Cinq ans après le début de la crise des subprimes, le pouvoir des agences de notation est toujours aussi important. Tandis que jeudi, la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen doit se prononcer sur un nouveau volet de la réforme des agences, afin de « lutter contre la domination des trois agences dominantes et de réduire les conflits d'intérêts », les investisseurs, eux, mettent en garde contre le regain de volatilité qui pourrait être provoqué par ces mêmes agences sur les dettes souveraines.
Du retard à l'allumage à la normalisation
« Ce n'est pas un jugement de valeur, c'est la simple observation de leur mode de fonctionnement », explique Etienne Gorgeon, directeur de la gestion taux et crédit de Edmond de Rothschild Investment Managers. Pour lui, dans une crise, l'action des agences se découpe en quatre phases. « D'abord, elles regardent passer les trains. C'est ce qui s'est passé en 2007-2008 », détaille-t-il. Alors que la plupart des économistes avaient vu que les difficultés du secteur bancaire allaient avoir de fortes répercussions sur les finances publiques, les agences de notation sont restées relativement inertes.
Deuxième étape,; la phase de « normalisation » : les agences commencent à réagir. « En 2009-2010, la notation financière de plusieurs pays a été revue à la baisse, notamment la Grèce, mais aussi, le Portugal et l'Irlande », rappelle le directeur de la gestion taux et crédit de EdRIM.
Puis de l'accélération à l'exagération
Prenant conscience qu'elles sont en retard sur les marchés, les agences de notation entrent alors dans une phase d'accélération. « En quelques mois, l'Italie et l'Espagne ont subi quatre dégradations, et leur note est toujours sous perspective négative », constate-t-il.
Ces actions ne posent pas réellement de problème car, jusque là, les agences ne font que rattraper leur retard sur le marché. « C'est lorsqu'elles décident d'aller plus loin et de prendre quelques crans de sûreté pour assurer leur crédibilité qu'elles commencent à réellement influencer le marché », estime-t-il. Ainsi toute la question pour les notes de l'Italie et de l'Espagne, actuellement assorties d'une perspective négative comme de nombreuses notations souveraines, est de savoir si elles seront dégradées à BBB (ce qui est largement anticipé) ou à BBB-...
Moody's | Perspective | S&P | Perspective | Fitch | Perspective | |
Etats-Unis | Aaa | Négative | AA+ | Négative | AAA | Stable |
Japon | Aa3 | Stable | AA- | Négative | AAA | Négative |
Royaume-Uni | Aaa | Négative | AAA | Stable | AAA | Négative |
Allemagne | Aaa | Stable | AAA | Stable | AAA | Stable |
Pays-Bas | Aaa | Stable | AAA | Négative | AAA | Stable |
France | Aaa | Négative | AA+ | Négative | AAA | Négative |
Autriche | Aaa | Négative | AA+ | Négative | AAA | Stable |
Belgique | Aa3 | Négative | AA | Négative | AA | Négative |
Espagne | A3 | Négative | BBB+ | Négative | A | Négative |
Italie | A3 | Négative | BBB+ | Négative | A- | Négative |
Irlande | Ba1 | Négative | BBB+ | Négative | BBB+ | Négative |
Portugal | Ba3 | Négative | BB | Négative | BB+ | Négative |
Grèce | C | CCC | Stable | B- | Stable |
Source : EdRIM, 10 mai 2012
"Faire le marché" pour ne plus être à la traîne
« En dernier lieu, les agences entrent dans une logique d'exagération. Elles exigent des résultats tout de suite », constate Etienne Gorgeon. Le problème est que les plans italiens et espagnols ne devraient, au mieux, porter leurs fruits que fin 2013. « C'est le côté préemptif des agences qui peut être très dangereux, c'est-à-dire quand elles décident de « faire » le marché pour ne plus être à la traîne », estime-t-il, mettant en garde contre un regain de volatilité.
L'exemple de France Telecom : du double A au "high yield"
Autre exemple, celui de France Telecom dans la bulle Internet du début des années 2000. « Entre 2000 et fin 2002, suivant un cheminement similaire, France Telecom est passé d'un double A à un BBB- avec une perspective négative », rappelle-t-il. Problème : en 2003, lorsque l'opérateur a dû refinancer une partie de sa dette, celle-ci était considérée comme « spéculative » et la profondeur du marché du high yield (dette à haut risque et à haut rendement) n'était pas suffisante. L'Etat, alors actionnaire majoritaire, avait dû intervenir pour renflouer l'entreprise.
Reste à savoir si les régulateurs européens parviendront à mettre en place un cadre permettant de limiter l'influence des agences de notation. En attendant l'aboutissement du processus législatif, et compte tenu du nombre de notes souveraines assorties d'une perspective négative, elles auront plusieurs fois l'occasion d'alimenter la volatilité sur les marchés.
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