
[Article publié le jeudi 16 novembre 2023 à 11H30 et mis à jour à 14H07] Encore raté. Les Etats membres de l'UE ne sont pas parvenus à s'entendre ce jeudi 16 novembre, lors d'un second vote sur la proposition de Bruxelles de reconduire pour dix ans l'autorisation du glyphosate. La majorité qualifiée requise pour valider ou rejeter le texte - soit 15 Etats sur 27, représentant au moins 65% de la population européenne - n'a pas été atteinte. Peu de temps après le vote, la Commission européenne, à qui revenait de facto la décision finale, a confirmé qu'elle renouvellera l'autorisation.
« La Commission, en collaboration avec les États membres de l'UE, va maintenant procéder au renouvellement de l'approbation du glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines nouvelles conditions et restrictions », a ainsi indiqué l'institution dans un communiqué publié ce jeudi matin.
La Commission propose de renouveler son feu vert jusqu'à décembre 2033. Elle suit les recommandations d'un rapport d'un régulateur européen estimant que le niveau de risque ne justifiait pas d'interdire l'herbicide controversé. Pour rappel, l'autorisation actuelle du glyphosate dans l'UE, renouvelée en 2017 pour cinq ans, puis étendue d'une année supplémentaire, devait expirer le 15 décembre prochain.
Même désaccord il y a un mois
Le 13 octobre, un précédent vote des Vingt-Sept avait abouti au même résultat. Il avait aussi montré à quel point les 27 Etats membres étaient divisés sur la question. Si nombre de pays du Sud et de l'Est soutenaient la ré-autorisation, l'Autriche et le Luxembourg avaient fait part de leur volonté de voter contre.
Et, conséquence des divisions de la coalition au pouvoir à Berlin, l'Allemagne a annoncé « ne pas accepter » la prolongation de l'autorisation. Enfin, la Belgique et les Pays-Bas avaient indiqué s'abstenir. La France, première puissance agricole de l'UE, s'était abstenue.
« Cancérogène probable »
Le glyphosate, substance active de plusieurs herbicides - dont le Roundup de Monsanto, très largement utilisé dans le monde - avait été classé en 2015 comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé. Selon l'agence, « des études cas-témoins d'exposition professionnelle conduites en Suède, aux Etats-Unis et au Canada ont montré des risques accrus de lymphome non hodgkinien » (un cancer du sang).
L'OMS a dit disposer de « preuves limitées », mais les experts les ont considérées suffisantes pour alerter sur un effet cancérogène chez l'humain. Selon le CIRC, des « preuves convaincantes » montrent que le glyphosate peut également provoquer des cancers chez les animaux de laboratoire.
A l'inverse, en juillet, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a indiqué n'avoir identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l'environnement susceptible d'empêcher l'autorisation de l'herbicide. Elle a seulement relevé un risque chez les mammifères pour la moitié des usages proposés, et reconnu qu'un manque de données empêchait toute analyse définitive.
Pour tenir compte de ces avis, Bruxelles propose quelques garde-fous, notamment avec l'établissement « par défaut » de « bandes-tampons » et des équipements réduisant les « dérives de pulvérisation », tandis que l'usage pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant récolte) serait interdit. Par ailleurs, chaque Etat restera chargé d'autoriser les produits contenant du glyphosate, en fixant les règles d'utilisation selon les cultures, conditions climatiques et spécificités géographiques.
L'herbicide continuera « à être encadré » en France
La France, qui s'est également abstenue lors du vote d'aujourd'hui, « regrette » que la Commission européenne n'ait pas pris en compte ses propositions visant à restreindre l'usage de l'herbicide a indiqué le ministère français de l'Agriculture.
« La France n'est pas contre le principe du renouvellement de la molécule », nuance le ministère. Depuis des mois, le gouvernement français répète qu'il ne peut y avoir d'interdiction sans solution. En revanche, la première puissance agricole européenne « veut réduire rapidement son usage et encadrer l'utilisation de la molécule, pour en limiter les impacts, et la remplacer par d'autres solutions chaque fois que c'est possible », ajoute le ministère.
Le gouvernement avait donc demandé à la Commission d'encadrer plus « strictement les usages du glyphosate » et suggéré plusieurs propositions. L'herbicide continuera « à être encadré » en France, a indiqué le ministère. « Son utilisation sera toujours autorisée là où il n'existe pas d'alternative, et le gouvernement, à travers le plan Ecophyto (d'évaluation des substances utilisées et de recherche de nouvelles molécules, NDLR), continuera à rechercher des alternatives et à accompagner les agriculteurs », est-il ajouté.
Paris avait aussi demandé à la Commission une durée inférieure à 10 ans pour la ré-homologation du glyphosate « afin de pouvoir intégrer les compléments d'analyse (sur les effets du produit sur la biodiversité, NDLR) dès qu'ils seront disponibles ». Une proposition qui n'a pas non plus été retenue.
Les yeux tournés vers l'application de la France
La décision de la Commission a été accueillie avec consternation par les défenseurs de l'environnement.
« Greenpeace France s'indigne contre cette décision et dénonce un déni de la science », écrit l'ONG. « C'est un vrai coup dur, non seulement pour l'agriculture et l'environnement mais aussi pour la santé humaine », alerte sa chargée de campagne Agriculture, Ariane Malleret, dans un communiqué, en fustigeant également « l'abstention de la France à ce vote et son manque de courage ».
« Si la réautorisation est confirmée, nous appelons Emmanuel Macron à tenir ses promesses et à interdire sans ambiguïté sur le territoire français l'utilisation de cet herbicide mortifère pour les humains, l'environnement et la biodiversité », plaide l'association.
Pour sa part, le principal syndicat agricole, la FNSEA, « salue la décision de la commission, qui a fait le choix du respect de la science » et « a suppléé à l'incapacité et à l'absence de courage politique des Etats membres » . Il s'adresse aussi au gouvernement français, qui doit désormais définir les conditions d'application de la décision dans l'Hexagone.
Le syndicat appelle notamment « dès à présent le gouvernement à respecter l'engagement de la Première Ministre, pris au dernier salon de l'agriculture lorsqu'elle déclarait qu'"en matière de produits phytosanitaires, nous respecterons désormais le cadre européen et rien que le cadre européen" ».
(Avec AFP)
Sujets les + commentés