Environnement : "Taxer les ménages serait une erreur politique" (Pascal Canfin)

La Commission européenne présentera le 14 juillet un ensemble de propositions législatives dans son paquet climat. L'Europe entend notamment réviser son système d'échange de quotas d'émission de CO2, établir un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et réviser les normes d'émissions pour les voitures. Pascal Canfin, président (Groupe Renew) de la commission de l'Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire au Parlement européen, explique les enjeux de ces réformes.
Pascal Canfin, député européen (Renew) : Nous sommes favorables à un fonctionnement du marché carbone qui passe par un prix élevé.
Pascal Canfin, député européen (Renew) : "Nous sommes favorables à un fonctionnement du marché carbone qui passe par un prix élevé". (Crédits : European Union 2021)

LA TRIBUNE - Le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre a été présenté comme l'un des principaux outils à disposition de l'Europe pour réussir sa transition climatique. Il a été établi en 2005. Pourquoi faut-il déjà le réformer ?

Pascal Canfin - Historiquement, le prix de la tonne de CO2 s'est longtemps situé entre 5 euros et 15 euros. Cela ne changeait rien aux modèles économiques. Quand ce prix atteint 50 euros, vous impactez plus profondément la rationalité économique des industriels. Les technologies décarbonées deviennent rentables et le charbon ne l'est plus. Le prix de la tonne de CO2 va probablement se stabiliser à court terme autour de 60 euros. Dans des secteurs comme l'aluminium, le ciment, les fertilisants, la chimie ou l'électricité, on bascule alors vers un monde où les technologies décarbonées deviennent rentables. En contrepartie d'une augmentation du prix du carbone nécessaire pour atteindre nos objectifs, il est normal, en parallèle, de mettre en place un ajustement carbone aux frontières. Cela assurera une concurrence équitable vis-à-vis des industriels qui, comme les Chinois, les Indiens ou les Turcs, paient chez eux zéro euro sur le carbone.

La Commission européenne prévoit d'annoncer un nouveau marché carbone spécifique au carburant et au chauffage. Cela équivaudrait à la création d'un système pollueur-payeur pour les ménages. Une telle proposition vous semble-t-elle acceptable ?

Je soutiens très fortement le paquet climat de la Commission, mais pas cette proposition de nouveau marché contre laquelle je me bats depuis plusieurs semaines. Taxer les ménages serait une erreur politique. Il est pertinent de mettre en place un prix du carbone pour les entreprises. Elles peuvent réaliser des calculs de rentabilité à dix ans, changer de fournisseur, licencier des salariés et en embaucher d'autres. Une famille ne va pas licencier ses enfants, elle ne va pas arrêter de les mettre à la crèche même si cela implique de s'y rendre en voiture. Le raisonnement ne peut pas être le même que pour les entreprises. Le prix du carbone est donc un bon outil pour les acteurs économiques rationnels. Pour les ménages, d'autres solutions existent.

Quels freins entendez-vous activer si cette proposition est effectivement posée sur le tapis ?

Je suis persuadé qu'il n'y a pas de majorité au Parlement européen, et qu'il n'en existe pas au Conseil non plus. Cette mesure, si elle est proposée par la Commission européenne, ne verra jamais le jour. En tant que président de la commission Environnement au Parlement européen, je suis contre. La majorité du groupe Renew est contre. Les ONG environnementales et les verts y sont également opposés. Tous les pays qui sont d'habitude des amis du Green Deal sont contre, comme la France ou l'Espagne. C'est une mauvaise idée qui vient de la CDU en Allemagne et Ursula von der Leyen ne devrait pas la reprendre à son compte.

Le système actuel d'échange de quotas d'émission prévoit de nombreuses exceptions et des quotas gratuits dans certains secteurs. Faut-il faire table rase et considérer tous les secteurs industriels à égalité ?

L'extension prévue au secteur maritime et à l'aviation va dans le bon sens. Il n'y a aucune raison que ces deux secteurs ne contribuent pas à l'effort climatique. La baisse des quotas gratuits est un élément primordial de la réforme. Il ne s'agit pas de les arrêter du jour au lendemain, mais de les diminuer de manière transitoire jusqu'à les faire disparaître. Ma proposition est de conditionner le solde de quotas gratuits à la réalisation des investissements qui permettent la décarbonation de l'industrie. Par exemple, quand une entreprise comme ArcelorMittal investit dans l'acier décarboné, cet investissement vert devrait continuer de générer des quotas gratuits. Il semble logique de ne pas leur faire payer le CO2 en même temps.

Le prix élevé du carbone ne risque-t-il pas de rendre certaines industries françaises moins compétitives ?

Il y a trois éléments indissociables. Nous sommes favorables à un fonctionnement du marché carbone qui passe par un prix élevé, mais aussi à une baisse des allocations gratuites et à la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour assurer une concurrence équitable. Je n'irai pas devant les salariés de cimenteries, d'aciéries ou d'usines d'aluminium pour leur annoncer que des emplois vont être supprimés parce qu'on met un prix du carbone à 60 euros pendant que l'acier chinois ou turc arrive chez nous à zéro euro.

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Le mécanisme européen d'ajustement aux frontières est-il compatible avec les règles de l'OMC ?
Oui. Même Pascal Lamy, ancien directeur général de l'OMC, défend ce mécanisme. Je tiens à envoyer un message à nos partenaires commerciaux : nous ne voulons pas rentrer dans une guerre commerciale pour le climat ! Nous ne sommes pas là pour faire des choses discriminatoires ou dérogatoires vis-à-vis des règles de l'OMC. Ce que nous voulons, c'est utiliser des règles de l'OMC qui permettent, pour des raisons environnementales et climatiques, de mettre en place des mécanismes d'ajustement. Nous serons les premiers au monde à le faire. Nous serons très probablement attaqués par quelques pays. Mais nous gagnerons à la fin parce que depuis le début, nous concevons ce dispositif pour qu'il soit compatible. On pourra dire aux Chinois, aux Indiens et aux autres que tout le monde a signé les règles de l'OMC et que notre dispositif y est conforme. Il n'y aura aucune raison de considérer qu'il s'agit de protectionnisme.

La France a défendu ce principe d'ajustement aux frontières depuis au moins deux décennies. Pourquoi l'idée ne s'est-elle pas concrétisée plus tôt ?

La France défend cette idée depuis l'époque de Jacques Chirac. On n'a jamais trouvé de majorité parce que la France était moins influente. Désormais, c'est le cas.

Pour atteindre ses objectifs climatiques, l'Europe entend mettre certains secteurs de l'industrie sous pression. L'automobile est dans le viseur avec la révision des normes d'émissions pour les voitures. Les industriels sont-ils prêts ?

La réforme des standards CO2 de l'industrie automobile est un élément clé du paquet de la Commission européenne, qui pourrait conduire à la fin de la vente des voitures thermiques en 2035. L'industrie automobile m'est apparue profondément divisée à ce sujet. Des acteurs comme Volkswagen ou Renault y sont favorables parce qu'ils possèdent un temps d'avance dans leurs investissements. D'autres comme BMW sont contre. Je ne sais pas si Stellantis est pour ou contre, mais Carlos Tavares sait que cette échéance sera inéluctable. Je défends par ailleurs l'idée d'un fonds de transition juste « auto », essentiel pour accompagner les salariés des PME directement concernés, et à qui il faut proposer de nouvelles perspectives.

Le secteur aérien a-t-il fait pression pour échapper à la réforme ?

Je n'ai pas reçu de pression des représentants du transport aérien. L'aérien a disposé jusqu'à présent de 80 % de quotas gratuits dans l'ancien système d'échange. Ce n'est pas acceptable et ce pourcentage va baisser très significativement. L'aérien va payer une part plus juste de l'effort climatique. J'ai pu constater un soutien politique fort à cette mesure dont le champ d'application va maintenant entrer en débat. Par exemple, un vol Paris-Shanghai doit-il ou non être concerné ? Si oui, doit-on prendre en compte seulement le vol aller ? Ces questions spécifiques feront sans nul doute l'objet de négociations entre le Parlement et le Conseil européen.

Le paquet climat que la Commission européenne va présenter le 14 juillet pourra-t-il aboutir pendant le semestre de la présidence française du Conseil, début 2022 ?

Le paquet qui sort le 14 juillet sera composé de 13 textes. Certains d'entre eux pourraient effectivement être conclus sous présidence française. Nous y tenons absolument. Il me semble peu probable que tout puisse être conclu. Cela dépendra du rythme des négociations mais quoi qu'il en soit, le train est lancé et l'Europe a toutes les clés pour prendre le leadership de la bataille climatique mondiale.

Propos recueillis par Olivier Mirguet

Commentaires 18
à écrit le 14/07/2021 à 17:10
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Ne pas comprendre que la taxation des entreprises se répercutent de facto sur le prix et ensuite le consommateur est soit de l'incompétence , soit de la bêtise ... Pour un élu vert , je dirais les deux ... Voila , ce qui arrive lorsqu'on laisse des t...

à écrit le 14/07/2021 à 10:45
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Supprimons la Commission Européenne, cette administration tatillonne, bureaucratique et gargantuesque qui se prend pour ce qu'elle n'est pas : l'Europe ! Un Secrétariat général restreint et soumis la remplacerait avantageusement. Et avec moins d'impô...

le 15/07/2021 à 10:36
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Il serait temps que chaque pays européens puissent donner leurs avis par référendum. L'union européenne est sortie de ses compétences initiales qui étaient uniquement des règles économiques....!!!!!!! Elle est devenue progressiste avec ses règles i...

à écrit le 14/07/2021 à 10:06
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Il apparait évident que si taxer les ménages est une mauvaise chose, le fait de taxer les entreprises n'aura strictement aucune répercussion sur les prix facturés.... aux ménages. Merci pour ce bon moment de rigolade. Qui n'en sera vraisemblablement...

à écrit le 14/07/2021 à 4:56
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Marc 469 est micronniste. En 22 il revotera pour son maitre, il en faut des esclaves.

à écrit le 13/07/2021 à 19:13
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Pascal Canfin, ex EELV si je ne m'abuse ... tout est dit.

à écrit le 13/07/2021 à 16:37
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La TICGN, restée à 40€ la tonne de CO2 (suite aux GJ, devait grimper par paliers à 150€ en France), présente sur la facture de gaz, elle alimente quoi ? Collectée par les douanes mais va dans le grand budget de l'Etat (ça sert juste à décourager de c...

à écrit le 13/07/2021 à 15:25
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Seule des mesures immédiates permettent d'inverser le processus du réchauffement climatique , mais aucun pays ne le souhaite ! alors le reste on a l'habitude de nous rendre coupable pour nous vider les poches. On peut supprimer toutes émissions d'un ...

à écrit le 13/07/2021 à 14:42
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L'individualisme est devenu tellement preignant dans ce pays que plus personne ne supporte les impôts ou taxes. Et le pire, c'est que ce sont nos élites qui initient cet état d'esprit. Mais comment peut-on agir pour la collectivité, pour le bien com...

le 13/07/2021 à 15:21
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Dans un pays champion du monde de prélèvements obligatoires, il n'est pas étonnant qu'il y ait une grande aversion aux impôts.

le 13/07/2021 à 15:22
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Dans un pays champion du monde de prélèvements obligatoires, il n'est pas étonnant qu'il y ait une grande aversion aux impôts.

le 14/07/2021 à 4:55
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Pregnant, c'est plus simple.

à écrit le 13/07/2021 à 14:34
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Tout ce qui passe par... la monnaie, moyen d'échange, est une mauvaise politique, sauf pour ceux qui l'accumulent... ce qui poussera la B.C.E a jongler avec la comptabilité et "l'imprimerie"!

à écrit le 13/07/2021 à 14:11
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le vil menteur!! pinocchio, sort de ce corps! evidemment que c'est les menages qui vont payer, ca va pas etre le pape, si? les taxes et consors vont juste etre refacturees, et on sait deja qui sont les fachos qui vont hurler contre les capitalistes q...

à écrit le 13/07/2021 à 13:34
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Il est hors sol l'ecolo.... Il croit que si l'UE taxe les sociétés, elles ne vont pas répercuter les nouvelles taxes dans les prix de vente ?... Quelque soit la méthode, c'est l'acheteur final qui paye...

à écrit le 13/07/2021 à 13:25
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Bah l'UE n'en serait pas à sa première erreur loin de là, on est même d'abord et avant tout habitué à cela. Le plus dramatique étant la déconnection totale de ces gens qui détruisent le monde en ronflant avec la société réelle par contre car comme vo...

à écrit le 13/07/2021 à 13:06
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Macron est une énorme erreur de casting commise par les français, et tout son parcours depuis son élection n'est qu'une suite d'erreurs. Alors une de plus....

le 13/07/2021 à 13:47
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Parlez pour vous mais pas pour tous les français.

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