UE : la protection des lanceurs d’alerte renvoyée à plus tard

La directive sur le secret des affaires pose des premiers jalons à Bruxelles. Mais la création d’un véritable statut des lanceurs d’alerte risque de se faire attendre.
La question de la protection des lanceurs d'alerte touche à de nombreuses compétences de l'UE, parfois exclusives (concurrence, environnement, marché intérieur) mais aussi partagées (fiscalité).

La définition du secret des affaires sera maintenant la même dans tous les pays de l'Union européenne. Le Parlement européen a adopté la directive « secret des affaires » à une large majorité le 14 avril lors d'un vote à Strasbourg.

Le texte garantit ainsi aux entreprises européennes un niveau de protection homogène contre l'espionnage industriel dans les 28 États membres.  La directive permet de « lutter contre l'espionnage économique et industriel, le pillage dont sont victimes nos entreprises européennes, de protéger notre innovation et notre recherche, de défendre notre compétitivité européenne » a détaillé la rapporteure du texte, Constance Le Grip (PPE).

Pas de statut pour les lanceurs d'alerte

Mais ses conséquences sur la liberté d'information ont créé la controverse, notamment sur la question des lanceurs  d'alerte.

     >>Lire : Le Parlement peine à concilier liberté de la presse et secret d'affaires

En effet, malgré des améliorations notables lors des négociations, la directive ne va pas assez loin en matière de protection des lanceurs d'alertes, selon les organisations syndicales et ONG européennes, mais aussi pour certains eurodéputés notamment du groupe des Verts, qui ont tenté sans succès de reporter le vote.

«En plein scandale des Panama Papers, l'urgence n'était pas de protéger les secrets d'affaires, mais bien les lanceurs d'alerte. C'est pourquoi les écologistes exigeaient le report du vote sur le secret des affaires tant que rien n'était fait pour protéger celles et ceux qui ont le courage de parler, malgré les poursuites et les pressions, au nom de l'intérêt public », a expliqué l'eurodéputé Pascal Durand (Vert).

La principale critique à l'encontre du texte porte sur «l'inversion de la charge de la preuve » explique Pascal Durand. En effet, il incombe par exemple aux lanceurs d'alerte de prouver qu'ils divulguent un secret d'affaires pour des raisons d'information du public, et non en raison d'un intérêt commercial. Un fonctionnement qui peut faire courir un risque judiciaire (et financier) disproportionné à ces derniers.

     >>Lire : Les députés français veulent exclure les journalistes de la directive « secret d'affaires »

Si le texte ne va pas assez loin en la matière, il a tout de même le mérite « d'inscrire pour la première fois dans le droit européen une protection spécifique des lanceurs d'alerte » explique l'eurodéputée socialiste Virginie Rozière,

« Le texte sur le secret des affaires ne peut pas répondre à l'ensemble des questions sur la définition légale des lanceurs d'alerte, ce n'est pas son objectif. Il faut un texte séparé, ce que nous négocions actuellement avec la Commission européenne » explique Virginie Rozière.

L'exécutif européen semble cependant frileux sur la question. « Nous avons discuté toute la semaine avec la Commission et nous n'étions pas loin d'avoir un engagement écrit pour un texte spécifique sur les lanceurs d'alertes » poursuit l'eurodéputée radicale de gauche.

Une directive « lanceur d'alerte » ?

Pour la Commission, la question d'un texte spécifique sur cette question est délicate. « La Commission reconnait l'importance d'une protection des lanceurs d'alerte » a expliqué un porte-parole à EurActiv.

Mais pour l'heure, le manque d'appétence des États membres pour un tel texte n'encourage pas Bruxelles à se lancer dans la rédaction d'une proposition de directive. La question de la protection des lanceurs d'alerte touche à de nombreuses compétences de l'UE, parfois exclusives (concurrence, environnement, marché intérieur)  mais aussi partagées (fiscalité).

     >>Regarder la vidéo : Quelles perspectives pour le secret d'affaires en Europe ?

Pour créer un statut européen protégeant les lanceurs d'alerte dans l'ensemble de ces champs, Bruxelles devrait donc faire approuver le texte à l'unanimité des États membres.

« Nous avons proposé à la Commission de légiférer sur la protection des lanceurs d'alerte uniquement dans ses champs de compétences exclusives. Mais pour l'instant la réponse n'a pas été satisfaisante » explique Virginie Rozière.

Protection parcellaire

À défaut d'un texte spécifique dans l'immédiat, Bruxelles pourrait cependant avancer sur une protection parcellaire des lanceurs d'alerte, notamment dans le cadre des négociations en cours sur le parquet européen.

« La Commission va chercher à garantir que les lanceurs d'alerte dénonçant des cas de fraude ou de corruption suspectés au parquet européen bénéficient de la protection nécessaire » détaille un porte-parole à la Commission.

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CONTEXTE

En novembre 2013, la Commission européenne a proposé une directive créant une définition commune du secret d'affaires et mettant en place des moyens permettant aux victimes de l'appropriation illicite d'un tel secret d'obtenir réparation.

Le vol de secrets d'affaires est un problème de plus en plus répandu au sein de l'UE. En 2013, une entreprise européenne sur quatre a fait état d'au moins un cas de vol d'informations (contre 18 % en 2012).

Les PME et les entreprises en phase de démarrage qui, en général, dépendent de la confidentialité encore plus que les grandes entreprises sont concernées, tout comme les entreprises innovantes et celles spécialisées dans le capital des connaissances (savoir-faire, R&D et produits créatifs).

De plus, le niveau de protection des secrets d'affaires varie considérablement d'un pays à l'autre de l'UE, en raison des différences dans les législations nationales et de l'absence de la notion de secret des affaires à l'échelle européenne.

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PLUS D'INFORMATION

COMMISSION EUROPÉENNE

PRESSE

  • Tribune de journalistes : Secret des affaires: informer n'est pas un délit - Médiapart
  • Tribune de syndicats : Loi Macron : prison pour les lanceurs d'alerte, syndicalistes et journalistes - Libération
  • Pétition « Ne laissons pas les entreprises dicter l'info - Stop à la Directive Secret des Affaires ! »

PARLEMENT EUROPEEN

CONSEIL

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Par Cécile Barbière, d'Euractiv.fr

(Article publié le 15 avril)

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Euractiv

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