Industrie : la seconde vague creuse les déséquilibres de la zone euro

L'accélération de l'industrie européenne au mois d'octobre est principalement portée par l'Allemagne selon les derniers indices Markit. L'Espagne, l'Italie et la France sont encore loin de retrouver leur niveau d'avant crise et la multiplication des mesures de confinement et la hausse spectaculaire des contaminations plongent les industriels dans un épais brouillard pour la fin de l'année.
Grégoire Normand
La multiplication des foyers de contamination dans l'union monétaire durant cet automne a anéanti les espoirs d'une reprise rapide en zone euro.
La multiplication des foyers de contamination dans l'union monétaire durant cet automne a anéanti les espoirs d'une reprise rapide en zone euro. (Crédits : Ralph Orlowski)

La propagation de la seconde vague risque d'amplifier les disparités au sein de la zone euro. Selon le dernier bilan de l'institut Markit rendu public ce lundi 2 novembre, la croissance du secteur manufacturier s'est poursuivie au mois d'octobre. L'indice PMI, qui est très suivi par les milieux économiques, s'est établi à 54,8 au mois dernier contre 53,7 en septembre. Au-dessus de 50, l'activité est en zone d'expansion.

Derrière cette hausse, de sérieuses différences apparaissent entre les puissances du Vieux Continent déjà miné par la crise de 2008 et la crise des dettes souveraines de 2012. "Le secteur manufacturier de la zone euro a enregistré une croissance très soutenue en octobre, portée par de fortes expansions de la production et des nouvelles commandes, dont les taux ont été rarement surpassés au cours des vingt dernières années. Si les données de l'enquête permettent d'anticiper de nouvelles hausses de l'activité au cours du quatrième trimestre, elles mettent toutefois en évidence des disparités inquiétantes au sein de la région", explique Chris Williamson, chef économiste chez IHS Markit.

En outre, la recrudescence du virus en zone euro depuis le début du mois de septembre et le durcissement des mesures sanitaires pour limiter la propagation du virus (confinement, couvre-feux) risquent une nouvelle fois de plomber la reprise. Beaucoup d'industries pourraient disparaître après un printemps catastrophique. De plus en plus d'économistes redoutent les dommages à moyen terme d'un "stop and go".

L'Allemagne dans le vert, l'Espagne, l'Italie et la France en retrait

Le redémarrage de l'appareil productif européen est tiré par l'Allemagne depuis cet été. L'indice Markit affiche son plus haut niveau depuis deux ans et demi à 58,2. L'assouplissement des mesures de confinement et la réouverture des frontières à la fin du printemps ont permis aux moteurs de l'industrie allemande de rebondir très rapidement après une chute brutale au printemps. Mais l'Allemagne a réinstauré ce lundi un nouveau confinement national d'un mois qui prévoit la fermeture des restaurants, gymnases et théâtres afin de lutter contre la résurgence des cas de contaminations au coronavirus, ce qui pourrait menacer le rebond en cours.

Lire aussi : Le reconfinement, une mesure encore rare en Europe

Viennent ensuite l'Autriche (54), l'Italie (53,8) et l'Espagne (52,5). La France arrive en quatrième position avec un indice PMI à 51,3. L'activité manufacturière a poursuivi en octobre sa progression amorcée en septembre, soutenue par la hausse des volumes de production, même si celle-ci a ralenti par rapport aux mois précédents.

L'industrie tricolore, déjà en forte difficulté, a terriblement souffert au printemps au moment de la fermeture drastique des frontières. Si l'industrie repart mieux que les services, la forte spécialisation de la France dans certains secteurs (l'aéronautique, les paquebots et le luxe) et ses déficits commerciaux persistants risquent de plonger l'économie tricolore dans une crise durable. Compte tenu du faible poids de l'industrie dans l'économie tricolore, les usines ne risquent pas d'être le principal moteur de la reprise. En outre, le long mouvement de désindustrialisation entamée depuis la fin des années 70 risque de s'amplifier avec la propagation du virus sur le territoire. Au final, l'écart déjà très marqué entre l'Allemagne et les trois autres grandes puissances de la zone euro pourrait se creuser sur le front industriel.

Avec le reconfinement, le dernier trimestre s'annonce très difficile. "Même après le net
rebond observé au troisième trimestre, l'activité économique reste inférieure aux
niveaux d'avant la crise et la reprise fragile se heurte aux vents contraires de la
deuxième vague de la pandémie. L'activité devrait reculer d'environ 10 % pour
l'ensemble de l'année 2020 ; une contraction au quatrième trimestre devrait
contrebalancer les résultats meilleurs que prévu du troisième trimestre", a expliqué l'économiste du FMI Jeffrey Francks lors d'un point presse consacré à la France ce lundi.

La seconde vague comprime la demande européenne

La multiplication des foyers de contamination dans l'union monétaire durant cet automne a anéanti les espoirs d'une reprise rapide en zone euro. La mise en œuvre des nouvelles mesures de confinement et l'aggravation des mesures sanitaires affectent le moral des consommateurs qui redoutent une nouvelle vague de chômage.

Pour l'industrie européenne, une nouvelle baisse des carnets de commande et une demande en berne sont de très mauvais signaux pour la vente de biens. Sur ce point, les politiques macroécononomiques et la coordination des plans de relance entre les différents partenaires commerciaux de la zone euro vont jouer un rôle déterminant dans les semaines à venir.

Pour les économistes François Geerolf et Thomas Grjebine auteurs d'un chapitre sur la désindustrialisation dans l'ouvrage du CEPII consacré à l'économie mondiale en 2021, il est nécessaire de rééquilibrer la demande au sein de l'union monétaire.

"En pratique, pour rééquilibrer la demande au sein de la zone euro, il faudrait que les pays du Nord de l'Europe qui ont comprimé leur demande ces dernières années acceptent de consommer davantage, par exemple en baissant leur TVA de manière pérenne ou en augmentant leur dépense sociale. Cela soulagerait les exportateurs français et du Sud de l'Europe et leur permettrait de diminuer leurs dettes vis-à-vis des pays du Nord".

Pour les deux chercheurs, les mesures de relance décidées par l'Allemagne au mois de mai dernier vont "dans le bon sens avec la baisse temporaire de la TVA de 19% à 16% [...]. L'enjeu sera de rééquilibrer de façon durable la demande au sein de la zone, notamment en pérennisant cette baisse". Malgré cette décision jugée positive, il est peu probable que l'Allemagne accepte de réduire ses excédents courants. En effet, cette stratégie a permis à l'État allemand d'avoir des recettes fiscales bien supérieures au taux de croissance pendant des années. Dans le même temps, l'Allemagne, dépendante des chaînes de valeur européenne, n'a pas intérêt à avoir des partenaires commerciaux en Europe trop affaiblis.

> Lire aussi : Pourquoi l'Allemagne ne réduira pas son excédent courant

Grégoire Normand
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