Fin des quotas de carbone gratuits dans l'UE : les Vingt-Sept ne s'entendent pas

Pour s'attaquer à leur pollution importée et relocaliser leurs industries, les Etats membres de l’UE ont donné un accord de principe, ce mardi, à la mise en place d'un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Concrètement, il s'agirait de faire payer aux importateurs de marchandises en Europe les émissions polluantes liées à la fabrication de celles-ci, afin de mettre sur un pied d’égalité les entreprises de l’UE, soumises à des normes climatiques strictes, et leurs concurrents étrangers fortement émetteurs. Mais les Vingt-Sept n'ont pas su s'entendre sur une question clé : celle de la disparition des quotas d’émissions de CO2 aujourd’hui distribués gratuitement aux industriels européens, qui ira de pair avec la mise en place d'un MACF. Explications.
Marine Godelier
(Crédits : Francois Lenoir)

« Verdir » les marchandises issues de pays aux normes environnementales peu strictes qui arrivent dans l'Union européenne, en soumettant les importateurs aux mêmes exigences climatiques que les entreprises du Vieux continent (confrontées à une concurrence parfois déloyale) sous peine de payer une taxe. Tel est le principe du « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe » (MACF) que la France promettait de mettre à l'agenda lors de sa présidence du Conseil de l'UE, entamée dès janvier 2022.

Chose promise, chose due. Réunis à Bruxelles ce mardi, les ministres européens des Finances ont approuvé à « une très large majorité » un compromis sur ce texte, qui prévoit une mise en place du MACF dès 2023 pour une application intégrale en 2026. Seront ainsi concernées les importations dans plusieurs secteurs très polluants, de l'acier à l'aluminium, en passant par le ciment, l'engrais et l'électricité.

« C'est une décision majeure pour l'UE », a immédiatement salué le ministre de l'Economie français, Bruno Le Maire.

Protection contre le dumping climatique

De fait, pour l'Hexagone comme pour ses voisins, l'enjeu est colossal. Car en appliquant à tout le monde les mêmes critères que ceux du système européen d'échange de quotas d'émissions (ETS), l'UE pourrait poser la première pierre à une tarification mondiale du CO2. Et, par là-même, réduire ses émissions importées de gaz à effet de serre, concentrées notamment en Chine et qui ne cessent d'augmenter (+ 53 % pour la France depuis les années 1990, par exemple, alertait en octobre 2020 le Haut Conseil pour le Climat).

Mais ce n'est pas tout : en faisant grimper les coûts des produits polluants issus d'autres marchés - aux tarifs aujourd'hui tirés vers le bas, le MACF pourrait permettre à l'UE de relocaliser ses industries. En bref, constituer une protection clé en main contre le « dumping climatique » : la mesure a de quoi séduire les industriels européens.

« Le MACF représente pour eux une opportunité d'investir dans un cadre de concurrence stable, tout en incitant les pays tiers à décarboner leurs productions. D'autant qu'en France, on dispose d'une électricité bas carbone », note ainsi Caroline Mini, cheffe de projet au groupe de réflexion La Fabrique de l'industrie et auteure d'une note récente sur le sujet.

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La question centrale des quotas gratuits

Mais tout est loin d'être réglé. En effet, les Vingt-Sept n'ont pas réussi à trancher sur la question la plus épineuse : celle de la suppression des quotas d'émissions gratuits aujourd'hui alloués aux industriels européens pour leur permettre d'affronter la concurrence inéquitable des pays tiers. Autrement dit, personne ne sait ce qu'il adviendra de ces « droits à polluer » qui leur sont offerts afin d'éviter de gonfler leurs prix et leur permettre de tenir le coup sur un marché mondialisé fortement concurrentiel (plutôt que d'aller produire ailleurs, dans un cercle vicieux néfaste pour la planète).

En toute logique pourtant, qui dit MACF, dit suppression de ces quotas gratuits, puisque les industriels européens devront être mis sur un pied d'égalité avec les importateurs.

« Le mécanisme d'ajustement aux frontières pour le carbone devrait être une alternative à l'allocation gratuite pour faire face aux risques de fuite de carbone », peut-on ainsi lire dans la première proposition de la Commission en la matière, dont le contenu avait fuité l'été dernier.

Ainsi, les secteurs industriels couverts par la nouvelle mesure « ne devraient pas bénéficier d'une allocation gratuite », ajoute-t-elle.

Des dissensions profondes

Il n'empêche que, sur ce sujet, les Etats restent extrêmement divisés. A l'unisson de plusieurs pays, la Pologne, dont l'industrie est très émettrice de CO2, a notamment réclamé mardi le maintien de ces quotas gratuits « jusqu'à ce qu'il soit suffisamment prouvé que le mécanisme protège effectivement l'UE des fuites de carbone [c'est-à-dire le fait que des industries transfèrent leurs usines ou réalisent de nouveaux investissements à l'étranger, à la recherche de coûts de production moins élevés, ndlr] » hors d'Europe, et pour ne pas affaiblir le secteur énergétique face à l'impact du conflit ukrainien.

« Il y a un débat extrêmement fort à ce sujet, la Commission expliquant qu'on ne peut pas taxer à l'entrée ce qui sera gratuit pour les européens. La position de la France est plus nuancée : elle est pour laisser la porte ouverte à des quotas gratuits pour certains secteurs soumis à une très grosse concurrence. Mais ce serait l'exception, pas la généralité », expliquait en juillet dernier à La Tribune Ruth Guerra, avocate spécialisée chez KPMG.

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Pour l'heure, rien n'est encore gravé dans le marbre. « Les éléments relatifs à la fin des quotas gratuits seront traités » dans un texte distinct visant à réformer le marché du carbone européen, actuellement en discussion au Parlement comme parmi les Etats, a précisé mardi Bruno Le Maire.

Une chose est sûre : les négociations avec le Parlement européen pour finaliser le MACF ne pourront pas démarrer sans des « progrès suffisants » sur la question des quotas gratuits, a-t-il averti. D'autant que, d'un point de vue juridique, une double protection des industries du Vieux continent risque de poser des problèmes de compatibilité avec les règles de non préférence entre les nations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui pourrait ainsi retoquer le texte.

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Marine Godelier
Commentaires 2
à écrit le 16/03/2022 à 8:37
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Chut voyons, l'UE est en harmonie en ce moment nous disent les médias de masse, un renouveau, elle démarre enfin ! C'est nous les meilleurs du monde ! On va bouter les actions-obligations de Poutine hors d'UE ! Enfin bon c'est presque fait... ^^

à écrit le 15/03/2022 à 21:44
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Après être entrée en guerre contre la Russie ,nous voilà partie en guerre avec la Chine . Pour l'instant je ne voie pas de valeurs ajoutées ?Nous n'avons plus d'énergies ,plus d'usines , pas de matières premières ,ect.. À part les taxes , les impôts ...

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