Face à Libra, la Banque de France va tester une monnaie digitale de banque centrale

Par Delphine Cuny  |   |  866  mots
François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France. (Crédits : Banque de France)
Le gouverneur de la Banque de France a annoncé le lancement d'expérimentations et d'un appel à projets concernant la création d'une monnaie digitale de banque centrale au premier trimestre 2020. L'objectif est de tester d'abord une monnaie numérique interbancaire qui puisse servir de laboratoire en vue d'un éventuel futur "euro digital". Un enjeu de souveraineté pour l'Europe.

Si la Banque de France a multiplié les mises en garde à l'égard du Bitcoin mais aussi du Libra de Facebook, elle n'est pas opposée au principe de monnaie digitale, si tant que celle-ci soit émise par une institution. Le gouverneur, François Villeroy de Galhau, a annoncé ce mercredi 4 décembre le lancement d'expérimentations en vue de la création d'une monnaie digitale de banque centrale dans les mois qui viennent, lors d'une journée de conférence organisée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (adossée à la Banque de France).

« Nous entendons commencer des expérimentations rapidement et lancer un appel à projets d'ici la fin du premier trimestre 2020. Nous sommes particulièrement intéressés à participer à des expérimentations d'intégration d'une monnaie digitale de banque centrale « de gros » dans des procédures innovantes d'échange et de règlement d'actifs financiers tokenisés [sous forme de jetons numériques, ndlr] », a-t-il précisé.

Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, très remonté contre le projet Libra de Facebook, avait appelé de ses voeux en septembre dernier une monnaie numérique publique.

La Banque de France sera la première banque centrale au sein la zone euro à s'engager dans une telle démarche. La Riksbank suédoise a entamé très tôt une réflexion sur une éventuelle e-couronne mais qui n'a pas encore abouti. La Banque centrale chinoise travaille aussi à un projet de monnaie de paiement électronique.

Innover avec le privé

Pour expérimenter cette monnaie numérique interbancaire, l'institution compte travailler avec « des innovateurs privés de la place », dans le cadre de son Lab, et a transformé son organisation interne, en créant une direction des infrastructures, de l'innovation et des paiements. Nathalie Aufauvre, la directrice générale de la stabilité financière et des opérations, coordonnera l'ensemble de cette démarche, qui servira de laboratoire et contribuera à l'étude d'un éventuel « e-euro ».

Christine Lagarde, la nouvelle présidente de la Banque centrale européenne (BCE), l'a ouvertement évoqué lundi lors de son audition au Parlement européen, tout en jugeant nécessaire « une analyse plus approfondie » de la valeur d'une monnaie numérique de banque centrale et de sa conception optimale.

La Banque de France n'a pas précisé quelle technologie était envisagée et s'il pouvait s'agir d'un "stablecoin", une monnaie virtuelle dont le cours est totalement indexé à la valeur d'une monnaie ayant cours légal, en l'occurrence l'euro. On pense logiquement à la technologie blockchain, née il y a plus de dix ans avec le Bitcoin. La Banque de France a été l'une des premières banques centrales à lancer sa propre Blockchain, opérationnelle, à usage interbancaire, pour le traitement des identifiants de créanciers SEPA.

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Enjeu de souveraineté européenne

Le gouverneur a souligné l'enjeu de souveraineté pour la France et l'Europe.

« Je vois un intérêt certain à avancer rapidement sur l'émission d'au moins une monnaie digitale de banque centrale de gros afin d'être le premier émetteur au niveau international et tirer ainsi les bénéfices réservés à une monnaie digitale de banque centrale de référence », a déclaré François Villeroy de Galhau.

Il a rappelé que le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, avait défendu l'idée d'une "monnaie hégémonique synthétique", émise par « un réseau de monnaies digitales de banques centrales » qui pourrait  « atténuer l'influence dominante du dollar dans le commerce international ».

François Villeroy de Galhau a défendu les avantages que pouvait apporter la digitalisation des monnaies de banque centrale. Elle peut être une réponse à la forte baisse de l'utilisation des espèces, comme en Suède. Elle peut créer d'importants gains d'efficacité, réduire les coûts d'intermédiation et renforcer la robustesse du système « dans les activités de règlement et de post-marché », l'objectif recherché par la banque américaine JP Morgan qui a créé son propre crypto-actif, JPM Coin, pour accélérer les paiements de gros entre ses clients institutionnels et entreprises.

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« La création éventuelle d'une monnaie digitale de banque centrale [constitue] un enjeu majeur pour le futur du système monétaire et financier international », a estimé le gouverneur. « Nous, banques centrales, devons et voulons saisir cette injonction à l'innovation alors que les initiatives privées - et la technologie accélèrent, et que la demande publique et politique s'amplifie. »

La digitalisation de la monnaie de banque centrale soulève aussi des questions. Elle pourrait avoir des conséquences négatives sur « la liquidité, la rentabilité et l'intermédiation bancaires ». Que se passerait-il en cas de vague de retraits massifs ? Comment résoudre la question du respect de la vie privée en préservant une forme d'anonymat sans affaiblir la lutte contre le blanchiment ? Le chantier s'annonce vaste et complexe, mais la Banque de France a promis de le mener « de façon ambitieuse et méthodique.»