire sur nombre de sujets », répète-t-elle, listant son engagement pour la planète ou sa bataille en faveur de l'égale dignité entre les cultures et les civilisations.

« Elle fait très attention à l'image de son père. Elle avait demandé à Philippe Briand de ne pas inviter Jean-Louis Debré à Saint-Cyr, ajoute un éternel chiraquien. Elle n'apprécie pas ce qu'il dit sur lui. »

Désormais, après ses parents, Claude Chirac a sa propre carrière d'élue. Depuis 2021, elle est conseillère générale de la Corrèze, le fief du clan. C'est Pascal Coste, le président de cette assemblée, et le sénateur Claude Nougein, tous les deux LR, qui sont venus la chercher.

« J'ai toujours sillonné la France. Cela me manquait. J'ai adoré passer ma vie sur les routes, dit-elle. Mon mandat me permet d'être ancrée dans le réel. »

Elle trouve le même avantage à la présidence de la Fondation Claude-Pompidou, qui se consacre aux personnes âgées et handicapées et qu'elle a reprise.

Les chiens ne font pas des chats. Ceux qui voient Claude Chirac sur le terrain sont frappés par son sens du contact. En juin 2022, durant la campagne des législatives, elle passe une journée au côté d'Aurélien Pradié dans le Lot.

« À Cahors, une inconnue vient l'embrasser et s'excuser de ne pas avoir pu se rendre aux obsèques de son père, se souvient le député. Claude lui demande son adresse afin de lui envoyer le livret des obsèques. Un peu plus tard, je la vois, paniquée, fouiller ses poches. Elle pensait avoir perdu le petit papier avec ses coordonnées, avant de le retrouver, soulagée. Toute son existence, elle a croisé des personnes qui lui ont parlé de son père. Elle pourrait avoir une lassitude... Pas du tout. Elle veut rester à la hauteur de sa mémoire. »

« Vous êtes vraiment une Chirac, madame », lui glisse Xavier Bertrand, frappé par son savoir-faire, le 9 septembre à Saint-Quentin (Aisne), où un pont porte dorénavant le patronyme de l'ancien chef de l'État.

Le 21 août, ils s'étaient déjà croisés. Le patron LR des Hauts-de-France avait tenu une réunion publique en Corrèze. Claude Chirac et son mari, Frédéric Salat-Baroux, y assistent. Xavier Bertrand leur propose de prendre la parole. Son époux accepte. Pas elle. La conseillère générale ne recherche jamais la lumière. Elle n'est sur aucun réseau social. N'aime pas que l'on parle d'elle.

« L'ego, ce moteur de l'insignifiance, était étranger à Jacques Chirac », rappelle-t-elle à Saint-Cyr-sur-Loire.

Elle est pareil. Elle a refusé toutes les propositions de livre qui lui ont été faites. Si, depuis 2017, certains l'ont parfois imaginée en ministre, elle a trop de considération pour cette fonction pour prétendre pouvoir un jour l'exercer.

Disciples plutôt qu'héritiers

Il ne faut pour autant pas s'y tromper. « Elle regarde tout, elle suit tout ; chaque pore de sa peau respire la politique », précise son grand ami François Baroin. C'est pourquoi on cherche encore les conseils de cette Chirac.

« Je prends très au sérieux ce qu'elle dit et je regarde attentivement ce qu'elle fait, témoigne Édouard Philippe. En raison de son parcours, de son milieu, elle a condensé une expérience particulière, à laquelle elle ajoute une finesse d'analyse des comportements très précieuse. »

L'ancien Premier ministre a déjeuné deux fois avec elle, l'une à Matignon, l'autre au Havre, le 17 juin, après l'inauguration de l'esplanade Jacques-Chirac. Très admirative de son travail dans la cité portuaire, elle lui avait alors réclamé le discours qu'il avait prononcé pour le lire à sa mère.

Cet été, en Corrèze, elle a dîné avec Valérie Pécresse. L'ex-candidate à la présidentielle n'a pas oublié ce qu'elle lui avait soufflé l'année passée lors de sa campagne, quand celle-ci n'était plus qu'un calvaire.

« Les vrais soutiens dont on se souvient toute sa vie sont ceux des moments difficiles. Crois-moi, Chirac l'a vécu », l'avait-elle rassurée en marge d'un meeting à Brive. « Quand tu discutes avec elle, tu n'as pas besoin de faire un sondage », avance Xavier Bertrand.

En ce moment, Claude Chirac est très frappée par l'extrême tension de la société et la présence de la drogue partout sur le territoire. D'ores et déjà, elle regarde 2027 avec inquiétude. Devant ses proches, elle n'exclut pas la victoire de Marine Le Pen.

Comme son père, elle récuse la notion d'héritiers et lui préfère celle de disciples. Comme lui, elle croit au clivage gauche-droite. Cela n'a pas toujours été le cas.

En 2002, elle faisait partie de ceux qui plaidaient pour que les 82% rassemblés par un président de droite au second tour face à Jean-Marie Le Pen se traduisent par l'ouverture du gouvernement Raffarin à la gauche. Jacques Chirac avait immédiatement retoqué cette hypothèse et expliqué à son entourage que, après un quinquennat de cohabitation qui avait brouillé les repères, cinq années supplémentaires aux frontières floues seraient trop périlleuses. Sur le moment, elle n'avait pas compris ce choix. Vingt ans après, elle juge que le « en même temps » finit dans la confusion et revient à ce qu'il n'y ait plus d'alternance.

C'est une différence entre elle et Emmanuel Macron. Claude Chirac n'a pas de relation particulière avec ce successeur-là. S'il lui arrive de voir le chef de l'État et son épouse, c'est par l'entremise de Line Renaud, qu'ils ont en commun.

Au gouvernement, elle est reconnaissante à Bruno Le Maire (qu'elle connaît) et à Gérald Darmanin (qu'elle ne connaît pas) de l'avoir aidée après le décès de son père. Il fallait notamment s'occuper de la situation des deux officiers de sécurité de celui-ci. Elle croise parfois François Hollande en Corrèze. Ses rapports avec Nicolas Sarkozy demeurent en revanche glaciaux.

Dans Le Temps des combats, sorti cet été, l'ancien président règle encore des comptes avec elle. Revenant sur le versement en 2010 par l'UMP, à son initiative, de 1,6 million d'euros à la Ville de Paris dans le cadre de la procédure judiciaire des emplois fictifs qui menaçait son prédécesseur, il écrit :

« Je savais pertinemment que ni Jacques Chirac ni sa fille Claude ne m'en témoigneraient de reconnaissance. J'étais sans illusion. Je n'avais rien à en attendre en tout cas sur ce plan. »

Ce printemps, Claude Chirac s'est rendue rue de Miromesnil. Elle venait récupérer deux stylos de l'ancien chef de l'État pour les exposer au musée de Sarran. Initialement consacré aux cadeaux diplomatiques reçus par son père, celui-ci a été repensé pour s'ouvrir à l'ensemble des locataires de l'Élysée et à la fonction présidentielle sous la Ve République. Mais Claude Chirac n'a pas vu Nicolas Sarkozy. Il était pourtant là.

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