Brexit : la place de Paris veut lutter "contre les idées reçues" (fiscales)

Par Delphine Cuny  |   |  1278  mots
"Pour les hauts salaires, la France a le taux d'impôt sur le revenu le plus faible comparé à celui de ses concurrents directs" fait valoir Europlace dans son rapport "Brexit: la place de Paris en pole position en Europe pour attirer les entreprises".
Gérard Mestrallet, le président de Paris Europlace, a présenté ce mardi un rapport présentant les atouts de la capitale pour les établissements financiers obligés de relocaliser leurs activités après la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Tout en relativisant ses handicaps connus en termes d’impôts et de droit du travail.

Paris, sa tour Eiffel, ses bonnes tables, ses grands crus, sa place financière diversifiée, sa filière d'excellence en mathématiques et statistiques, mais aussi ses impôts et son code du travail de 3.800 pages : la France, qui s'est lancée dans une vaste campagne de promotion de la capitale auprès du monde de la finance londonienne en vue du Brexit, doit aussi faire face à cette piètre réputation dans les milieux d'affaires anglo-saxons.

Des préjugés contre lesquels il faut lutter, a insisté le président de Paris Europlace, l'organisation chargée de défendre l'attractivité de la place financière de Paris, Gérard Mestrallet, lors de la présentation à la presse, mardi, d'un rapport intitulé « Paris en pole position en Europe pour attirer les entreprises » :

« Contrairement aux idées reçues sur la fiscalité, au-delà des déclarations, de la mauvaise image, il faut regarder la réalité des chiffres », a déclaré le président du conseil d'administration d'Engie.

Baisses d'impôts à venir

Le président de Paris Europlace a détaillé :

« Le taux d'impôt sur les sociétés de 33% en France est similaire à celui de l'Allemagne et le gouvernement vient de voter son abaissement à 28% à l'horizon 2020 dans le projet de loi de finances : on rejoint la dynamique d'autres pays européens et peut-être finira-t-on par aller plus vite à la faveur de la campagne électorale. »

Autre point concernant les entreprises envisageant des relocalisations :

« Le taux d'impôt sur les revenus est de 38%, le même qu'en Allemagne pour un revenu de 300.000 euros. Il tombe à 24% si l'on tient compte du régime des impatriés, qui vient d'être amélioré, étendu à 8 ans. »

Droit du travail "amélioré"

En matière de coût du travail, là aussi, Paris Europlace entend remettre les pendules à l'heure. La France n'est pas cet enfer social décrit par certains patrons américains. "Pour les hauts salaires, le coût du travail en France est similaire à celui de l'Allemagne et des Pays-Bas" assure le rapport, en prenant l'exemple d'un salarié payé 100.000 euros brut par an. L'écart n'est cependant pas négligeable, du fait des contributions sociales employeur.

Gérard Mestrallet a également observé ce qu'il appelle des "améliorations" de la réglementation du travail :

« Au sujet du droit du travail, qui est depuis toujours un peu un caillou dans la chaussure pour notre pays, si on regarde bien, il y a eu des progrès incontestables, avec les lois Rebsamen, Macron et El Khomri II. Un patron de banque américaine me disait : si la législation britannique est plus souple, celle de la France est plus favorable qu'en Allemagne ».

Une place diversifiée et leader

Ce rapport, élaboré avec un grand cabinet de conseil international, compare selon toute une série de critères la capitale avec d'autres grandes villes européennes, tout aussi intéressées par les relocalisations d'activités financières de Londres vers le continent: Francfort, Amsterdam, Madrid, Bruxelles, Luxembourg, Dublin. Mais pas Milan, qui est pourtant sur les rangs, mais pâtit sans doute de son système bancaire fragile. Tout y passe : la durée de trajet en train, en avion, jusqu'à l'aéroport, le nombre d'écoles internationales, les frais de scolarité, etc. L'argumentaire est centré sur les données quantitatives financières.

« La France dispose du meilleur écosystème professionnel pour le secteur financier dans l'Union européenne. Le secteur financier y est diversifié, solide et profond » a plaidé Gérard Mestrallet. « Paris est déjà la première place continentale. »

C'est l'atout numéro un mis en avant pour enfoncer les places rivales.

« Paris est une place universelle, comme l'est Londres, par rapport aux places spécialisées que sont Dublin pour le back-office et Luxembourg pour la gestion d'actifs», a déclaré Arnaud de Bresson, le directeur général de Paris Europlace.

[comparaison des places financières européennes hors Londres. Paris Europlace]

Elle bénéficie notamment de la présence de 31 entreprises qui sont des leaders mondiaux de leur secteur, la fine fleur du CAC 40 pour l'essentiel, qui sont de grands émetteurs et clients des banques.

Taxe sur les transactions financières "mal venue"

Cependant, au-delà des propos de campagne, qui laissent des traces comme le fameux "mon ennemi c'est la finance" du candidat Hollande en 2012, il y a des réalités comme la taxe sur les transactions financières, que les députés viennent de décider de relever de 0,1% à 0,2% : un signal pas très "friendly" vis-à-vis des établissements de la City qui songeraient à délocaliser en cas de perte du "passeport européen" donnant accès au marché unique.

« Cette hausse est totalement inopportune », a réagi Gérard Mestrallet. « Ce n'est pas le montant en valeur absolue qui restera inférieur à ce qui est appliqué à Londres [la stamp duty de 0,5%, ndlr], mais c'est mal venu » quand on cherche à courtiser les milieux de la finance.

« C'est se tirer une balle dans le pied, les transactions financières c'est tellement facile à délocaliser. »

Certains, comme l'association des sociétés de gestion d'actifs (AFG), prônent même la création d'une zone franche (le comité italien Select Milano aussi), ce que semble écarter Paris Europlace, se retranchant derrière les commentaires du ministre des Finances Michel Sapin, qui a exclu la création d'un statut dérogatoire, particulier à la finance.

Francfort et l'avenir de Deutsche Börse

Gérard Mestrallet a également fustigé les avantages rognés sur les actions gratuites de performance, "un système d'incitation utile, le seul qui existe", et observé que "la France a beaucoup souffert des nombreux changements en matière fiscale". Évidemment séduit par la promesse de stabilité fiscale (après réformes) promise par le candidat de la droite François Fillon, le président de Paris Europlace a indiqué qu'il ferait des propositions "pour remettre la fiscalité de l'épargne à l'endroit", en favorisant l'épargne à risque (les actions) et longue.

L'objectivité a quelques limites : le rapport ne contient pas de comparatifs de ce type de taxes, au-delà des impôts classiques. Il met en parallèle les prix de l'immobilier uniquement entre Paris et Londres.

Il cite aussi Paris "au deuxième rang de la finance verte" : si la capitale française est effectivement le deuxième émetteur mondial de "green bonds" derrière les Etats-Unis, le Luxembourg, première place pour les obligations internationales, traite la moitié des volumes d'échanges de green bonds.

Cependant, c'est surtout Francfort, où siège la Banque centrale européenne, que Paris considère comme sa vraie rivale.

« Francfort est une ville de banques. Les Japonais nous disent : à Paris, nous avons nos clients, à Francfort nos concurrents ! » a déclaré Arnaud de Bresson.

Or la place allemande est susceptible d'être transfigurée par la fusion du London Stock Exchange avec Deutsche Börse. En cours d'examen approfondi à Bruxelles, cette fusion complexe déplacera le centre de gravité de la City, si elle est approuvée. Les dirigeants d'Europlace espèrent que Bruxelles retoquera ce rapprochement qualifié de "baroque" qui crée selon eux une position dominante dans les opérations sur titres.

Quoiqu'il en soit, la fusion ne changera pas formellement l'équation pour les banques implantées à Londres qui viendraient à perdre l'usage du "passeport européen". Beaucoup d'incertitudes demeurent pour ces établissements qui pourraient attendre, avant de trancher, de connaître les résultats des prochaines élections (en France et en Allemagne). Car l'environnement fiscal, qui semble tant peser dans la balance en défaveur de Paris à ce stade, pourrait être profondément modifié.

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