Cryptomonnaies : l'AMF prépare une liste noire de sites suspects

Par Delphine Cuny  |   |  788  mots
Robert Ophèle, le président de l'AMF, relève qu'il existe aujourd'hui "des sites totalement frauduleux" qui proposent des produits comme des options binaires. Le gendarme a constaté une recrudescence des signalements depuis septembre. (Crédits : Martine Mouchy)
L'Autorité des marchés financiers (AMF) a identifié une soixantaine de plateformes "suspectes" proposant des investissements en cryptomonnaies considérés comme dangereux. Si elles ne se mettent pas en conformité, des dossiers seront transmis au parquet et elles figureront dans sa liste publique des sites à éviter.

Le placement en bitcoin remplace-t-il le diamant d'investissement comme miroir aux alouettes pour épargnants ? Le nouveau président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Robert Ophèle, a en effet dressé un parallèle entre les deux ce jeudi, en présentant ses vœux à la presse. Relevant que des progrès avaient été réalisés, qu'il y avait eu "une baisse drastique du nombre de sites proposant des produits toxiques, souvent des diamants", grâce à ses pouvoirs de protection des consommateurs renforcés par la loi Sapin 2, il a déploré que "la situation n'est pas totalement assainie":

"La commercialisation de cryptomonnaies a pris le relais des diamants" a-t-il observé. "Nous avons identifié une soixantaine de plateformes suspectes proposant des investissements en crypto-monnaie."

Il a indiqué que l'AMF allait "engager un certain nombre d'actions : constater [les plateformes] qui semblent relever du régime des "biens divers" [comme les manuscrits, les œuvres d'art ou les bouteilles de vin, Ndlr] afin qu'elles se mettent en conformité et, dans le cas contraire, publier leur nom sur une liste noire". A l'image de ce qui a été fait pour les diamants, les options binaires, les marchés des changes (Forex).

Sites frauduleux et produits toxiques

Le président de l'AMF a prévenu que des "dossiers relevant de fraudes manifestes" seraient transmis au parquet. "Il existe des sites totalement frauduleux, qui usurpent parfois l'identité d'autres sites", a-t-il mis en garde. A partir de septembre, les signalements concernant des plateformes de commercialisation de cryptomonnaies ont explosé : les services de l'AMF en ont reçu plus de 300, dont 160 sur le seul mois de décembre, alors que le bitcoin atteignait des sommets, proche des 20.0000 dollars.

Il s'agit de sites commercialisant des produits autour des crypto-monnaies, notamment des "options binaires", des instruments de trading qui permettent de spéculer sur une très courte durée (quelques minutes, quelques heures) soit à la hausse, soit à la baisse, où l'on perd l'intégralité de sa mise si l'on se trompe, ou des CFD (contrats de différence), des produits dérivés à effet de levier, qui permettent de parier sur les variations à la hausse ou à la baisse d'un actif sous-jacent sans jamais le détenir.

La frontière est parfois floue : le site de trading de bitcoin, enregistré en Andorre, dont la starlette Nabilla faisait récemment la publicité, est gratuit parce que sponsorisé par eToro, une plateforme établie à Chypre, spécialisée dans le Forex et les CFD.

Ce type de placements "alternatifs" ou "atypiques" entre dans le régime des biens divers et ne peut faire l'objet de publicité ou de démarchage sans attribution préalable d'un numéro d'enregistrement auprès de l'AMF.

Les CFD et options binaires, destinés initialement aux investisseurs professionnels, semblent tellement dangereux et toxiques que l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a annoncé ce jeudi qu'elle envisageait d'en interdire la commercialisation auprès des particuliers.

Les limites des interdictions à l'ère du virtuel

Cependant, "l'achat/vente et l'investissement en bitcoin s'effectuent à ce jour en dehors de tout marché réglementé", rappelait  en décembre l'AMF.

"Parce qu'en principe, ils ne sont pas considérés en l'état actuel du droit comme des instruments financiers, le Bitcoin et les autres « crypto » actifs n'entrent généralement pas dans le périmètre de supervision directe de l'AMF", précisait-il.

Seuls les sites tombant sous le coup du régime des biens divers seraient concernés à ce stade. Le gendarme français relève que seules deux plateformes d'achat et de vente de cryptomonnaies en France opèrent avec un agrément d'établissement de paiement ou agent d'établissement de paiement accordé par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR, adossée à la Banque de France) : La Maison du Bitcoin et Paymium.

Le président de l'AMF a reconnu "les limites des interdictions dans un domaine où la commercialisation se fait par des moyens digitaux avec des localisations effectives difficiles à appréhender." Il a rappelé que le gouvernement a confié à Jean-Pierre Landau, ex-sous-gouverneur de la Banque de France, une mission sur les pistes de réglementation des cryptomonnaies, que le G20 et le FSB (le conseil de stabilité financière) se sont saisis de ce sujet.

"Les décisions nationales ne seraient pas efficaces. Il faut une approche globale. C'est un dossier qui va bouger cette année", a-t-il prédit.

En attendant, l'AMF devrait restituer d'ici à la fin du premier trimestre les réponses (plus de 80) à sa consultation publique sur les levées de fonds par émission de jetons échangeables en monnaies virtuelles (Initial Coin Offerings, ICO), pour lesquelles elle avait envisagé une sorte de prospectus et de visa.