L'idée aurait germé dans le cerveau d'Éric Zemmour. Il en a fait part début avril à Marion Maréchal, lors d'un tête-à-tête: « On pourrait voir avec Messiha ? » À ce moment-là, Reconquête menace de sombrer dans la guerre civile entre fidèles de la candidate et disciples de l'essayiste d'extrême droite. Quoi de mieux pour y remédier que de faire revenir au bercail un des plus médiatiques trublions antimusulmans ? Durant la discussion, franche, les deux principales figures du parti évoquent leurs différends stratégiques... et la liste pour les européennes du 9 juin. Les quelques places éligibles, qui peuvent se traduire en sièges à l'Assemblée de Strasbourg, ont empoisonné l'ambiance.
Pour interrompre les coups de billard à douze bandes entre marionistes et zemmouristes, il a fallu un joker. Va pour Jean Messiha. Cet ancien « techno » de Marine Le Pen, parti rejoindre Éric Zemmour en 2021, faute d'avoir été investi par le Rassemblement national à plusieurs élections d'affilée, a quitté Reconquête quelques jours après la dernière présidentielle. Une sortie abrupte mais justifiée, arguait-il, par l'envie de poursuivre autrement son « activité médiatique, intellectuelle ».
Comprendre: sur le petit écran. C'est d'ailleurs sous les spots de Touche pas à mon poste, en plus des colonnes de Valeurs actuelles, que le polémiste a annoncé qu'il serait huitième du pack de Marion Maréchal. Durant la même émission, il reprochera à une musulmane portant le hijab d'être vêtue comme une hijab d'être vêtue comme une « Bédouine du VIIIe siècle ».
Il parle à notre socle électoral Stanislas Rigault, président de Génération Z
Le lieu comme le propos, vulgaires, n'ont rien d'anodin. Haut fonctionnaire en disponibilité du ministère des Armées, l'énarque natif du Caire est un client très régulier des médias de Vincent Bolloré. Il a écumé les plateaux de Pascal Praud et de Cyril Hanouna, d'abord pour le compte du RN, puis pour le sien propre, accroissant son auditoire sur les réseaux sociaux. Les plus de 263000 abonnés de Jean Messiha sur X raffolent de ses saillies xénophobes, produits d'appel parfaitement adaptés à l'ère des « punchlines ».
En juin 2023, l'ex-frontiste a fait le bonheur de la fachosphère en créant une cagnotte de soutien à la famille du policier qui a tiré sur le jeune Nahel Merzouk, cet adolescent mort après un refus d'obtempérer. Quelques mois après, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a rendu une décision inscrivant son temps de parole dans le quota « divers droite », l'obligeant à réduire sensiblement sa surface médiatique.
Et avec, d'après l'intéressé, son train de vie de consultant. « Ils ont voulu m'enterrer et j'ai engagé un combat épique contre le système », plastronne Jean Messiha auprès de La Tribune Dimanche, faisant allusion à la cagnotte - décidément - qu'il a lancée pour financer son recours devant le Conseil d'État.
Lequel a été rejeté.
Malgré le côté clownesque du personnage, son retour est perçu comme un bon pari. « Il parle à notre socle électoral, résume Stanislas Rigault, patron des jeunes zemmouristes. C'est un symbole fort qui rappelle la campagne de 2022 et une personnalité prête à aller au combat. » Il permet aussi de créer une nouvelle actualité autour de Marion Maréchal, tombée à 5 % des intentions de vote dans la dernière étude réalisée par Elabe pour La Tribune Dimanche. En deçà, point d'élus au Parlement européen. L'équipe Reconquête préfère voir le verre à moitié plein - et relayer les sondages plus favorables. La candidature de Sarah Knafo, compagne et conseillère d'Éric Zemmour, dont la prestation du 28 avril sur BFMTV a rassuré les troupes, a donné un coup de fouet au dispositif de campagne.
Si la séquence compte quelques perdants, ils sont au sein du clan Maréchal. La tête d'affiche de Reconquête aux européennes, qui s'entend mal avec Sarah Knafo mais a trouvé un modus vivendi avec celle-ci, refusait initialement d'avoir Jean Messiha en bonne place sur sa liste. La nièce de Marine Le Pen savait que son arrivée se ferait au détriment de ses proches. Son conseiller le plus écouté, Philippe Vardon, qui aurait voulu être éligible, se retrouve dixième. L'identitaire niçois subit un léger bégaie ment de l'Histoire: en 2019, déjà, il a dû se contenter d'une place margi nale dans la liste RN conduite par Jordan Bardella, malgré son appui politique. Cinq ans plus tard, il paie le fait d'être soupçonné par les zem mouristes d'avoir alimenté la presse en échos fielleux.
Fin avril, l'élu sudiste a eu des explications musclées avec Éric Zemmour et Sarah Knafo. Il a tout de même reçu, en contrepartie, le titre officiel de directeur de campagne. La porte-parole de Marion Maréchal, Agnès Marion, catho tradi aux compétences très décriées en interne, a obtenu une place à la lisière de l'éligibilité. Lundi, à la réunion hebdomadaire de Reconquête, Philippe Vardon a joué les bons soldats. « Je ne suis pas du genre à tourner en rond et je suis pleinement tourné vers l'élection », a-t-il assuré aux présents. Le néonazi repenti est tou jours convaincu qu'il faut piocher dans le vivier des électeurs durs des Républicains. La rhétorique de Jean Messiha, pense-t-il, correspond à leurs attentes. Et puis, comme nous l'a fait remarquer le polémiste, il n'y a qu'un mois à tenir.