Pour la première fois en juin, le Parlement de Malte a adopté à l'unanimité un texte autorisant l'avortement alors qu'il restait interdit jusque-là dans le plus petit État de l'Union européenne. Mais les Maltaises n'y ont accès que dans des cas extrêmement restreints, si leur vie est en danger ou que le fœtus n'est pas viable. « Le droit à l'IVG recule en Europe à cause des gouvernements d'extrême droite conservateurs, il faut être vigilant », alerte Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes, qui pointe du doigt la Pologne, où l'avortement légal est extrêmement rare, uniquement autorisé lorsque la grossesse résulte d'un viol ou qu'elle met la femme en danger de mort. Dans ce pays très catholique, il n'est même plus possible d'interrompre une grossesse si le fœtus est gravement malformé. Sur 38 millions d'habitants, seules quelques centaines de femmes avortent légalement chaque année.
Les autres, plusieurs dizaines de milliers, se rendent dans des cliniques à l'étranger ou se procurent clandestinement des pilules abortives. En Hongrie, la politique nataliste du populiste Viktor Orbán a permis d'inclure dans la Constitution la protection du fœtus « dès sa conception », et plusieurs hôpitaux refusent de pratiquer l'IVG. En Slovaquie, une dizaine de propositions de loi ont été déposées pour en limiter l'accès. En Croatie, en Roumanie et même en Italie, plus de 60 % des médecins sont objecteurs de conscience, pour des raisons religieuses principalement. Cette « clause de conscience » est prévue dans 23 pays de l'UE. Seules la Suède, la Finlande et la Lituanie ne permettent pas aux professionnels de refuser de pratiquer l'avortement. Dans la pieuse Bavière, bien que l'Allemagne ait dépénalisé l'IVG depuis 1976, moins de dix cabinets le pratiquent et des militants dénoncent sur Internet les rares médecins « avorteurs » de la région.
En Espagne, où l'IVG n'est légale que depuis 2010, le ministère de la Santé indique que 85 % d'entre elles ont lieu dans des structures privées, excluant les plus modestes de ce droit. Pire, le gouvernement de la région Castille-et-León a annoncé que les médecins locaux devront proposer aux femmes d'écouter les battements de cœur du fœtus avant de prendre leur décision. Au Portugal, l'avortement est depuis 2015 à la charge des femmes et conditionné à un examen psychologique. Dans ces pays, on constate aussi une absence d'informations données sur la contraception, les maladies sexuellement transmissibles, la notion de consentement et les violences sexuelles.
Du lobby au commando
La France échappe-t-elle à cette régression généralisée ? « Les mouvements antiavortement sont de plus en plus forts, même en France, indique Anne-Cécile Mailfert. Des rapports européens ont révélé l'existence de fonds américains et russes finançant les actions anti-IVG en France. » La politologue Fiammetta Venner, autrice de L'Opposition à l'avortement - Du lobby au commando, prévient elle aussi: « La menace existe toujours, les méthodes violentes des antichoix français - menaces, humiliations - ont même été exportées aux États-Unis et la loi sur le délit d'entrave est rarement appliquée. » Ce droit fondamental des femmes progresse néanmoins dans notre pays, le délai a été allongé à quatorze semaines de grossesse. On dénombre, en 2022, 232 000 IVG, un chiffre record.
Le professeur de gynécologie Israël Nisand, spécialiste du sujet, regrette cependant « une forme de banalisation de l'IVG, notamment chez les jeunes femmes, qui utilisent de moins en moins de contraception ». Il cible une « absurdité » : la prise en charge à 100 % de l'avortement par la Sécurité sociale quand la pilule, elle, est payante pour les plus de 25 ans. « Si l'on voulait vraiment aider les femmes, il faudrait investir financièrement dans les services hospitaliers pour qu'il y ait davantage de médecins, de sages-femmes, de consultations disponibles et des interventions moins tardives, plaide-t-il. Or le budget des IVG dans un hôpital est toujours déficitaire, au détriment du personnel de santé et surtout des patientes. » Si tous s'accordent à dire que la constitutionnalisation de l'avortement ne changera pas concrètement la vie des femmes, elle serait un symbole fort, un message envoyé au monde et une protection supplémentaire pour celles qui jamais n'y ont recours « de gaieté de cœur ».