Ce n'est pas un coup d'arrêt mais bien une inflexion dans la dynamique de collecte de l'assurance-vie. En juillet, la collecte nette sur ce produit phare de l'épargne des Français atteint 800 millions d'euros, selon les derniers chiffres de France Assureurs. C'est mieux qu'en juin dernier (600 millions) mais c'est presque deux fois moins qu'en juillet 2021 (1,4 milliard). Malgré tout, souligne Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs, les cotisations (collecte brute) des sept premiers mois de l'année ont atteint un pic historique depuis 2010 à 88,4 milliards d'euros, dont 41% investis dans des unités de compte (UC).
Reste que le contexte a radicalement changé en quelques mois. L'épargne des Français, après avoir connu des niveaux stratosphériques pendant la crise sanitaire, commence sa lente décrue. La flambée des prix de l'énergie et de l'alimentation a poussé l'inflation à des niveaux inégalés depuis des décennies, incitant les banques centrales à remonter brutalement leurs taux directeurs.
Un mouvement qui s'est traduit mécaniquement par un doublement du taux d'intérêt du Livret A à 2% depuis août, et un bond dans la foulée de la collecte sur ce placement liquide et garanti. Selon certaines projections, ce taux du Livret A pourrait même être relevé à 2,5% en février prochain. Enfin, les marchés financiers ne sont plus aussi porteurs que les années précédentes, avec désormais un risque de rechute permanent. Or, c'est en période de basses eaux, que les commissions prélevées sur l'assurance-vie deviennent les plus visibles pour les assurés et les rendre plus pointilleux sur la performance de leur contrat.
Décollecte plus soutenue sur les fonds euros
Malgré le recul des Bourses, ce sont toujours les unités de compte (supports non garantis et investis dans de nombreux actifs, en majorité des actions) qui continuent de tirer la collecte, bien aidés il est vrai, par le succès des plans d'épargne retraite (PEP) individuels. Depuis janvier, la collecte sur les unités de compte représente 23,4 milliards d'euros alors que les fonds euros (à capital garanti, majoritairement investis en obligations) - et qui représentent toujours près de 75 % des provisions mathématiques de l'assurance-vie- amplifient leur décollecte à 10,5 milliards d'euros, soit pratiquement le niveau atteint tout le long de l'année 2021 (11,8 milliards d'euros).
Une brusque accélération des rachats sur les fonds euros est le nouveau cauchemar des assureurs. Si la remontée des taux est bénéfique en termes de ratios de solvabilité et de meilleure performance à terme de l'actif, une remontée trop rapide des taux accompagnée d'une hausse des rachats se traduiraient par des moins-values sur le portefeuille.
D'où l'importance de maintenir une certaine attractivité du fonds euros, notamment au regard du livret A. Certes, les deux produits ne sont pas comparables. Mais tous les professionnels s'accordent pour dire que les épargnants, notamment les plus modestes, ceux dont la proportion de leur assurance-vie investie en fonds euros est la plus importante, comparent le taux servi par les deux supports.
Concurrence du Livret A ?
En 2021, selon l'ACPR, le rendement moyen du fonds euros était de 1,3 %, voire même de 1,08% selon les estimations du cabinet Facts & Figures sur l'assurance-vie individuelle. Face à un Livret A de 2 % ou plus, voire à de nouveaux produits plus rémunérateurs comme les obligations à échéance, les assureurs seront donc contraints de faire un geste cette année sur les fonds euros. Cyrille Chartier-Kastler, fondateur de Facts & Figures, estime que le taux moyen servi des fonds euros, au titre de 2022, pourrait se situer dans une fourchette comprisse entre 1,6% et 2%, voire plus de 2 % sur les contrats phares.
« Les assureurs ne pourront pas prendre le risque de proposer un taux trop bas sur le fonds euros pour éviter des sorties trop importantes au début de l'année prochaine lors de l'annonce des taux pour 2022 », juge en effet le consultant.
Ce risque est pour l'heure pris au sérieux par les assureurs sans pour autant les inquiéter. Mais les brusques poussées de fièvre sur les taux fin août montrent à quel point la situation est mouvante et potentiellement explosive. « La remontée des taux est une bonne nouvelle mais dans une certaine limite. Au-delà, la situation peut devenir compliquée », explique Cyrille Chartier-Kastler.
Puiser dans les réserves
Pour amortir le choc, les assureurs pourront toujours puiser dans leurs réserves, notamment dans la provision pour participation aux bénéfices (PPB), dont la fonction est de lisser la performance des fonds en euros dans le temps. Le montant de la PPB est de l'ordre de 85 milliards d'euros, soit environ 5 % des encours, mais tous les assureurs n'ont pas abondé de la même façon cette provision. Si les bancassureurs sont généralement bien dotés - au sacrifice des taux servis ces dernières années - d'autres ont préféré redistribuer plus largement aux assurés pour pallier la baisse des taux. C'est notamment le cas du contrat Afer, géré par Abeille Vie, et distribué par la puissante association éponyme, avec des taux traditionnellement en haut de la fourchette du marché.
Reste que l'assurance-vie est un paquebot, remplis d'épargnants « endormis », notamment la clientèle la plus âgée ou la plus modeste, qui se meut que très lentement. Seule la clientèle la plus patrimoniale serait susceptible de faire des arbitrages massifs au détriment du fonds euros. Or, cette clientèle aisée représente désormais 70 % de la collecte en assurance-vie, selon Facts & Figures. En clair, la clientèle modeste, la classe moyenne ou les retraités, traditionnellement investie dans le fonds euros, se détournent déjà de l'assurance-vie.
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