Présidentielle 2017 : les "fake news" peuvent-elles influencer la campagne ?

Un quart des liens partagés sur les réseaux sociaux au sujet de la politique ou de la présidentielle seraient issus d'éditeurs faisant la promotion des "fake news", d'après une étude du cabinet Bakamo Social basé à Londres. Selon le PDG de ce cabinet, une telle exposition pourrait jouer "un rôle crucial et finalement décisif".
Grégoire Normand
Les candidats eux-mêmes sont parfois victimes de véritables campagnes de désinformation à leur égard sur les réseaux sociaux.

Le rôle des réseaux sociaux dans le partage des fausses informations a été pointé du doigt lors de la dernière présidentielle américaine et le vote du Brexit. Pour savoir si le même phénomène pouvait arriver en France, le cabinet d'études Bakamo Social a réalisé une enquête publiée ce 19 avril intitulée "Le rôle et l'impact des éditeurs non traditionnels dans la présidentielle 2017". Et la conclusion du PDG de Bakamo Jonathan Deitch est inquiétante :

"Dans une campagne farouchement disputée, où les sondages n'annoncent guère d'écart entre les principaux candidats, une exposition accrue aux sites qui répandent des mensonges, des théories conspirationnistes, de la propagande pro-russe et des opinions racistes pourrait jouer un rôle crucial et finalement décisif".

Et l'enjeu est de taille. Selon le journaliste Pierre Haski qui a préfacé l'étude, "plus l'élection approche et plus le fossé entre les citoyens s'agrandit [...] Ce fossé ne s'apprécie pas en termes d'affiliation politique ou de soutien envers un candidat mais en termes de fiabilité des règles éthiques professionnelles pour les sources".

Un lien partagé sur quatre issu de sources promouvant les "fake news"

Les auteurs de l'étude ont analysé près de 8 millions de liens partagés sur les sujets politiques, récoltés à partir de 800 sites entre le premier novembre 2016 et le 4 avril 2017. Tous les éditeurs en ligne ont été répartis en cinq groupes selon des critères précis.

  • Traditionnel : 48,2% des liens partagés sont issus des sites d'information traditionnels (journaux, radio télévision). Ils doivent se "conformer" aux pratiques journalistiques traditionnels pour rentrer dans cette catégorie ;
  • Campagne : ils représentent 7,4% des liens partagés. Cette section comprend les sites officiels de tous les candidats et les partis politiques, les sites nationaux et régionaux ;
  • Extend : 20,2% des liens partagés. Cette partie contient des sources qui servent "à étendre la portée journalistique des médias traditionnels sans contester les faits de base";
  • Reframe : ils représentent 19,2% des liens partagés. Les éditeurs présents dans cette section "partagent la motivation de contrer le récit des médias traditionnels [...] Ces sources recadrent et racontent l'information politique différemment, en général par le biais de reportage sélectif ou de la réinterprétation (la "réinformation") et ne sont d'accord ni sur les faits ni sur l'interprétation telle qu'ils sont donnés par les médias traditionnels."
  • Alternative : 5% des liens partagés. Ce sont des sources "qui existent au-delà de la distinction gauche-droite. Ces sources entremêlent leurs histoires et ignorent largement les sources traditionnelles pour des récits confus et souvent conspirationnistes."

A partir de ces groupes, l'étude conclut que les médias traditionnels et les sources officielles de la campagne représentent 56% de tous les liens partagés dans le discours public. Les sources traditionnelles d'informations politiques dominent donc toujours le partage de liens.

Un engagement plus important

En publiant ces résultats, le cabinet Bakamo a remarqué que "les utilisateurs de réseaux sociaux qui partagent des liens des sources Reframe sont très prolifiques et leurs abonnés très engagés". Les comptes des réseaux sociaux qui partagent des liens issus de la section Reframe "sont presque deux fois plus actifs (ils partagent deux fois plus de liens) que ceux qui partagent des liens de sources traditionnelles". Les internautes qui s'abonnent ou suivent ces comptes apparaissent comme très engagés : "ils  "likent" ou "retweetent" le contenu deux fois autant que ceux qui suivent les comptes qui partagent des sources des sections Extend et Alternative".

Un modèle économique du fake news ?

Malgré les efforts apparents des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et de quelques médias pour lutter contre le partage et la prolifération de la désinformation,  il se pourrait que les internautes soient encore confrontés pendant longtemps à ce type de contenu. Et pour cause, les moyens engagés pour éviter la propagation de tels messages pourraient être dérisoires face à cette "économie du clic et du partage". En décembre dernier, le sociologue et spécialiste des réseaux sociaux Antonio Casilli apportait quelques explications sur "ce marché de l'engagement" dans un entretien accordé à Mediapart :

"Si ces fake news circulent, c'est à cause du fait qu'elles permettent à quelqu'un de gagner de l'argent. Il y a quelqu'un qui profite de ces fausses nouvelles et de cette désinformation. Qui sont-ils ? S'agit-il d'une cabale ? Impossible. On tomberait dans le complotisme pour dénoncer du complotisme. Après tout, derrière, il y a une macroéconomie faite de micro-entrepreneurs du clic. Souvent, il s'agit de personne qui pour gagner 200, 300 euros voire 1.000 euros par mois aident la viralité de messages détestables."

Pour le maître de conférences, ce qui a fait élire Trump, ce ne sont  "pas les algorithmes, mais des millions de 'tâcherons du clic' sous-payés" comme il l'expliquait sur son blog il y a quelques mois :

"Pour être plus clair : ce ne sont pas 'les algorithmes' ni les 'fake news', mais la structure actuelle de l'économie du clic et du digital labor global qui ont aidé la victoire de Trump."

Antonio Casilli fait ici référence à la Macédoine où une enquête de BuzzFeed News avait identifié plus de 100 sites web pro-Trump gérés depuis une seule ville de cette république d'ex-Yougoslavie :

"Plusieurs adolescents qui gèrent ces sites ont déclaré à BuzzFeed News qu'ils avaient vite compris que le moyen de générer un maximum de visites était de répandre leurs articles sur Facebook, et que la meilleure façon d'obtenir des partages sur Facebook était de publier des contenus sensationnalistes et souvent faux destinés aux partisans de Donald Trump."

>> Pour aller plus loin : Facebook : derrière la communication, quelle efficacité contre les "fake news" ?

Grégoire Normand
Commentaires 7
à écrit le 22/04/2017 à 17:43
Signaler
La situation est normale. L'école nous a montré à être de bons moutons, incapables de penser par eux-mêmes! Les 7 leçons de l'école de John Taylor Gato sont tout à fait d'actualité.

à écrit le 22/04/2017 à 11:05
Signaler
L'entretien accorde par Casilli a Mediapart est lui-meme une fake news. Une majorite d'observateurs sont d'accord pour dire qu'il y a un lien direct entre le brexit, la montee des aures eurosceptiques en Europe, dont Mme Le Pen, et la victoire de Tr...

à écrit le 22/04/2017 à 9:16
Signaler
Je pense qu'on a toujours étés noyés de fausses info par les journaux, la radio, la télé, sauf que ça va plus vite. Seule chose en France, ceux qui lisent et transmettent ces fakes sont ceux qui votent le moins, et ceux qui n'ont pas trop occasion d...

à écrit le 20/04/2017 à 16:01
Signaler
C'est peut être vrai dans certains pays , mais en France où les "Fake News" sont monnaie courantes notamment de la part des partis politiques de droites et d'extrême droite que lorsque j'en lis une cela me fait sourire et en même temps honte pour ceu...

à écrit le 20/04/2017 à 15:50
Signaler
Tout peut influencer la campagne, même une information que l'on veut taire!

à écrit le 20/04/2017 à 13:45
Signaler
LE problème c'est que "fake news" cela ne veut pas dire grand chose, des fausses informations j'en ai lu un peu partout et même dans le monde diplomatique qui ne devrait pas s'égarer dans la philosophie et qui le fait moins ces derniers temps j'y ai ...

le 20/04/2017 à 18:19
Signaler
Entièrement d'accord... Les fake news sont tout autant répandus par les médias traditionnels et les politiques que par des internautes en mal de buzz (pour du clic ou pour défendre leurs idées de quelque bord que ce soit). Disons que traditionnelleme...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.