En Allemagne, le réalisme des Verts face à la crise énergétique renforce leur poids politique

Depuis le début de la crise en Ukraine et la prise de conscience des conséquences de sa dépendance au gaz russe, l'Allemagne revient sur ses engagements écologiques pris ces dix dernières années, notamment la sortie rapide du nucléaire et du charbon. Mais malgré ce revirement, les Verts semblent s'imposer de plus en plus comme le parti fort au sein de l'actuelle coalition, car à même d'éviter la crise énergétique qui menace le pays.
Coline Vazquez
Le ministre allemand de l'Economie et de la protection du Climat, Robert Habeck.
Le ministre allemand de l'Economie et de la protection du Climat, Robert Habeck. (Crédits : Reuters)

Première économie de la zone euro, l'Allemagne fait désormais figure de mauvais élève tant elle a misé sur une dépendance énergétique à la Russie. Depuis plusieurs mois, les membres du gouvernement allemand multiplient les déclarations alarmistes comme pour préparer la population à un hiver sous tension. « Nous sommes dans une crise du gaz. Le chemin que le pays s'apprête à prendre est difficile », avait ainsi alerté le gouvernement en juin dernier, sous-entendant la possibilité de pénuries et rationnements.

Pour éviter un tel scénario, l'Allemagne envisage toutes les solutions, de la douche plus courte et froide à l'éclairage des feux de circulations en passant par la température des bureaux. Mais au-delà des gestes de sobriété énergétique, c'est bien la nécessité de trouver des solutions sur le long terme qui préoccupe la coalition au pouvoir, quitte à contredire les objectifs notamment climatiques fixés par le pays.

Retour du nucléaire et du charbon

En 2011, année de la catastrophe nucléaire de Fukushima, l'ancienne chancelière, Angela Merkel, décrète la sortie du nucléaire de son pays bâtissant ces dix dernières années sur l'objectif de 2022. Un engagement balayé ces derniers mois par les déclarations du nouveau chancelier, Olaf Scholz. Mercredi, il a envisagé la possibilité de prolonger la durée d'exploitation des trois dernières centrales en activité. Même chez les Verts, parti de l'actuel ministre de l'Economie et de la protection du climat, Robert Habeck, cette éventualité a fait son chemin.

En témoignent les propos de ce dernier, en juin, admettant que le gouvernement s'apprête à faire des « choix de société très difficiles ». « Nous sommes déjà dans une situation dans laquelle l'Allemagne ne s'est jamais trouvée. Et si les livraisons de gaz russe restent aussi faibles qu'actuellement, nous allons tout droit vers la pénurie de gaz », a-t-il expliqué. « Le nucléaire est vraiment un tabou en Allemagne. Il y avait un consensus au sein de la classe politique comme de la population pour sortir du nucléaire et trouver d'autres sources d'électricité. Donc lorsque le gouvernement a annoncé qu'ils allaient rouvrir des centrales ou prolonger celles existantes cela a été mal reçu », explique Paul Maurice, chercheur au comité d'études des relations franco-allemande (Cerfa) à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

« D'autant que l'Allemagne s'est battue à l'échelle européenne pour que l'énergie nucléaire ne soit pas intégrée dans la taxonomie verte. Le fait de défendre une position ferme au sein de l'Union européenne et à l'international, puis d'adopter une stratégie différente au sein de son propre pays décrédibilise quelque peu sa parole », ajoute-t-il.

Il en va de même pour le charbon, dont le pays projetait de se passer en 2030, selon l'engagement pris par les trois partis au sein de la coalition : les Verts, le parti social démocrate (SPD) et les libéraux. En mars dernier, un plan visant à réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles russes prévoyait que, « dans ce contexte, le démantèlement des centrales à charbon pourrait être suspendu jusqu'à nouvel ordre après une analyse » menée par le régulateur du secteur.

Trois mois plus tard, le gouvernement a déclaré qu'il utiliserait des centrales à charbon dites « de réserve », ne servant actuellement qu'en dernier recours, pour garantir la sécurité énergétique du pays. La question du charbon était pourtant cruciale pour les Verts qui en ont fait une condition à leur entrée au sein de la coalition. Sans oublier l'annonce, en mars dernier, de la construction de deux terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) dont un premier situé à l'embouchure de l'Elbe. Par ailleurs, Robert Habeck s'est rendu, au même moment, au Qatar, l'un des trois plus gros exportateurs de GNL.

Lire aussiCrise du gaz : le grand retour du charbon en Europe

Pragmatisme VS écologie

Pour autant, ce changement de cap n'a pas entaché la popularité du ministre de l'Economie et de la protection du climat. « Malgré ces annonces et visites, Robert Habeck, et à travers lui le parti des Verts, dit aux Allemands : "Nous avons nos convictions mais nous sommes aussi pragmatiques et nous sommes là pour protéger la population. Nous devons donc trouver des solutions ». Robert Habeck insiste d'ailleurs beaucoup sur la double dénomination de son portefeuille ministériel pour ne pas qu'on oublie qu'il est aussi ministre de l'Economie », analyse Jacques-Pierre Gougeon, professeur d'université spécialiste de l'Allemagne et directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégies (Iris).

Selon lui, « les Verts ont un vrai pouvoir dans ce gouvernement car ils occupent deux postes stratégiques : celui du vice-chancelier mais aussi de la ministre des Affaires étrangères et les deux sont très appréciés des Allemands »« Le fait est que les verts sont de plus en plus considérés comme un grand parti. Même s'ils n'ont fait que 15% aux dernières élections fédérales, il est fort probable qu'ils dépassent les 20% aux prochaines. Ils vont donc influer sur les idées des autres partis et déterminer une grande partie de l'orientation de l'Allemagne à venir », confirme Paul Maurice.

D'autant que, pour la population allemande, la dépendance du pays à l'énergie russe est à imputer aux précédents gouvernements qui n'ont pas entrepris les démarches nécessaires pour diversifier les approvisionnements. A commencer par les deux autres partis au sein de la coalition, le SPD et les libéraux, qui ont tous les deux été au pouvoir durant ces dix dernières années, ainsi que l'actuel chancelier, Olaf Scholz. « Bien qu'il reste très prudent dans ses prises de position, on commence à lui reprocher sa co-responsabilité car il était membre du gouvernement précédent et il se voit reprocher les mauvaises décisions prises à l'époque », commente le chercheur à l'Iris.

Des alternatives en Afrique de l'ouest

Néanmoins, le chancelier tente lui aussi de trouver rapidement des alternatives pour éviter une crise énergétique. C'est dans ce but qu'il s'est rendu au Sénégal fin mai, avec qui l'Allemagne mène des discussions « intensives » pour participer à des projets autour de ses ressources en gaz. « Cela a du sens » et il « est dans notre intérêt commun d'accomplir des progrès », avait assuré Olaf Scholz quand le président sénégalais, Macky Sall, s'était dit « prêt (...) à travailler dans une perspective d'alimenter le marché européen en GNL ». Un optimisme à nuancer, selon Paul Maurice : « L'Allemagne se tourne un peu plus vers l'Afrique de l'ouest mais elle y rencontre une grande concurrence avec la Russie et la Chine mais aussi la France et aussi les Etats-Unis », remarque-t-il.

« Même si Olaf Scholz semble discret, il fait preuve de réactivité pour l'Allemagne et il est possible que, dans quelques mois, le pays parvienne à sortir de cette situation », poursuit-il. Mais pour le chercheur, l'hiver s'annonce décisif, notamment du point de vue des ménages allemands. « Nous sommes encore en été, mais l'hiver il peut faire très froid dans le nord du pays », rappelle-t-il, suggérant la possibilité que des pénuries ou restrictions ne soulèvent des questions sociales au sein de la population. Bien que les Allemands trouvent eux-mêmes des alternatives au gaz en se ruant sur les chauffages électriques, ces dispositifs sont beaucoup plus polluants, tout comme les solutions exposées pour l'instant par la coalition, et pourraient décevoir les attentes des électeurs ayant plébiscité un programme écologiste. Paul Maurice s'inquiète également de la possibilité que cette situation favorise un retour de l'extrême droite au pouvoir « quand les partis traditionnels se retrouvent, eux, dans une position complexe ».

Coline Vazquez
Commentaires 16
à écrit le 07/08/2022 à 16:01
Signaler
Allemagne : un gouvernement et une presse qui comprend les enjeux, ça aide. La France est écrasée d'information visant à dédouaner un secteur nucléaire dont, le moins qu'on puisse dire, les sous-performances pèsent aussi lourd que la guerre en Ukrain...

à écrit le 06/08/2022 à 13:02
Signaler
Si c'est vrai, il est tout de même choquant que le ministre de l'Economie et de la protection du climat écologiste, Robert Habeck, renforce son crédit auprès des Allemands après avoir sciemment menti voici à peine quelques semaines sur d'hypothétique...

à écrit le 06/08/2022 à 12:14
Signaler
Bonjour, ce que vous nommez "le réalisme" des verts allemands en matière énergétique (centrales au charbon réactivées, gaz de schiste américain plus cher et plus polluant, etc.) ne mériterait-il pas plutôt le nom de trahison de leurs électeurs?

le 06/08/2022 à 13:06
Signaler
La trahison a consisté à faire croire à leurs électeurs que des sources d'énergie pilotables, comme le gaz, le charbon ou le nucléaire, peuvent être totalement remplacées par des énergies aléatoires. Le retour à la réalité était de toute façon incont...

à écrit le 05/08/2022 à 20:37
Signaler
@ Sam, le biométhane ne peut être qu'un appoint assez modeste. Pour la bonne raison qu'il est tiré de déchets de végétaux qui se sont développés par photosynthèse, dont le rendement énergétique n'est que de l'ordre de 1%. Il faut donc d'énormes surfa...

à écrit le 05/08/2022 à 19:44
Signaler
Bonjour, l'Allemagne est devant le réaliste de ses choix énergétique de s'est 20 dernière année... Le gaz russe s'est bien, mais une fois coupé s'est la panique... Le redémarrage du nucléaire me semble souhaitable, un certains temps... Ensuite l'U...

à écrit le 05/08/2022 à 17:04
Signaler
Il nous faut donc envoyer Sandrine ROUSSEAU et ses acolytes chez les Grunnen Allemands. Comme d'habitude les Allemands montrent que lm'on peut être écologiste mais pragmatique et non idéologue contrairement aux Français.

à écrit le 05/08/2022 à 16:57
Signaler
Une nouvelle fois l’Allemagne se issue de l’Europe et de la France en particulier . Elle va même jusqu’à prôner le nucléaire qu’elle combattait et nous concurrencer dans la recherche de marchés sur l’Afrique francophone .

à écrit le 05/08/2022 à 15:05
Signaler
Vous ne parlez pas dans votre article de l’effort en cours pour produire du gaz à partir de méthane autrement dit du bio gaz… C’est dommage de ne pas en parler alors que c’est une solution qui est également activée est de plus en plus réaliste en com...

le 06/08/2022 à 13:15
Signaler
@Sam - Vous confondez biométhane (cf. réponse de BMD plus haut) et gaz de synthèse, par exemple produit par méthanation à partir d'hydrogène et de CO2. Le problème de ce dernier est le rendement très bas du processus de production. Mais il est vrai q...

à écrit le 05/08/2022 à 13:31
Signaler
Le principe de réalité est là, donc on essaie de paraître raisonnable parce que on n'a pas le choix !

à écrit le 05/08/2022 à 10:19
Signaler
Si on avait pas céder aux vert pour le barrage de Sivens, cette région aurait de l'eau aujourd'hui. Il faut couvrir la France de barrage où subir !

le 05/08/2022 à 17:09
Signaler
Ce n'est pas seulement pour les barrages hydrauliques grâce à MACRON à Nantes pas de nouvel aéroport et celui existant créé des nuisances insupportables aux Nantais dont la ville aux heures de pointe (12h 14h) est survolée par une nuée de réacteurs à...

à écrit le 05/08/2022 à 9:26
Signaler
Sur le fond les écologistes ont raison particulièrement sur les énergies fossiles gaz/charbon/pétrole. Ils se sont plantés sur le nucléaire par pure idéologie. Même si le nucléaire pose des problèmes, il a l'avantage de n'être ni du gaz, ni du pétro...

le 05/08/2022 à 13:07
Signaler
Pas si certain: car le risque nucléaire est de très faible probabilité mais d'impact énorme s'il se réalise. Qu'arriverait-il en cas d'attaque aérienne (par drone par exemple) sur une centrale nucléaire ? C'est toute une région qui pourrait être pe...

à écrit le 05/08/2022 à 8:38
Signaler
Les allemands comptent toujours exploité les autres a leur profit, de là, la facilité de raisonnement idéologique! Mais le retour a une certaine résilience, par la sobriété de ses "partenaires", l'handicape!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.