Comment la Blockchain s'apprête à « disrupter » l'économie

Rares sont ceux qui n'ont pas encore entendu parler de la Blockchain. Cette technologie en code source ouvert décentralisée, utilisée pour le bitcoin, la monnaie cryptographique, apporte une fiabilité inédite, qui permet à des personnes qui ne se connaissent pas d'établir des relations de confiance. Avec cette « chaîne de blocs » que l'on dit inviolable, bien des écosystèmes numériques peuvent s'affranchir de leurs intermédiaires, tiers de confiance et autres régulateurs. Après la banque et la finance, tous les secteurs d'activité sont en voie de l'adopter.
« Plus la chaîne est longue, plus l’opération est sécurisée. Il ne peut y avoir d’opération frauduleuse », commente Fabrice Drouin, directeur technique d’Acinq, une startup française spécialisée dans la Blockchain.

Tout le monde a entendu parler du sulfureux Bitcoin, la cryptomonnaie décentralisée la plus connue qui défie les devises établies. Elle a été utilisée pour se procurer des drogues sur la Silk Road (la « route de la soie »), engager des tueurs à gages ou s'offrir les services de prostituées dans le Darknet.

Certes, en volumes, le Bitcoin fait figure de nain face aux devises établies. Il n'empêche : depuis 2009, cette devise affiche, selon Bitcoin Charts, une capitalisation boursière variant de 5,8 à 6,9 milliards d'euros, pour près de 15 millions d'unités déjà en circulation. Pas mal pour une monnaie sans banque centrale ! Mais le plus impressionnant réside dans la Blockchain, la technologie en code source ouvert qui sous-tend le bitcoin et ses plateformes de change. Explications...

Un « notaire immatériel » et décentralisé

Forte des 10.000 transactions du Bitcoin par heure, la Blockchain démontre que des personnes qui ne se connaissent pas peuvent malgré tout collaborer (acheter, vendre) en toute sécurité sans passer par un tiers de confiance ou un quelconque régulateur. En plus efficace et pour moins cher, la Blockchain a le potentiel de devenir le « notaire décentralisé » des écosystèmes numériques. Finance, banque, assurance, Internet des objets (IoT), réseaux sociaux, sites de presse en ligne, commerce électronique, domotique, covoiturage, administration électronique... depuis quelques mois, la Blockchain s'immisce en silence au coeur d'un nombre sans cesse croissant de métiers fondés sur des transactions électroniques qui échangent informations, marchandises, devises ou valeurs boursières. Pour l'heure, seul le Bitcoin a une existence commerciale significative. Mais la partie immergée de l'iceberg se construit d'ores et déjà sous forme d'expérimentations en impliquant de nouvelles startups au sein de grandes alliances industrielles où les acteurs historiques (Nasdaq, Natixis, JP Morgan...) « viennent pour voir ».

Au plan conceptuel, la Blockchain s'articule autour de trois piliers qui forgent une confiance en perpétuel renouvellement entre les acteurs réunis dans un même réseau poste-à-poste - le même type de réseau que Skype ou Spotify. Premier pilier : des « blocs » de données chiffrés rassemblent les informations relatives à une transaction entre deux parties (date, montant, vendeur, acheteur, encodage cryptographique de la transaction, numéro de bloc, référence au bloc précédent, code de référence, numéro aléatoire d'identification de la transaction...). Ces blocs sont authentifiés et déchiffrés par les "noeuds" du réseau (des grappes de serveurs dédiés), puis additionnés par ordre chronologique. À l'instar des maillons d'une chaîne de vélo, chaque bloc est lié de façon irrémédiable à celui qui le précède, formant ainsi des "chaînes" de blocs qui coûteraient des fortunes à modifier. C'est ce qui construit le second pilier de la confiance.

En pratique, les blocs et leurs chaînes sont diffusés, archivés et horodatés dans une base de données distribuée qu'on appelle « Ledger », comme un journal de banque. Toutes les parties prenantes au réseau (acheteurs, vendeurs...) y accèdent en toute transparence et contribuent à la maintenir à jour.

« Plus la chaîne est longue, plus l'opération est sécurisée. Il ne peut y avoir d'opération frauduleuse », commente Fabrice Drouin, directeur technique d'Acinq, une startup française spécialisée dans la Blockchain.

Dernier pilier : un algorithme très puissant de chiffrement encode chaque bloc. Ce qui rend impossible l'altération de la chaîne et empêche la répudiation de la transaction. Et pour cause, il pose un problème mathématique très complexe qui mobilise d'énormes centres de données.

Appelés « Miners » (mineurs, en français), chacun d'entre eux effectue une partie du calcul cryptographique qui lui est arbitrairement dévolue par le système. Tout en étant rémunéré pour ce travail de « mining » (minage), le Miner contribue à valider les enregistrements de tous les blocs enchaînés les uns aux autres dans le Ledger.

« Cette approche réduit la complexité, le coût et l'insécurité des transactions entre parties qui ne se connaissent pas », explique Laurent Leloup, PDG de Chaineum, un incubateur virtuel parisien spécialisé dans les projets de startups de la Blockchain.

Bref, le système est transparent, mais pas forcément ses acteurs.

Quant aux règlements, c'est-à-dire les transferts de propriété ou les transferts d'argent, ils sont instantanés et immédiatement comptabilisés. Voire éclatés et répartis automatiquement entre tous les ayants droit. Autre précision : la Blockchain se base essentiellement sur des technologies en code source ouvert qui pourraient annoncer la mort d'un système économique fondé sur la centralisation, les régulateurs, la puissance régalienne et le logiciel propriétaire.

Même les plus grands menacés d'uberisation

Après avoir toisé le Bitcoin avec condescendance, le monde de la finance, de la banque et de l'assurance est le premier à avoir intérêt à en appliquer les concepts. Sous peine de se faire « désintermédier ».

« Ce secteur veut comprendre quels sont les acteurs ou les mécanismes qui risquent de disparaître, précise Joram Borenstein, vice-président chargé du marketing de l'éditeur américain de logiciels Nice Actimize. Il s'agit d'intégrer les technologies de la Blockchain au fur et à mesure qu'elles feront la preuve de leur fiabilité et de la maturité. »

L'enjeu financier et industriel est majeur.

« Avec quelques lignes de code, on peut se passer de tiers de confiance, d'intermédiaires, de régulateurs... reprend Fabrice Drouin. Les applications vont porter sur les transferts de propriété immédiats d'actifs financiers - actions, obligations, dettes, produits structurés... -, des prêts directs entre particuliers, des microtransactions de quelques centimes ou dizaines de centimes d'euros... »

Faute de prendre en compte cette révolution, les Bourses, les chambres de compensation, les sociétés de Bourse, les banques, les organismes de prêt à la consommation, les commissaires aux comptes et même les nouveaux sites de financement participatif des entreprises par prêt (crowdlending), pourraient rapidement apparaître inutiles. D'ailleurs, à court terme, les secteurs les plus avancés dans l'utilisation de la Blockchain, selon l'index Lest's Talk Payments (LTP), concernent les plateformes de change en bitcoins et de transfert d'argent comme BitPesa, Billion, Coinbase, CryptoSigma, Fundrs.org, Kraken, MeXBT, Ripple ou Stellar. Citons également les « Exchange » comme BTC-e, Coinbase, CoinMKT, Crypto Trade, UpBit et Vircurex... Cette menace n'a pas échappé à Visa, Nasdaq et Citi Ventures (filiale de Citigroup qui investit dans les startups fintech) qui se sont syndiqués en octobre dernier aux côtés de Capital One, Fiserv et Orange pour miser 30 millions de dollars dans la startup américaine Chain, créée il y a tout juste un an. Laquelle propose d'aider les institutions financières à créer des réseaux de confiance fondés sur la Blockchain. Au Royaume-Uni, la startup Blockchain, qui propose la même chose, avait levé 30 millions de dollars en 2014. Ces jeunes pousses sont talonnées par R3 qui rassemble pas moins de 42 banques ! Aux États-Unis, on compte Bank of America, Citi, Goldman Sachs, JP Morgan, Morgan Stanley. Et en Europe, Commerzbank, Crédit suisse, Deutsche Bank, HSBC, Natixis, Santander, Société Générale ou UBS. Dans la Silicon Valley californienne, on dénombre déjà près de 300 startups qui se basent sur la Blockchain.

« Jusqu'à présent, les startups [américaines, NDLR] de la Blockchain ont attiré environ 1 milliard de dollars en investissement. Ce montant est comparable à celui d'Internet à ses débuts », expliquait à Bloomberg Andreas Preuss, DG d'Eurex (Deutsche Börse) lors du congrès Futures Industry Association, qui s'est tenu début novembre 2015 à Chicago.

Le Graal de la vitesse et moindre coût

Mi-décembre, l'effervescence a atteint un nouveau sommet avec la nomination de Sir David Walker, l'ancien président de la Banque d'Angleterre, au poste de président de la startup britannique Setl.

« En simplifiant les processus de paiement et de règlement, Setl devrait être en mesure d'améliorer considérablement leur efficacité opérationnelle, a-t-il déclaré dans un communiqué. Ce qui devrait profiter à toutes les parties prenantes du marché et, surtout, réduire les coûts pour les épargnants et les investisseurs. »

Après avoir fait la démonstration, en octobre dernier, de sa capacité à gérer 5.000 transactions à la seconde, soit 432 millions par jour, Setl annonce être en mesure de dépasser la barre symbolique du milliard de transactions par jour !

De son côté, la startup parisienne Acinq « phosphore » sur Lightning, un réseau de paiement opérant au-dessus de la Blockchain, qui devrait être 100 fois plus performant que celui de Visa. Ces progrès sont nécessaires :

« Aujourd'hui, dans les opérations de paiement, on atteint la validation d'une transaction au bout de six blocs. Ce qui prend, en moyenne, dix minutes et coûte 16 dollars en électricité par transaction ! » souligne Fabrice Drouin.

D'autres jeunes entreprises comme Acinq, Blockchain, BlockCypher, Chain, Codius, Counterparty, Eris, Ethereum, HelloBlock, NXT ou R3 veulent y remédier.

La transparence par des « contrats intelligents »

Créée en mars 2015, Ethereum pousse un cran plus loin la logique de la Blockchain avec la notion de « Smart Contracts » (contrats intelligents). Avec cette technologie en code source ouvert, il devient facile de vérifier qu'un contrat, paramétrable et personnalisable à volonté - du plus simple au plus complexe - a été correctement exécuté ou même automatiquement exécuté, sans avoir à révéler aucune information confidentielle sur les parties. La startup suisse a construit un script qui permet de plus de créer sa propre monnaie chiffrée, compatible et interopérable avec d'autres, comme le bitcoin.

Pour se financer, Ethereum a lancé, du 5 août au 2 septembre 2014, la prévente de sa propre monnaie, l'éther, à hauteur de 42,75 millions d'unités au prix fluctuant de 2.000 éthers pour un Bitcoin, avec une valorisation de 30 éthers par jour, le tout payable en bitcoins. En quelques semaines, Ethereum a ainsi levé 12,7 millions de dollars ! Sans capital-risqueur ou banque. Pour Joseph Lubin, cofondateur d'Ethereum avec Vitalik Buterin (19 ans à l'époque), des centaines de tierces parties sont en train de construire de nouvelles applications au-dessus d'Ethereum pour créer des cryptomonnaies, des porte-monnaie électroniques, des messageries décentralisées, des places de marché électroniques professionnelles de réputation en ligne et bien sûr des places de marché « B to B » à base de « Smart Contracts ».

Les contrats intelligents de la Blockchain portent en eux les germes d'une autre révolution inéluctable : intégrer le contrat dans chaque transaction.

Autrement dit, « on peut imaginer d'insérer systématiquement les conditions générales de ventes ou un contrat d'assurance dans chaque bloc, prévoir la date du minage de la transaction - donc celle d'un règlement ultérieur de façon irrévocable », développe Laurent Leloup qui annonce la création d'une prochaine startup dans son incubateur Chaineum sur ce sujet.

Dans la foulée, les transactions en ligne de très faibles montants, quelques centimes ou dizaines de centimes d'euro, sont envisagées. Ce qui ne manquera pas d'intéresser les journaux et médias pour faciliter la lecture d'articles à la pièce, voire le visionnage de photos ou de vidéos. Et de monétiser les contenus publiés sur les réseaux sociaux.

Outre le secteur financier, nombre d'acteurs historiques s'engagent pour ne pas voir le train de la Blockchain leur filer sous le nez. En témoigne l'alliance entre la Fondation Linux et IBM, lancée mi-décembre, qui rassemble des sociétés du numérique comme Accenture, Cisco, Intel, R3, SWIFT ou VMware. Des acteurs de la banque et de la finance (Deutsche Börse, JPMorgan Chase & Co., London Stock Exchange Group, Mitsubishi UFJ Financial Group (MFUG) ou Wells Fargo. Avec une ambition : développer, à partir d'une plateforme

Blockchain qui sera disponible cette année, des applications verticales pour chaque industrie. Y compris dans l'Internet des objets et l'électroménager. Et ce n'est qu'un début.

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La "Blockchain" pour les nuls :

La Blockchain, c'est aujourd'hui le registre ou la base de données, totalement publics, où chaque accord entre deux parties sur un montant de bitcoin est incorporé de manière chronologique et définitive, depuis l'origine du bitcoin.

  • Après une identification de chaque partie par un procédé cryptographique (avec une clef publique et une clef privée, secrète) et une description de la transaction en nombre de bitcoins (fractions minimes souvent)...
  • La transaction est envoyée à un réseau d'ordinateurs décentralisés, volontaires, qui regroupent les transactions en bloc, donnent un nom au bloc puis effectuent un calcul complexe par itération qui vise à s'assurer que la transaction porte bien sur une fraction de bitcoin qui était disponible pour la partie qui l'envoie, de telle manière à éviter que ce morceau de bitcoin ait été utilisé auparavant. Le calcul, qui prend environ dix minutes pour un bloc de 150 transactions est vérifié aussi par les autres ordinateurs du réseau.
  • La capacité de calcul de ces ordinateurs (les « miners ») est rémunérée par l'émission de nouveaux bitcoins pour les propriétaires de ces ordinateurs, selon une loi qui prévoit un plafond du nombre de bitcoin émis en 2040. Le système évite donc les coûts élevés des tiers de confiance du paiement (banques, Visa, Mastercard, Paypal) en finançant le coût de vérification et d'enregistrement des opérations par la dilution des premiers détenteurs du bitcoin. La Blockchain peut être présentée comme un protocole d'ampleur identique à Html ou Smtp(e-mails). Le registre, en partie simple, qui vérifie, enregistre et publie, pourrait donc être appliqué aussi à d'autres transactions que celles sur les bitcoins. C'est pourquoi toutes les grandes banques du monde (cf. consortium de recherche R3CEV en 2015) voient le développement de Blockchains comme des sources d'économies importantes de coût et d'automatisation des processus d'enregistrement de masse, par exemple pour la conservation et le règlement livraison de titres. Beaucoup d'autres professions vont aussi s'y intéresser.

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