Grèce : l'apprenti-sorcier Jeroen Dijsselbloem

Par Romaric Godin  |   |  1690  mots
Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe, veut un contrôle des capitaux en Grèce
Le président de l'Eurogroupe propose un contrôle des capitaux à la Grèce. Il existe pourtant d'autres solutions.

Le moins sérieux n'est peut-être pas celui qu'on croit. En essayant de discréditer Yanis Varoufakis, le ministre hellénique des Finances, a tout prix, même à celui d'une manipulation grossière - comme dans le cas du fameux doigt d'honneur à l'Allemagne qui s'est révélé être un montage - les grands médias européens ont fait oublier la figure de Jeroen Dijsselbloem, son homologue néerlandais et président de l'Eurogroupe.

Le « modèle chypriote » de Jeroen Dijsselbloem

Mercredi 18 mars au matin, sur la radio néerlandaise BNR, Jeroen Dijsselbloem a ainsi ouvertement évoqué un « scénario chypriote » pour la Grèce avec la mise en place d'un contrôle des capitaux pour stopper les retraits dans les banques grecques. Selon lui, cette solution pourrait permettre de stopper l'hémorragie de liquidités dans les banques et ainsi maintenir la Grèce dans la zone euro. Mais en faisant cette proposition, le ministre néerlandais ressemble de plus en plus à un médecin de Molière qui, refusant de voir l'origine du mal, propose un remède qui ne fera que l'aggraver.

D'où vient la peur des déposants ?

Pourquoi les déposants grecs retirent-ils leurs fonds des banques helléniques ? Pour deux raisons : la peur d'une sortie de la Grèce de la zone euro et le manque de confiance dans le système bancaire grec. Quelles sont les sources de cette défiance ? D'abord, évidemment, le blocage des discussions entre Athènes et les Européens. Un blocage dont la responsabilité est sans doute en partie partagée puisque le gouvernement grec n'entend pas, pour des raisons politiques, céder sur certains points essentiels. Mais Jeroen Dijsselbloem, le bon apôtre, n'est-il pour rien dans ce blocage, lui qui, le 16 février, a refusé de discuter sur la base de la proposition Moscovici avec la Grèce et a imposé un ultimatum à Athènes ? Lui qui, après avoir accepté le 23 février une liste de réformes présentée par Athènes a, le 6 mars, estimé qu'on avait « perdu deux semaines » ?

Qui joue avec le Grexit ?

Depuis les élections du 25 janvier, le gouvernement grec a fait d'importantes concessions, renonçant à réclamer une annulation partielle de la dette, acceptant de renoncer à revenir sur certaines privatisations, admettant de s'inscrire dans les accords de 2012. Mais en face, l'Eurogroupe dirigé par Jeroen Dijsselbloem a clairement joué la politique du pire pour imposer « ses » réformes. C'est principalement cela qui a fait craindre aux déposants grecs une issue sous forme de « Grexit. » Du reste, qui, dans ces négociations évoque clairement cette option ? Jamais les responsables gouvernementaux grecs ne l'ont fait. Ils ne cessent, à longueur des très nombreuses interviews qu'ils accordent à travers l'Europe, d'exclure catégoriquement le « Grexit. » Mais ce n'est pas le cas de leurs partenaires. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, l'ami de Jeroen Dijsselbloem, a ainsi ouvertement parlé de « Graccident », d'une sortie « accidentelle » de la Grèce de la zone euro. Avant la réunion du 20 février, il n'avait pas exclu ce scénario. Dans ce cas, comment en vouloir aux déposants grecs de prendre leurs précautions ? Mais, il faut le reconnaître, Jeroen Dijsselbloem n'est pas pour rien dans cette situation.

Le jeu trouble de la BCE

L'autre responsable, c'est évidemment la BCE. En levant la dérogation permettant d'accepter la dette hellénique comme collatérale dès le 4 février, soit avant même le début des négociations, l'institution de Francfort a clairement pris le risque d'un bank run, d'une course aux guichets. Et, dans ces conditions, on peut même juger que les déposants grecs ont fait preuve d'un grand sang froid car ces retraits n'ont pas pris la forme d'une panique bancaire. La BCE voulait clairement faire pression sur Athènes par ce mouvement. Elle y est parvenue en partie, mais l'on ne peut ensuite se lamenter d'un effet qui était prévisible. Du reste, si ces retraits posent problème, c'est bien parce que la BCE ne souhaite pas lever la pression et n'accorde aux banques grecques qu'un accès au compte-goutte à la liquidité d'urgence (elle vient de rajouter 400 millions d'euros sur plus de 65 milliards d'euros), relevant le plafond que de quelques centaines de millions d'euros à intervalles irréguliers.

De plus, selon l'accord du 20 février dernier, c'est bien elle, la BCE, qui dispose des 11 milliards d'euros qui demeurent dans le Fonds Hellénique de Stabilité Financière (FHSF) qui gère l'aide aux banques. Pour rassurer les déposants et stabiliser le système malgré les retraits, il suffirait donc de donner un accès plus large à la liquidité d'urgence et de renflouer, si besoin, les banques grecques en argent frais. Mais l'on notera avec intérêt que la BCE se refuse à ces deux mouvements. Pour une raison simple : dans ce cas, on relèvera la pression sur le gouvernement grec. Pourtant, donner plus d'air aux banques grecques ne signifierait pas relever le plafond autorisé du rachat des bons du trésor, ce ne serait pas un « chèque en blanc » à Athènes.

La pilule amère du contrôle des capitaux

Il y aurait donc d'autres solutions, plus simples, que le contrôle des capitaux. Mais ni l'Eurogroupe dirigé par Jeroen Dijsselbloem, ni la BCE ne les envisagent. Pour des raisons d'abord politiques : faire céder Athènes et imposer « leurs » réformes. Il est donc assez étrange de voir Jeroen Dijsselbloem venir proposer des remèdes à un malade dont il a sciemment aggravé l'état. D'autant que la pilule qu'il lui propose est un vrai poison. Le contrôle des capitaux permettrait certes de conserver les fonds en Grèce, mais ce serait un message négatif envoyé aux investisseurs internationaux qui n'en ont guère besoin. C'est une décision qu'il est très difficile de lever. Chypre n'en a pas fini, deux ans après avec ce contrôle et l'Islande le maintient six ans après l'avoir engagé. Le cas chypriote dont se réclame le Néerlandais devrait, par ailleurs, mieux l'inspirer. Ce contrôle des capitaux n'a guère attiré les investissements. Il a permis simplement de renflouer les banques chypriotes avec l'argent des déposants. Parler de Chypre alors qu'il y a des retraits est totalement inconscient. A Chypre, les déposants ont vu leurs dépôts de plus de 100.000 euros utilisés pour recapitaliser les banques. L'argent a été transformé en actions dont la vente a été bloquée. Tout déposant grec connaît cette histoire et n'a qu'une envie à l'évocation de ce précédent : retirer ses fonds...

Un premier pas vers le Grexit...

Jeroen Dijsselbloem joue d'autant plus avec le feu que le seul intérêt pour le gouvernement grec de procéder à un contrôle des capitaux pourrait être de préparer le Grexit que le Néerlandais prétend, dans la même interview, éviter. En effet, une fois des barrières placées pour les capitaux aux frontières, il est beaucoup plus aisé de décider d'une conversion de ces derniers dans une monnaie nationale. Il est également plus aisé dans ces conditions de prendre le contrôle des devises, notamment des euros fiduciaires qui se trouvent sur le territoire grec. Une fois le cours légal de l'euro suspendu, l'existence d'un contrôle des capitaux permet de contraindre la conversion de ces devises à un cours fixé. L'Etat récupère ainsi plus facilement ces devises nécessaires pour financer les importations et peut également mieux maîtriser son taux de change et la prise de contrôle de la banque centrale. L'économiste Costas Lapravitsas, proche de Syriza mais partisan d'une sortie de l'Union économique et monétaire, fait, du reste, dans son dernier ouvrage, du contrôle des capitaux précédant le Grexit une des conditions de la réussite de ce dernier.

Incorrigible gaffeur, mais si respectable

Jeroen Dijsselbloem est donc, au mieux, un inconscient. Il est apparemment hanté par le cas chypriote, « sa » référence puisqu'il l'a géré juste après son arrivée à la tête de l'Eurogroupe. Il en a déduit que le contrôle des capitaux avait permis d'obtenir un gouvernement obéissant. Et sans doute y voit-il une façon de mieux « tenir » le gouvernement grec. Mais le gouvernement chypriote était déjà auparavant obéissant. Et il devrait se souvenir qu'à l'époque, en avril 2013, il avait provoqué une petite panique sur les marchés en parlant de « modèle » (« template ») chypriote pour les futures « aides » européennes...

Le ministre néerlandais est un incorrigible gaffeur. Mais ce qu'on ne pardonnerait pas à un Yanis Varoufakis, on le pardonne volontiers à un Jeroen Dijsselbloem qui est jugé par nature sérieux puisque, d'abord Néerlandais, ensuite favorable à l'austérité et, enfin, proche de Wolfgang Schäuble. Mais ce ministre travailliste, spécialiste d'économie agricole avant sa nomination, si prompt à donner des leçons aux Grecs, devrait balayer devant sa porte. Sa politique d'austérité n'a guère convaincu ses compatriotes, particulièrement ceux qui avaient voté pour le parti travailliste (PvdA), son parti.

L'exemple peu glorieux des Travaillistes néerlandais

La conversion, sous l'impulsion de Jeroen Dijsselbloem, des Travaillistes néerlandais, à l'austérité réclamée par les Libéraux du premier ministre Mark Rutte, leur a coûté politiquement très cher. Le PvdA, qui en 2012, sur un programme fort différent avait réalisé un score de 25 %, est désormais clairement sous les 10 %. Lors des élections européennes du 25 mai 2014, il a obtenu 9,4 % et les sondages lui donnent aujourd'hui 9,7 % des intentions de vote. Le 18 mars, lors des élections sénatoriales, il a chuté de 14 à 8 sièges et obtenu 10,5 % des voix... Compte tenu de ces performances, on peut comprendre que le gouvernement de Syriza ne soit guère attiré par les conseils de Jeroen Dijsselbloem qui, pourtant, est favori à sa propre succession au sein d'un Eurogroupe de plus en plus éloigné des préoccupations des peuples qu'ils soient grec ou néerlandais...