Crypto-devises, monnaies digitales : les banques centrales encore prudentes

Si 70% des institutions sondées par la banque des banques centrales, la BRI, disent travailler sur le concept d’une monnaie digitale ayant cours légal, même les plus avancées ne voient pas de concrétisation à court terme. Elles estiment l’usage des crypto-monnaies encore « négligeable » comme moyen de paiement.
Delphine Cuny
Travaillez-vous sur un projet de monnaie digitale de banque centrale (CBDC en anglais) ? Près de 70% des 63 banques centrales sondées ont répondu par l'affirmative. Cependant, elles ne sont que cinq à être engagées dans une expérimentation concrète.
Travaillez-vous sur un projet de monnaie digitale de banque centrale (CBDC en anglais) ? Près de 70% des 63 banques centrales sondées ont répondu par l'affirmative. Cependant, elles ne sont que cinq à être engagées dans une expérimentation concrète. (Crédits : BRI)

« Il est peu probable que le cash physique constitue la principale réponse aux besoins du futur en matière de paiement » reconnaît la Banque des règlements internationaux (BRI), la banque des banques centrales. Cependant, l'apparition d'une monnaie entièrement dématérialisée, 100% numérique, émise par une banque centrale n'est pas pour tout de suite. Selon une enquête réalisée auprès de grandes et petites banques centrales de la planète, dévoilée ce mardi 8 janvier par la BRI et dont nous avions dévoilé les premiers résultats en novembre, 70% des institutions sondées disent travailler sur le concept d'une monnaie digitale de banque centrale, la motivation principale étant de répondre à l'usage décroissant des espèces. Elles ne sont que 31% à n'envisager qu'une version interbancaire de cette monnaie, les autres explorant une version grand public ou les deux.

Les 63 institutions qui ont répondu représentent 80% de la population mondiale et 90% du PIB, parmi lesquelles figurent la Fed américaine, la Banque de France, la Buba allemande, la BoE britannique, la BoJ japonaise, la Banque centrale européenne, mais aussi celles de Chine, du Maroc, des îles Salomon ou de Zambie.

Ceci dit, seules cinq banques centrales affirment être engagées dans un projet d'expérimentation, parmi lesquelles la Riksbank en Suède avec son e-krona et l'Uruguay avec le pilote d'ePeso qui s'est achevé en avril 2018. Les autres ne sont pas citées. On sait que la Thaïlande y travaille. L'Équateur avait testé un "dinero electrónico" qu'il a abandonné faute d'adoption.

Lire aussi : Fin du cash : pourquoi les banques centrales travaillent aux monnaies numériques d'Etat

Interrogées sur l'horizon auquel elles imaginent émettre pour de bon une telle monnaie virtuelle légale, 85% des banques centrales sondées ont répondu qu'il était « improbable ou très peu probable » que cela se produise à court terme, d'ici un à trois ans. À moyen terme, c'est-à-dire dans les six ans à venir, elles sont plus de 35% à juger cela « possible, probable ou très probable ».

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BRI monnaie digitale banque centrale horizon

[Probabilité d'émission d'une monnaie digitale de banque centrale à court et moyen terme. Crédits : BRI]

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Prudence et collaboration

Un résultat qui rassure la BRI, inquiète des risques pour la stabilité financière d'une telle innovation.

« À ce stade, la plupart des banques centrales semblent avoir clarifié les défis posés par le lancement d'une monnaie digitale et ne sont pas encore convaincues que les bénéfices dépasseront les coûts », souligne la BRI dans le rapport d'enquête. « Cette étude prouve que les banques centrales procèdent avec prudence, qu'elles collaborent et qu'elles partagent les résultats de leurs travaux. Prudence et collaboration réduiront les risques de conséquences indésirables. »

La Banque centrale européenne (BCE) mène en effet un projet de recherche, Stella, avec la Banque du Japon, sur l'utilisation de la technologie de registre distribué (DLT, de type Blockchain) pour les infrastructures de marchés financiers : une première étape en septembre 2017 a conclu que la technologie n'était pas mure pour être déployée pour des paiements de montant élevé comme sur le système Target 2 de la BCE, où les règlements interbancaires sont effectués en monnaie de banque centrale. La seconde phase du projet Stella a étudié la possibilité d'un registre numérique distribué pour le règlement des opérations sur les titres financiers, un terrain plus prometteur selon les deux institutions.

De leur côté, la Banque d'Angleterre, celle du Canada et la banque centrale de Singapour travaillent conjointement sur le concept d'une monnaie digitale légale pour les paiements transfrontaliers.

L'avenir incertain des crypto-monnaies

Dans le cadre de cette enquête, la BRI a également posé la question de l'usage actuel des crypto-monnaies comme le Bitcoin et plus généralement des crypto-actifs, par exemple les jetons émis dans le cadre d'Initial Coin Offerings (ICO), ce nouveau mode de levés de fonds. Les usages seraient très limités d'après les constatations des institutions sondées.

 « Aucune banque centrale n'a rapporté d'usage significatif ou du grand public des crypto-monnaies pour des paiements nationaux ou transfrontaliers dans leur juridiction », relève la BRI, que l'on sait fort peu crypto-enthousiaste, à l'image de la plupart des banques centrales.

L'usage des crypto est qualifié par 58% des institutions sondés de « négligeable », voire inexistant, ou bien cantonné à des « niches » d'utilisateurs à 28% sur le marché national (32% en transfrontalier).

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Bitcoin usage paiement BRI

[Usage actuel des crypto-monnaies pour le paiement sur le marché national (à gauche) en transfrontière à droite : en bleu « négligeable ou aucun usage », en rose usages de niches, en jaune ne sait pas. Crédits : BRI]

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Surtout, les banques centrales reconnaissent qu'elles n'ont aucune idée de l'évolution à venir : elles sont 51% à répondre qu'elles ignorent si l'usage des crypto-monnaies pour le paiement est amené à croître ou diminuer... Et ce d'autant plus qu'elles admettent que les freins à cet usage sont notamment la faible acceptation en magasin, les questions de conformité, la compréhension limitée du public et tout simplement l'interdiction qui existe dans certains pays. D'autres études démontrent d'ailleurs que la valeur et les volumes d'échanges en cryptomonnaies sont fortement influencés par la réglementation.

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Bitcoin évolution usage BRI

[Anticipez-vous une croissance (en rose), une diminution (en jaune) ou une stabilité (en bleu) de l'usage des crypto-monnaies ? En jaune : ne sait pas. Crédits : BRI]

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Delphine Cuny

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Commentaire 1
à écrit le 08/01/2019 à 13:09
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Il faut être très naïf pour croire que les dirigeants d'entreprises dévoilent leurs idées! Be carreful la France! "De leur côté, la Banque d'Angleterre, celle du Canada et la banque centrale de Singapour travaillent conjointement sur le concept d'u...

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