« Faire de la France une crypto-nation » : le rapport Person fait débat

Par Delphine Cuny  |   |  1148  mots
Le député LREM de Paris Pierre Person (au micro), rapporteur de la mission sur les monnaies virtuelles, aux côtés d'Eric Woerth (LR), président de la mission, mercredi lors de la présentation du rapport. (Crédits : AN)
Le député LREM Pierre Person présente 27 propositions dans son rapport issu de la mission d’information sur les monnaies virtuelles, pour lever les obstacles au développement des crypto-actifs : régime fiscal plus favorable, tarif préférentiel de l’électricité pour les « mineurs » de Bitcoin, aménagement de la réglementation des émissions de titres financiers, etc. Le président de la mission et de la commission des finances, Eric Woerth, émet de nombreuses réserves.

Il est un de ceux que l'on a surnommés les « crypto-députés » : des parlementaires s'étant plongés dans les complexités du Bitcoin et des autres « crypto-monnaies » et de la technologie Blockchain qui les sous-tend. Pierre Person, député LREM de Paris, 30 ans et une passion non dissimulée pour les « crypto-actifs », vient de remettre son rapport issu de la mission d'information sur les monnaies virtuelles créée en mars dernier à l'initiative du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le député LR de l'Oise Eric Woerth.

Publié ce vendredi 1er février avec six mois de retard sur le calendrier initial, à l'issue de plus de 200 auditions, ce rapport de 140 pages, comprenant 27 propositions, vise à identifier les obstacles au développement des crypto-actifs (fiscalité, réglementation, pratiques de place), afin de « faire de la France une crypto-nation à l'avant-garde mondialement reconnue. » Le président de la mission ne partage pas l'ambition crypto-enthousiaste du rapporteur et le dit sans ambages dans un avant-propos :

« La France n'a pas à être une crypto-nation, selon un terme employé à plusieurs reprises dans le rapport. La France est une grande nation, qui décide librement et en toute transparence des régulations qu'elle établit, y compris par rapport aux innovations qui ne sont pas bonnes ou mauvaises par essence. Soulignons à ce titre que, étymologiquement, le terme crypto, du grec « kruptos », signifie « caché ». Or, dans ce domaine des crypto-actifs, beaucoup de choses demeurent encore cachées, non transparentes et opaques » écrit Eric Woerth.

Sur les 27 propositions, 5 ont déjà été adoptées dans le cadre du projet de loi Pacte actuellement examiné au Sénat (régime de visa optionnel de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour les levées de fonds en crypto-actifs ou ICO, agrément optionnel pour les prestataires de services en crypto-actis, droit au compte bancaire effectif) ou du projet de loi de finances (PLF) 2019 (imposition à 30% des plus-values en crypto-actifs).

Sur le cadre à venir des ICO, le député apporte des compléments utiles sur les précisions à fournir dans le document d'information (white paper), suggère un visa délivré a posteriori pour des jetons émis avant la promulgation de la loi, une obligation de reporting ainsi qu'un avertissement pour les opérations n'ayant pas eu le visa de l'AMF (des dispositions qui pourraient être intégrées au prochain règlement de l'AMF). Il recommande « une étude technique ou scientifique de la réalité du projet », déléguée à des experts, une piste de réflexion de l'AMF et une voie choisie par Malte qui a créé une autorité chargée d'un audit du code des projets Blockchain émettant une ICO. Le rapport envisage aussi « un aménagement de la directive [européenne] prospectus pour les startups », en fonction de leur taille et revenus.

Abattement fiscal plus généreux

D'autres propositions ont déjà été présentées en décembre par le député Person sous la forme d'amendements dans le cadre de l'examen en première et deuxième lecture du PLF  (rejetés et non soutenus par le gouvernement), à l'image d'un abattement annuel de 3.000 euros sur les plus-values de cessions de crypto-actifs (contre 305 euros dans un amendement du député Eric Bothorel qui a été adopté) ou de définir comme « fait générateur » de l'impôt de la plus-value le rapatriement sur un compte bancaire, et non la conversion en monnaie fiat (ayant cours légal, en l'occurrence l'euro), car « il est d'usage que les utilisateurs convertissent leurs crypto-devises en fiat sur une plateforme pour des périodes très courtes, afin de se couvrir contre la volatilité des cours » argue le député.

Une proposition dont « [se] dissocie » Eric Woerth, qui estime que cela reviendrait à exonérer de toute taxation les achats de biens et services en crypto-actifs et les sommes thésaurisées sur des plateformes.

Tarif d'électricité préférentiel pour le minage

Quelques propositions sont inspirées du rapport de la mission Blockchain des députés Laure de la Raudière (UDI-Agir, Eur-et-Loir) et Jean-Michel Mis (LREM, Loire). En particulier la numéro 12 visant à « instaurer l'exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) pour les centres de minage en crypto-actifs », mesure qui « permettrait d'abaisser le coût de l'électricité de 9 à environ 6 centimes d'euros par kilowattheure, et de rattraper notre déficit de compétitivité vis-à-vis de pays tels que la Chine, le Kazakhstan et la Russie » avance le député Person, évoquant à terme la possibilité de classer les sociétés de minage en « une activité électro-intensive ». Le rapporteur plaide que « le minage est une activité hautement stratégique pour l'indépendance nationale, notamment en termes de sécurité juridique des données.»

Là aussi, le président de la commission des finances désapprouve.

« L'exonération de TICFE [...] a été pensée pour conduire la transition écologique sans pénaliser trop fortement l'emploi dans des industries fragilisées. Elle n'a absolument pas pour vocation d'attirer ici de multiples fermes de minage, très consommatrices en énergie » observe Eric Woerth.

Pas assez répressif ?

Autre proposition présente dans le rapport de la mission Blockchain : une clarification par décret de l'article 26 bis de la loi Pacte sur la définition des services sur actifs numériques, afin d'exclure « les fournisseurs de solutions de self-custody [littéralement auto-conservation, ndlr] », comme l'entreprise française Ledger et son coffre numérique servant à sécuriser les clés privées d'accès aux comptes de crypto-actifs (« hardware wallet »), pour les distinguer de plateformes conservant les crypto-actifs pour le compte de leurs clients.

 « Le potentiel d'innovation autour de cette technologie [la Blockchain], ainsi que son applicabilité à quasiment l'ensemble des activités tertiaires aujourd'hui, permettrait [...] de tabler sur la création de très nombreux emplois, une véritable aubaine pour la France et le gage d'un nouveau fleuron technologique » s'emballe le député Pierre Person.

S'il partage son intérêt pour la Blockchain, Eric Woerth considère que « le rapport ne semble pas aller assez loin » en particulier sur le plan répressif. Il regrette que n'ait pas été retenue « une proposition de muraille étanche entre les institutions financières et monétaires et les crypto-actifs, par exemple en instaurant une obligation de 100% de fonds propres pour les investissements des acteurs financiers régulés en crypto-actifs. » Il recommande également l'obligation de s'identifier à l'ouverture d'un compte en crypto-actifs et l'interdiction des crypto garantissant l'anonymat complet comme le Monero du Venezuela ou Zcash.

Combat des Anciens contre les Modernes jugeront certains, tensions surtout révélatrices du fossé qui sépare la crypto-sphère des acteurs institutionnels. Ce nouveau rapport a l'immense mérite de faire oeuvre de pédagogie sur un sujet très complexe encore mal appréhendé dans les rangs de l'Assemblée.