Comment le Portugal est devenu le bon élève de l’Union européenne

Par Mathieu Viviani  |   |  1824  mots
Contraint en 2011 par un plan d'austérité drastique par Bruxelles, le Portugal est devenu une des économies européennes les plus performantes et attractives. (Crédits : (c) Copyright Thomson Reuters 2012. Check for restrictions at: http://about.reuters.com/fulllegal.asp)
Il y a dix ans personne n’aurait parié sur le Portugal, alors au bord de la faillite financière. Aujourd’hui, certains observateurs parlent du « miracle économique portugais ». Le pays le plus à l'ouest du continent européen a remonté la pente pas à pas, discrètement, faisant le choix d’une politique de l’offre audacieuse, tout en misant sur son atout principal, le tourisme. Aujourd’hui, ses efforts ardus lui permettent de redistribuer sur le plan social. Voici sept choses à savoir pour comprendre le retour en force du Portugal.

Austérité. Il y a un peu plus de dix ans, ce mot a autant fait partie du vocabulaire des analystes macro-économiques de Bruxelles que du quotidien des Portugais. A cette époque, en 2011 précisément, le Portugal a en effet touché le fond. Au bord de la banqueroute financière, le pays le plus à l'ouest de l'Europe a été sauvé in extremis par un plan d'aide de 78 milliards d'euros accordé par l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI). En contrepartie de cette opération sauvetage, des coupes budgétaires drastiques, avec des conséquences profondes sur le tissu économique et social du pays.

Mais au regard des derniers résultats économiques du pays parus cette semaine, ce momentum fait bel et bien partie du passé. La semaine dernière, le gouvernement socialiste du Premier ministre Antonio Costa a en effet annoncé un excédent public de 0,8%, « le plus important » depuis l'avènement de la démocratie en 1974. Comment s'en est sorti le Portugal ? Quelles sont ses forces économiques actuelles ? Quels sont ses nouveaux défis ? Eléments de réponse sur ce pays, désormais qualifié par de nombreux experts comme le « bon élève » de l'Union européenne.

1) Une performance budgétaire sans précédent

Au Parlement portugais, l'annonce a fait jubiler la majorité socialiste au pouvoir. Le gouvernement prévoit en effet de dégager en 2023 un excédent public de 0,8% du PIB, alors qu'il tablait jusqu'ici sur un déficit de 0,4%, selon le projet de budget de l'Etat pour 2024. Un résultat sans précédent depuis quasi 50 ans. L'année prochaine, l'exécutif table ainsi sur un excédent de 0,2% du PIB, prévoyant ainsi de revenir plus rapidement à l'équilibre des finances publiques, qu'il ne comptait atteindre qu'en 2027.

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L'inflation devrait aussi continuer de reculer pour s'établir à 5,3% en 2023 avant de ralentir à 3,3% en 2024. Un bon indicateur qui a motivé la décision du gouvernement de ne pas prolonger la TVA à « taux zéro » sur un ensemble de biens alimentaires de première nécessité. Quant à la dette publique, le gouvernement prévoit de la ramener sous le seuil des 100% du PIB dès 2024. Enfin, les services statistiques du Portugal anticipent pour cette année un PIB en hausse de 2,2%.

2) Un pays qui a mieux résisté aux conséquences de la guerre en Ukraine

« Le Portugal rebondit mieux par rapport aux autres pays européens car il est aussi moins exposé aux conséquences de la guerre en Ukraine. Notamment par rapport à l'énergie, ce qui n'est pas rien. Le Portugal était beaucoup moins dépendant aux importations de gaz russe, contrairement à l'Allemagne par exemple », ajoute Sofia Fernandes, chercheuse senior, Emploi et affaires sociales à l'institut Jacque Delors et spécialiste du Portugal.

Elle poursuit : « Les exportations l'année dernière, notamment du textile et du vin ont été des moteurs puissants du commerce portugais. Ce sont des industries au savoir-faire très solide dans le pays. Le pays est aussi devenu en 2021 le premier exportateur de vélo d'Europe. »

Si ces indicateurs positifs devraient permettre au gouvernement d'Antonio Costa d'adopter aisément son projet de loi de finances 2024 (le vote final aura lieu le 29 novembre prochain), quelques nuages s'amoncèlent à l'horizon : en 2023, l'exécutif s'attend à une croissance de 1,5%, revue en baisse par rapport aux précédentes prévisions, plombé notamment par un contexte international qui pénalise les exportations. « Il y a des signes préoccupants l'année prochaine comme un fort ralentissement de la zone euro », a précisé sur ce sujet le ministre lusophone des Finances Fernado Medina, lors d'une conférence de presse cette semaine.

3) Le tourisme, nerf de la guerre du miracle économique

Avec une part dans le PIB portugais colossale, le secteur du tourisme est bel et bien l'atout économique majeur de l'Etat ibère. Selon ses statistiques officielles, en 2022, les recettes de ce secteur ont dépassé de 20 % celles de 2019, juste avant la crise sanitaire du covid. Rien que lors du premier semestre 2023, 31 millions de touristes ont été comptabilisés dans les aéroports portugais. Un record qui a rapporté pas moins de 22 milliards en 2023 de recettes au pays.

« C'est une véritable explosion en effet. Le pays accueille des voyageurs du monde entier, avec des tendances récentes montrant une croissance particulière des visiteurs espagnols », précise la chercheuse de l'institut Jacques Delors.

Ce secteur clef dynamise le marché de l'emploi avec des records d'embauche. Près de 320.000 personnes travaillent dans l'hôtellerie et la restauration au Portugal. Bémol, le secteur commence à connaître des difficultés de recrutement : 50.000 emplois sont en ce moment à pourvoir, selon les professionnels du secteur, qui plaident pour des campagnes d'embauche à l'étranger, notamment au sein des pays de langue portugaise. Si le tourisme demeure la vraie « poule aux œufs d'or » du pays, de nombreux observateurs souhaitent que le Portugal diversifie davantage son économie.

4) Une politique de l'offre qui a fonctionné

Contraints pendant plusieurs années par les restrictions budgétaires imposées par Bruxelles, les gouvernements portugais successifs - le précédent était mené par le Premier ministre de droite Pedro Passos Coelho - ont misé sur une politique de l'offre très active. « Le pays a en effet accueilli de nombreux investissements étrangers, avec des régimes fiscaux très avantageux pour les investisseurs internationaux et les retraités d'autres pays d'Europe, dont la France », explique l'expert de l'Institut Jacques Delors.

Pierre angulaire de cette politique, les fameux « visas dorés » lancés fin 2012 et stoppés en mars de cette année. En échange d'un permis de résidence, les bénéficiaires de ce visa spécial devaient soit débourser au moins 500.000 euros pour un achat immobilier dans le pays, soit investir un million d'euros dans son activité économique, ou s'engager à y créer dix emplois fixes.

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Ces dix dernières années, le pays ibérique a ainsi capté un total de plus de 6,5 milliards d'euros en échange de plus de 11.000 permis de résidence accordés. Plus de 18.000 visas ont également été délivrés aux proches de ces investisseurs. La moitié des bénéficiaires de cette disposition étaient des investisseurs chinois, ainsi que de nombreux Brésiliens et Américains. « La Chine a énormément investi au Portugal en profitant de la crise économique vécue par le pays en 2010. L'actionnaire principal de Energias de Portugal, l'EDF portugais, n'est autre que l'Etat chinois », souligne Sofia Fernandes.

5) L'Espagne, l'allié économique indispensable

Voisin direct de l'Espagne, avec qui il partage une grande frontière, le Portugal a su en faire un allié économique de poids. L'Espagne est non seulement la principale destination des exportations nationales du Portugal, mais aussi son principal partenaire économique. D'après l'Institut national des statistiques portugais (INE), les échanges commerciaux entre les deux pays sont passés de 17,6 milliards d'euros en 2000, soit environ 14 % du PIB, à 55,5 milliards d'euros en 2022, soit 23% du PIB. C'est sans précédent.

La dépendance de l'économie portugaise à l'égard de l'Espagne est si importante qu'au cours de la dernière décennie, un quart des exportations étaient destinées au marché espagnol. Du côté des importations, un tiers provenait du voisin espagnol. A noter que l'Allemagne et la France sont respectivement le deuxième et troisième partenaire commercial du Portugal.

6) Après des années de régime sec, le défi social du Portugal

C'est un peu le revers de la médaille de la politique économique menée durant cette dernière décennie : pour assainir ses finances, le Portugal a énormément coupé dans ses investissements au sein des services publics.

« L'éducation, la santé et le logement sont les trois gros points noirs actuellement. Malgré la meilleure santé économique du pays, beaucoup de citoyens portugais ont un sentiment de déclassement », insiste Sofia Fernandes.

Les sondages le montrent, l'accès au logement est le premier point de mécontentement des citoyens portugais. En dix ans, à cause de l'essor du tourisme, ils ont vu le prix de l'immobilier exploser de 75% en moyenne. Avec une très forte tension dans les centres urbains des principales métropoles du pays (Lisbonne, Porto, etc). La fin des « visa dorés » et la mise en place d'une fiscalité plus favorable au marché de location de longue durée sont les deux mesures adoptées par le gouvernement pour faire face à cette grogne. Mais beaucoup de Portugais jugent ces mesures insuffisantes.

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Sur un autre front, le budget 2024 du gouvernement portugais prévoit une hausse des investissements publics dans les secteurs de la santé (comme en France, la dégradation de la prise en charge hospitalière est un vrai sujet), l'éducation ou le logement. Une importante baisse de l'impôt sur le revenu est aussi envisagée l'année prochaine. Sont aussi prévues par l'exécutif socialiste une nouvelle revalorisation du salaire minimum et des pensions de retraite. Le Smic passera ainsi de 760 à 820 euros sur 14 mois, et les pensions seront augmentées de 6,2% en moyenne.

7) Le Portugal voit son avenir dans le digital et l'énergie verte

Conscient de l'impératif de diversifier son économie, le Portugal investit aujourd'hui sur de nouvelles industries : le digital et les énergies vertes. Sofia Fernandes détaille : « Le pays a en effet lancé un grand plan d'action pour la transition numérique. Il possède aussi un écosystème de startup de la tech important. De plus en plus de travailleurs nomades du secteur digital s'installent au Portugal. Le pays accueille aussi des investissements importants de la part de grandes firmes, comme Microsoft. »

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Par ailleurs, la part des énergies renouvelables dans la production électrique au Portugal est une des plus importante d'Europe, aux alentours de 60%, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Ce, grâce à grâce à l'éolien et l'hydroélectricité. Le pays investit aussi dans le solaire. Malgré ces efforts, le Portugal reste encore dépendant des énergies fossiles dans la consommation globale. Raison pour laquelle son gouvernement assure travailler activement à changer de paradigme. Pour rappel, « le pays lusophone a fait partie des premiers pays au monde à se fixer un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 », indiquait l'AIE dans un rapport paru en juillet 2021.

Autre atout d'avenir majeur : le Portugal dispose des premières réserves de lithium en Europe, qui, aux côtés du cobalt et du nickel, est un des métaux les plus stratégiques pour la transition écologique et l'industrie digitale. Ces derniers mois, le pays a d'ailleurs autorisé l'exploitation de deux mines de ce précieux métal.