Trente ans après la chute du Mur, une harmonisation Est-Ouest inachevée

Alors que Berlin s’apprête à célébrer les événements ayant conduit à la réunification, la convergence entre l’Est et l’Ouest est sur de bons rails, même si les écarts restent bien ancrés dans la première économie de la zone euro.
Grégoire Normand
Les Allemands s’attaquent symboliquement au mur de Berlin, après l’annonce de l’ouverture de la frontière entre l’Est et l’Ouest, le 9 novembre 1989. Un an après, le 3 octobre 1990, l’Allemagne est réunifiée et la RDA disparaît.
Les Allemands s’attaquent symboliquement au mur de Berlin, après l’annonce de l’ouverture de la frontière entre l’Est et l’Ouest, le 9 novembre 1989. Un an après, le 3 octobre 1990, l’Allemagne est réunifiée et la RDA disparaît. (Crédits : DPA/DPA Picture Alliance)

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait sous les yeux et les caméras du monde entier. Le président russe Mikhaïl Gorbatchev avait prévenu son homologue américain George Bush de son « soutien » à la décision des dirigeants est-allemands de faire tomber cette barrière. La demande de liberté et la fin de la guerre froide ont accéléré cette transformation au cœur de l'Europe. Cette chute d'une frontière érigée 28 ans plus tôt laissa une place de choix à l'économie sociale de marché et à l'ordo-libéralisme théorisés par les penseurs germaniques.Beaucoup d'Allemands de l'Est ont alors découvert le système capitaliste occidental à l'œuvre dans les démocraties libérales.

L'effondrement de l'empire soviétique et de l'idéologie communiste annonçaient « la fin de l'histoire », selon le professeur de science politique américain Francis Fukuyama, dans un fameux essai publié en 1992. Trois décennies après ce tournant célébré partout en Europe, les Allemands s'apprêtent à fêter cette réunification. Si Angela Merkel s'est réjouie en septembre dernier que « la situation à l'Est est bien meilleure que sa réputation » lors de la présentation du rapport annuel sur l'unité allemande, les disparités persistent.

Une transition dans l'urgence

À la veille de la disparition de la frontière, l'économie de la République démocratique allemande est atrophiée. « Au moment de la réunification, la RDA est en banqueroute. Le système économique et social s'est effondré. Il fallait tout reconstruire en commençant par les routes, ou le réseau téléphonique. Les investissements que l'on réclame actuellement à l'Allemagne ont alors été réalisés massivement à l'Est au détriment de l'Ouest. Il était nécessaire de rebâtir d'urgence une économie viable, préalable à tout modèle social », rappelle l'économiste, spécialiste de l'Allemagne, Isabelle Bourgeois. Pour tenter de remettre sur pied cette économie déprimée, le chancelier Helmut Kohl met alors en place une taxe de solidarité, très décriée par une partie de l'opinion publique.

À l'époque, la fiscalité a considérablement augmenté et les dettes ont gonflé, laissant présager quelques années de marasme. Surtout, l'extension du modèle capitaliste rhénan aux Länder de l'Est réalisée dans l'urgence, ne s'est pas faite sans dégâts. « La difficulté est que ce modèle économique s'applique bien à un territoire défini. La réunification allemande a nécessité de passer outre l'économie sociale de marché avec une diminution importante de l'intervention de l'État dans l'économie », rappelle l'historienne Patricia Commun, spécialiste de la pensée économique allemande. Au lendemain de l'ouverture de la frontière, les autorités allemandes démantèlent un réseau de combinats, des petites unités de production inspirées du modèle soviétique, et de nombreuses usines ferment dans les cinq Länder de l'Est. Le gouvernement tente alors d'attirer les investisseurs étrangers alors que les pays satellites du bloc soviétique sont en pleine transition vers des régimes démocratiques.

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« Au cours de la période où les Allemands de l'ex-RDA ont demandé leur adhésion à la République fédérale, les États de l'Europe de l'Est menaient eux aussi leur révolution. Il y a eu, à ce moment-là, des accords de voisinage préfigurant l'intégration de ces États dans l'Union européenne. L'Est de l'Allemagne s'est alors retrouvé pris en étau. Les investisseurs ont sauté par-dessus leur territoire pour investir en Pologne, par exemple », ajoute Isabelle Bourgeois. Cette transition dans l'urgence n'a pas facilité la réunification des deux pays. En 1997, deux tiers des Allemands de l'ex-RDA ne se sentaient pas Allemands mais Allemands de l'Est avant tout. À l'aube des années 2000, l'Allemagne est qualifiée « d'homme malade » de l'Europe. Au milieu de l'été 2002, Peter Hartz, l'ancien responsable du personnel de Volkswagen, remet au chancelier Gerhard Schröder un rapport déterminant pour les années qui vont suivre.

Déclin démographique et multiplication des emplois à temps partiel

Celui-ci préconise une série de transformations structurelles, les fameuses lois Hartz. La plus connue, la loi Hartz I, va profondément modifier le fonctionnement du marché du travail en favorisant les temps partiels et la flexibilisation tout en permettant une « protection » des salariés au moyen d'un contrat. Au cours des années 2000, le chômage diminue, en partie en raison du déclin démographique et d'une multiplication des emplois à temps partiel (30,5 % à l'Est, contre 27,6 % à l'Ouest). En août 2019, le taux de chômage en Allemagne est de 4,8 % à l'Ouest, contre 6,4 % à l'Est (voir carte). Et les villes où le nombre de demandeurs d'emploi est le plus élevé se trouvent désormais en ex-RFA, à Gelsenkirchen, en Rhénanie-du-Nord (13,8 %, en avril), Bremerhaven, dans le Land de Brême, ou Duisbourg (12 %). L'ex-RDA se caractérise également par un taux d'emploi des femmes un peu plus important qu'à l'Ouest (73,9 % contre 71,6 %).

En outre, la qualité de l'emploi affiche des contrastes marqués entre les territoires. Ces disparités peuvent s'expliquer, entre autres, par les différents types d'entreprises implantées à l'Est et à l'Ouest. « Ce qui manque aujourd'hui dans les Länder de l'est de l'Allemagne, ce sont des sièges de grandes entreprises. Il y a certes un tissu de PME très compétitives et innovantes, mais on n'y trouve pas de grands groupes cotés. Ce sont surtout des filiales. La qualité des emplois - en majorité des jobs d'exécution - reflète cette situation. On compte moins d'emplois à responsabilité qu'à l'Ouest. Globalement, ceux des Länder est-allemands sont donc moins rémunérés », précise Isabelle Bourgeois.

Encore des inégalités de revenus

Les inégalités de revenus entre les différents Länder ont longtemps pesé sur la vie politique outre-Rhin. « Le dernier rapport sur l'état de l'unité allemande, en 2019, révèle que le PIB par habitant en Allemagne de l'Est équivaut à 75 % de celui de l'Allemagne de l'Ouest. Ce qui correspond peu ou prou à la moyenne européenne. En 1990, au moment de la réunification, ce niveau était de seulement un tiers », poursuit l'économiste. Le revenu disponible des habitants de l'Est atteint 85 % de celui des habitants dans les Länder de l'Ouest. Toutefois, « le coût de la vie est inférieur dans les Länder de l'ex-RDA », nuance la spécialiste. Sur le plan des salaires, « les niveaux sont aujourd'hui presque identiques, mais le rattrapage a été trop rapide. Il y avait une urgence politique, et non pas économique, à les harmoniser. L'économie des Länder est-allemands n'a pas eu le temps de mener sa transition à un rythme plus lent comme ont pu le faire la Pologne et les autres États est-européens. »

Le spectre de la récession

Depuis la fin de l'année 2018, l'économie allemande s'essouffle sérieusement. Selon de récentes estimations de la Bundesbank, il existe un réel risque de baisse du PIB au cours du troisième trimestre 2019, ce qui ferait entrer l'économie en récession dite technique avec deux trimestres de contraction de suite. « L'ouverture à l'international de l'appareil productif allemand a contribué à accroître toutes ces difficultés. Le ralentissement du marché mondial, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les incertitudes liées au Brexit, pèsent sur la demande adressée à l'Allemagne, notamment dans l'un des secteurs phares qu'est la construction mécanique », souligne Isabelle Bourgeois.

Pour la rédactrice en chef de la revue Regards sur l'économie allemande, le pays ne modifiera pas son modèle et ses principes. « Cela dit, il peut y avoir des ajustements. La grande coalition actuellement au pouvoir a décidé d'une plus grande redistribution à vocation sociale, mais sans pour autant renoncer à la consolidation des finances publiques. » Malgré les risques du ralentissement économique qui planent en Europe et les appels de la France à la relance budgétaire, l'Allemagne campe sur ses positions. En outre, des défis considérables comme la transition énergétique avec la sortie du charbon, la démographie et l'immigration pourraient encore retarder le rattrapage des Länder de l'Est.

ZOOM

A l'Est la tentation de l'extrême droite 
Créé en 2013, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) réalise ses scores les plus importants à l'Est, où il recueille désormais entre 20 à 30 % des suffrages, contre environ 10 % en moyenne à l'Ouest. L'Est, où les partis de gouvernement et l'ex-gauche communiste sont en perte de vitesse, est aussi le berceau du mouvement islamophobe Pegida, qui a rassemblé ces dernières années des milliers de manifestants chaque lundi à Dresde. Lors des dernières élections régionales en Thuringe, fin octobre, l'AfD est arrivée en seconde position derrière Die Linke, le parti de la gauche radicale, et devant la CDU d'Angela Merkel. Selon les spécialistes, le sentiment de faire partir des citoyens de seconde zone est très répandu dans les Länder de l'ex-RDA.

Grégoire Normand
Commentaires 8
à écrit le 10/11/2019 à 13:15
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La chute du mur islamique de France c'est pour quand ?

à écrit le 09/11/2019 à 18:38
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ils enviaient les biens de consommation de l'ouest, ils avaient oublié qu'il fallait les payer

le 10/11/2019 à 8:43
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Oui, et l'ouest a ensuite oublié de les payer comme eux pour avoir ces biens de consommations.

à écrit le 09/11/2019 à 11:27
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Oui, les démocraties actuelles mettent tout en oeuvre pour espionner au mieux les peuples qu'elles sont censées protéger (je parle des libertés) comme le faisait la stasi, tout cela au nom de la sécurité : surveillance de masse avec reconnaissance fa...

à écrit le 09/11/2019 à 10:58
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L'Allemagne de l'ouest a pillé l’Allemagne de l'est et ensuite exploité les allemands de l'est, forcément quand on prend le problème de cette façon, à long terme cela ne peut que laisser des tensions. Mais bon c'est les allemands aussi hein...

le 09/11/2019 à 11:33
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la France nest elle pas au pied du mur ,?

le 09/11/2019 à 12:02
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Notre pays, l'Allemagne et l'UE souffrent de ce cette soumission incompréhensible envers l'oligarchie allemande. Ce déni d'après guerre nous a anéanti... Quand on voit et entend un Schauble il n'y a que quelques années de ça exposer un visage hai...

le 12/11/2019 à 9:20
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@ multipseudos: "alors que les allemands roulaient en mercedes 190 2.5 turbo" Alors ça c'est un signe d'évolution c'est sûr hein !? :D Merci de consolider mon raisonnement mais je n'en avais nullement besoin, signalé.

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