"Je vous rappelle qu'il ne s'agit pas d'un débat national !" Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, a dû s'y prendre à plusieurs reprises pour faire taire Yannick Jadot. Le député européen, candidat des Verts à la présidentielle française, a dépassé généreusement son temps de parole, prévu à cinq minutes. Et a poursuivi ses attaques verbales contre le chef de l'Etat, sous le regard surpris de certains eurodéputés. "Vous présidez la France depuis cinq ans et à ce titre, vous êtes comptable d'un bilan", a insisté Yannick Jadot, tourné vers Emmanuel Macron assis à sa gauche au premier rang dans l'hémicycle. "Thank you, let's go", s'est finalement énervée la maltaise Roberta Metsola, qui siégeait cette semaine pour la première fois en tant que présidente de l'assemblée strasbourgeoise.
L'opposition française se lâche
Mercredi à Strasbourg, l'exercice institutionnel et convenu de présentation de la présidence du Conseil européen a pu agacer ceux qui n'étaient pas Français. Jordan Bardella, député européen et président par intérim du Rassemblement National, a clairement placé l'agenda français en tête des priorités. L'élu frontiste a appelé les électeurs à décider le 10 et 24 avril, au premier et au second tour de l'élection présidentielle, "du sort de la France et de l'Europe toute entière". "Vous avez très méthodiquement dit n'importe quoi sur tous les textes européens que nous allons signer", a rétorqué Emmanuel Macron, s'exprimant quelques instants un registre lexical peu habituel au Parlement européen. Manon Aubry, qui défend pourtant à l'échelle européenne un projet législatif majeur sur le devoir de vigilance des entreprises, venait elle aussi d'invectiver le chef de l'Etat à l'échelle hexagonale. "Vous servez la soupe au Medef sur l'évasion fiscale", a-t-elle attaqué, avant de rappeler à Emmanuel Macron ses propos passés sur "la protection sociale qui coûte un pognon de dingue".
Fallait-il s'attendre à davantage de hauteur dans les débats, eu égard au calendrier ? En accédant pour six mois à cette présidence tournante du Conseil européen, où la France succède depuis le 1er janvier à la Slovénie, Emmanuel Macron savait qu'il prêterait le flanc à la critique. "Ce choix de calendrier est une double erreur pour la France, et pour l'Europe", regrettait déjà l'année dernière l'eurodéputée Sylvie Guillaume, chef de la délégation socialiste française au Parlement européen. "Ce calendrier, vous l'avez cautionné. Il servira davantage votre campagne que l'Union européenne", a estimé François-Xavier Bellamy, chef de file des élus français du PPE, dans l'hémicycle devant Emmanuel Macron.
"J'ai été choquée par cette forme d'invective qui visait le président. D'habitude, les parlementaires s'adressent à leurs collègues", a réagi la députée Fabienne Keller (Renew), fraîchement élue en tant que questeur du Parlement européen. A la sortie de l'hémicycle, Anne Sander (PPE) se projetait déjà le 30 juin, au-delà des élections présidentielles, regrettant "que la France se mette à l'écart de la négociation européenne" pour cause de campagne nationale.
"Tout ceci n'est qu'un jeu de dupes. Tout le monde s'accuse de manipulation, au bénéfice des questions françaises et au détriment de l'Union européenne", regrette la socialiste Aurore Lalucq. "Les dossiers législatifs dont Emmanuel Macron a hérité sont pourtant intéressants. Avec l'accord à venir sur le salaire minimum, il peut donner l'impression qu'il est plus social qu'il ne l'est réellement", observe Aurore Lalucq.
"Nous accueillons tous les six mois une nouvelle présidence (du Conseil européen, NDLR). Cela devient une routine assez ennuyeuse", a reconnu l'Allemand Manfred Weber, chef de file des élus du PPE (conservateurs pro-européens), groupe majoritaire dans l'assemblée strasbourgeoise. "A chaque présidence, il y a énormément de priorités qui reviennent sur la table", a poursuivi Manfred Weber. Sous-entendu : ça n'avance pas assez vite. Avant de s'aventurer, à son tour, sur le terrain français en exprimant son soutien... à Valérie Pécresse.
"Quelle honte de transformer cet hémicycle en assemblée nationale", s'est alors emporté le macroniste Stéphane Séjourné, président du groupe Renew au Parlement européen. Signe de malaise, les rangs dans l'hémicycle n'ont pas tardé à s'éclaircir pendant la session de questions et de réponses, auxquelles Emmanuel Macron s'est pourtant prêté patiemment.
L'exercice s'est éternisé jusqu'au milieu de l'après-midi, privant le chef de l'Etat de son tête à tête prévu avec Roberta Metsola. Elue 24 heures plus tôt et critiquée pour ses prises de position anti-IVG, la présidente du Parlement était pourtant visée par la seule annonce concrète faite par Emmanuel Macron pendant son discours : la présidence en exercice du Conseil de l'union européenne s'est engagée à faire inscrire le droit à l'avortement dans la charte des droits fondamentaux de l'UE.