
Pandémie, guerre en Ukraine, inflation... L'accumulation des crises risque de laisser des traces sur l'économie du Vieux continent. Trois ans après l'arrivée du Covid, le marché du travail a retrouvé des couleurs. Le taux de chômage au sens du bureau international du travail (BIT) a atteint 6,5% de la population active en mars contre 6,8% un an plus tôt. Il s'agit de son niveau le plus bas depuis que le service de statistiques de la Commission européenne publie cet indicateur pour l'union monétaire. Et les créations d'emplois résistent également.
Malgré cette bonne santé, la productivité, c'est-à-dire la richesse produite par emploi, est très loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant crise. Selon une nouvelle étude d'Allianz Trade dévoilée ce jeudi 4 mai, les gains de productivité sont en chute libre en zone euro. « Nous sommes dans une situation où il y a plus de personnes employées que par le passé... mais qui travaillent moins d'heures qu'avant la crise et qui, surtout, sont moins productives par heure travaillée », a déclaré Maxime Darmet, économiste chez Allianz Trade. Cette chute troublante de la productivité pourrait à court terme peser sur « la reprise » alors que la croissance économique fait du surplace depuis plusieurs trimestres. La poursuite du resserrement de la politique monétaire en zone euro risque de freiner encore l'activité.
L'Espagne, la France et l'Allemagne dans le rouge
Parmi les grandes puissances du Vieux continent, l'Espagne est dans le rouge. La productivité par tête a plongé brutalement de 7,6% entre le dernier trimestre 2019 et le dernier trimestre 2022. Arrive ensuite la France avec une baisse de 2,9% et enfin l'Allemagne (-0,8%) qui limite la casse. « En France et en Espagne, la participation au marché du travail et les créations d'emplois ont augmenté significativement, cela a découragé les entreprises d'augmenter l'efficacité de la production et l'investissement », indiquent les économistes.
A l'opposé, l'Italie s'en sort mieux que ses voisins avec une légère amélioration de 1,6%. Malgré cette embellie, l'économie italienne reste empêtrée dans une productivité morose depuis des années. De l'autre côté de l'Atlantique, la productivité américaine a grimpé en flèche sur la même période (4,9%). Après avoir subi un électrochoc en 2020, l'économie étasunienne a réussi créer des millions d'emplois et faire repartir sa croissance. Mais le durcissement de la politique monétaire de la Réserve Fédérale pourrait changer la donne.
De la rétention de main d'oeuvre mais pas que....
Comment expliquer cette inquiétante chute de la productivité ? Il y a des facteurs conjoncturels et plus structurels. Les économistes d'Allianz évoquent des phénomènes de « rétention » dans certains secteurs. Pendant la pandémie, de nombreux Etats européens ont mis en place des mesures d'urgence pour soutenir les entreprises et les salariés. Parmi les dispositifs employés, le chômage partiel a notamment permis d'éviter une hécatombe et des destructions de postes par millions. « Il y a sûrement eu des rétentions de main d'œuvre dans certains secteurs », a déclaré l'économiste de l'OFCE, Eric Heyer, lors d'un point presse.
« L'industrie n'a pas ajusté l'emploi à la conjoncture. Notamment dans la fabrication du matériel de transport, les entreprises ont préféré attendre une baisse des tensions sur l'approvisionnement des pièces plutôt que de débaucher , a-t-il ajouté. Dans les services, il y a sans doute un moindre recours aux heures supplémentaires ». La poursuite des aides aux entreprises a pu favoriser le maintien « d'entreprises zombies ». « Beaucoup d'entreprises ont été maintenues sous perfusion et auraient dû faire faillite sans les aides », a indiqué Mathieu Plane également économiste à l'OFCE.
L'autre facteur avancé par quelques économistes est le volume de travail par salarié. «Malgré les tensions sur le marché du travail, la durée du travail n'est pas revenue à son niveau d'avant crise. Cela permet de créer du travail », a ajouté Mathieu Plane. Le chercheur a également pointé le développement de l'apprentissage en France qui a sans doute contribué à la baisse de la productivité dans les entreprises. En effet, les apprentis sont comptabilisés dans les effectifs des entreprises alors qu'ils passent un volume de temps important en formation.
La nature des emplois compte aussi
Enfin, les emplois créés peuvent également jouer en défaveur de la productivité. L'expansion des emplois de services aux entreprises (marketing, communication et à la personne (santé, enfance, vieillesse, livraisons) en Europe ne peuvent pas vraiment contribuer à améliorer les gains de productivité contrairement aux emplois industriels.
En outre, la précarisation du marché du travail avec des emplois de faible qualité et des revenus peu valorisés ne permettent pas non plus d'améliorer les gains de productivité alors que la rotation de la main d'œuvre est souvent élevée sur certains postes. Reste à savoir si le paradoxe d'une faible croissance riche en emplois va se prolonger.
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