Éric Chenut, président de la Mutualité française : « Nous n’avons pas de marges de manœuvre »

ENTRETIEN - Il répond au ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, et revient sur la loi de programmation sur le grand âge confirmée par Élisabeth Borne.
César Armand
Éric Chenut, président de la Mutualité française.
Éric Chenut, président de la Mutualité française. (Crédits : © HERVÉ THOUROUDE)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Dimanche dernier, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a jugé que les augmentations de 8 % voire de 10 % des complémentaires santé n'étaient « pas tenables ». Que lui répondez-vous ?

ÉRIC CHENUT - J'ai été plus que surpris par les propos du ministre. L'augmentation des dépenses de santé est factuelle et montre la nécessité de mieux les répartir. Le transfert de
dépenses de l'Assurance maladie aux complémentaires santé sur des soins dentaires est injuste, injustifié et inapproprié. Lorsque le gouvernement l'a annoncé en juin, nous avons aussitôt fait remonter une alerte sur la dynamique en hausse de dépenses de santé plus importantes qu'envisagé, tant sur les soins de ville qu'à l'hôpital, au premier semestre 2023. Entre les remboursements traditionnels et le rattrapage de la crise sanitaire, qui viennent s'ajouter à des dépenses nouvelles comme la revalorisation légitime et nécessaire de la consultation des médecins généralistes à 26,50 euros, et plus largement des autres médecins et paramédicaux, tout cela pèse sur la facture pour les complémentaires santé, comme pour l'Assurance maladie.

Dans ces conditions, qu'attendez-vous du comité de dialogue prévu le 15 décembre ?

Nous attendons un vrai dialogue entre les pouvoirs publics - la direction de la Sécurité sociale -, les financeurs - la Caisse nationale d'assurance maladie - et les complémentaires santé telles que la Mutualité française. Que ce soit sur la soutenabilité du financement de la protection sociale, l'évolution du système de santé pour garantir un accès effectif aux soins ou le tiers payant, nous devons travailler ensemble à cinq voire dix ans. Notre population vieillit, les pathologies chroniques se développent et l'ensemble doit être mieux appréhendé. Ce ne sont pas des sujets que nous pouvons traiter sur une seule année budgétaire.

Élisabeth Borne a déjà confirmé la présentation, l'examen et l'adoption d'une loi de programmation sur le grand âge au second semestre 2024...

Nous avons en effet besoin de regarder les choses à moyen et long termes. De la même façon, dans un système de répartition comme le nôtre, la confiance est essentielle. En ce sens, il est dans notre intérêt de travailler collectivement sur la lutte contre toutes les fraudes : aux cotisations sociales, celles d'une extrême minorité de professionnels de santé ou celles d'assurés sociaux. Nous pouvons aussi gagner en efficacité, il faut orienter les personnes vers le bon soin au bon moment, éviter les soins redondants, inutiles... À cet égard, une meilleure utilisation des données pourrait nous permettre d'être plus performants dans un contexte de raréfaction du temps médical et d'engager une meilleure personnalisation du parcours patient.

Les mutuelles en trois chiffres
500 mutuelles représentées par la Mutualité française
2 900 services de soins et d'accompagnement revendiqués
35 millions de clients français

Le carnet de santé numérique ne jouera-t-il pas ce rôle ?

« Mon espace santé » est effectivement l'un des leviers très importants pour donner
de l'information, mais il faut aussi renforcer l'alimentation en données, aujourd'hui trop partielle. Cela suppose de développer l'intelligence artificielle, notamment au travers des outils d'aide à la prescription, pour repérer les risques d'interactions médicamenteuses. Nous pourrons obtenir des gains importants.

N'avez-vous pas d'autres marges de manœuvre ?

J'insiste : entre les prestations versées par les mutuelles, dont le volume a déjà augmenté, et la revalorisation des consultations, nous n'avons pas de marges de manœuvre. Pour rappel, les mutuelles sont non lucratives et n'ont pas d'actionnaires à rémunérer. Notre rôle consiste à être le plus solidaires possible par la mutualisation des cotisations. Nous n'augmentons que du strict nécessaire pour être à l'équilibre.

N'y a-t-il vraiment pas de place pour une meilleure efficacité ?

Un point : dès que les revenus croissent, les cotisations sociales augmentent mécaniquement. Sur votre fiche de paie, la ligne des cotisations sociales a augmenté en euros en lien avec vos revenus, et ce sera encore le cas en 2024, mais vous ne le savez pas forcément. En revanche, les mutuelles envoient chaque année à leurs adhérents des appels de cotisation, pour les informer. Autre point majeur : à la différence de l'Assurance maladie, nous n'avons ni le droit d'être en déficit ni la possibilité de recourir à la dette, et donc de faire payer les dépenses de 2024 aux générations futures. Est-ce bien ou pas bien ? Cela relève d'un choix politique.

Faut-il le faire ?

Je pense préférable de veiller aux équilibres durables de notre protection sociale si nous voulons la pérenniser. Aussi, il nous faut planifier pour nous donner collectivement les moyens d'y parvenir. Assurance maladie et complémentaires santé doivent agir de concert pour mieux gérer le risque de manière proactive et partagée, pour accompagner le virage préventif. Le « 100 % santé », qui couvre l'optique, l'audiologie et le dentaire, évite de différer voire de renoncer aux soins, mais 77 % du coût de cette réforme est payé par les mutuelles. Comme l'a fait comprendre le président de la République, Emmanuel Macron, en 2018 lors de notre congrès, l'argent magique n'existe pas. Il faut rétablir un effort partagé.

Comment ?

Sans changement, il faudra augmenter les cotisations ou alors nous ne pourrons plus tout solvabiliser. Il faut donc agir comme je viens de le préciser. Il faut aussi questionner certaines dépenses dont les effets ne sont pas utiles médicalement sur la base des classifications scientifiques. Nous sommes prêts à mettre ce sujet sur la table. Cela fera débat, mais nous devons nous interroger sur au moins deux points : n'a-t-on pas une appétence trop forte à la molécule ? Quid des thérapies non médicamenteuses ? Travaillons plutôt ensemble pour améliorer la prévention.

César Armand
Commentaire 1
à écrit le 10/12/2023 à 17:05
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"J'ai été plus que surpris par les propos du ministre" c'est un jeu, pour faire penser que ce sont les complémentaires qui abusent, pas les décisions du Gvt dont la baisse du taux de remboursement des soins dentaires qui sont un transfert de dépenses...

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