1929-2008 : quand l'histoire financière se répète

Par Laura Fort  |   |  1313  mots
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<b>VIDEO - </b>Depuis les années folles, les cycles de libéralisation du système financier ont alterné avec les cycles de régulation. Un documentaire diffusé sur Arte mardi est revenu sur ces différentes phases de l'Histoire de la finance mondiale depuis 1929. Où faire et défaire, c'est toujours titiller l'imagination des banquiers...

Crises financières: à qui la faute? A la finance folle, aux investisseurs crédules, aux régulateurs absents, aux hommes politiques trop influençables? L?Histoire montre en tous cas qu?au gré des pertes et des profits, les cycles de régulation et de dérégulation se sont succédés.
C?est ce que retrace le documentaire diffusé mardi 3 octobre sur Arte, Noire Finance. Si l?émission n?a certes pas évité les amalgames et les caricatures, elle a le mérite d?être revenue sur les grandes étapes qui ont fait et défait les crises financières, et secoué du même coup l?économie réelle.

1929, débâcle et recadrage

Les grandes manifestations anti-capitalistes des années 30 n?ont rien à envier aux mouvements des "Occupy" qui ont fleuri fin 2011. A l?époque, les manifestants ne décolèrent pas contre ces "barons voleurs", coutumiers des délits d?initiés et autres manipulations de cours de Bourse, qui sont l?un des déclencheurs de la Grande Dépression.
Après cette période de spéculation à tous crins, Franklin Roosevelt impulse une grande réforme bancaire en 1933, le Glass Steagall-Act, qui pose la séparation des banques de dépôts et des banques d?investissement. Il n?en sera pas moins contourné à l?envi, puis abandonné. Dans le même temps, le gendarme boursier américain, la SEC (Securities and Exchange Commission), est créée.
Après guerre, "l?Europe est dopée par le dollar et le crédit et vit un rêve américain. Les impôts et les contributions sociales assurent le financement de l?Etat providence, parfois avec l?aide de la planche à billets. En Allemagne, c?est la période du patriotisme du Deutsche Mark", explique la voix off.

Après guerre, réorganiser l?économie

Hormis outre-Rhin, l?Europe commence alors à souffrir de l?inflation américaine et de l?instabilité des changes. Interrogé dans le film, le journaliste économique allemand Michael Sauga revient sur cette période: "depuis ce moment, il y a dans le monde deux voix différentes pour gérer les crises et organiser l?économie: la voix américaine et anglo-saxonne, qui consiste à stimuler l?économie avec de l?argent bon marché et des intérêts bas. Et la voix allemande, qui tente davantage de stabiliser l?économie par le contrôle de la quantité d?argent et par une politique orientée vers la consolidation des budgets. Aujourd?hui, avec la crise européenne, on voit de nouveau ces principes s?affronter".

1980?s : la liberté retrouvée

En France, les années 1980 consacrent le principe de dérégulation. La loi Naouri/Bérégovoy sur la déréglementation des marchés financiers, votée en 1984, permet la libre circulation des capitaux. Dans La finance déboussolée, Antoine Jeancourt-Galignani, dira de cette loi qu?elle est "la plus libérale que la France ait jamais connue, la plus iconoclaste pour les mandarins du système, la plus anglo-saxonne dans son inspiration".
Pour l?économiste Michel Aglietta, "nous nous sommes mis sous le contrôle de la spéculation du monde entier". Dans le même temps, Margaret Thatcher met elle aussi la finance à l?honneur en Grande-Bretagne. Un contexte qui laisse libre cours à l?imagination des banquiers, qui font la part belle aux produits dérivés et à la modélisation à outrance.

Comme dans une fête?

A la même époque, le pouvoir des actionnaires se renforce au détriment de celui des salariés, et pousse les entreprises à se "financiariser", avec, en ligne de mire, les performances de leur cours de Bourse.
Le banquier Guillaume Hannezo, associé gérant de Rothschild & Cie, explique alors que "la seule façon de gagner de l?argent, c?est de se tromper avec tout le monde, et, juste avant que les gens changent d?avis, d?avoir raison contre tout le monde. Sur les marchés, tous savent qu?il y a des bulles, mais tous croient qu?ils vont sortir avant que la bulle n?éclate. En général, ça ne marche pas".
La bulle Internet en 2001 précèdera celle des subprimes en 2008. Pour Michel Aglietta, "il s?était développé une finance dont l?objet était de faire circuler le risque jusqu?à ceux qui voulaient bien les prendre". Jusqu?au moment où le système a craqué? L?économiste poursuit : "En 2008, comme il n?y avait aucune régulation, que ceux qui achetaient ces produits n?avaient aucune idée de ce qu?il y avait derrière, et que les agences de notation suivaient, ça a dérapé".
La journaliste Ulla Weidenfeld déclare: "C?était comme dans une fête: quand l?ambiance est bonne, personne ne veut être celui qui range les bouteilles?".

Une nouvelle ère de régulation

Le documentaire en finit là. Nous sommes pourtant entrés dans une nouvelle phase de régulation, du moins en Europe. Les réflexions sur une union et une supervision bancaire européenne avancent, et de nouveau, les projets de séparation des activités de banques d?affaires et de banques de dépôts fleurissent. Le rapport Liikanen a d?ailleurs donné le ton ce mardi 3 octobre: il prône la mise en quarantaine d?un certain nombre d?activités dites risquées comme le trading pour compte propre, tous types de prêts ou d'exposition aux fonds alternatifs (dont le prime brokerage pour les hedge funds) ou les véhicules d'investissement spécialisés.
Bâle III pour les banques et Solvabilité 2 pour les assureurs sont également sur les rails, instaurant un ratio minimum de fonds propres par rapport aux risques pris par ces établissements.
Sauf que, si les Etats-Unis ont promulgué la loi Dodd-Franck en 2010, ils peinent toujours à l?appliquer, et ils n?ont pour l?instant formulé que des déclarations d?intention quant à l?application de Bâle III.

Le "crony capitalism" fait de la résistance

Par ailleurs, le "crony capitalism" (ou capitalisme de connivence) a la peau dure. "Il y a un pouvoir qui s?oppose à toute investigation et à tout contrôle", constate Michel Aglietta. Le lobby des banques est ainsi de plus en plus influent, rendant leur contrôle plus ardu et les conflits d?intérêt plus criants.
Le précédent documentaire, consacré à Goldman Sachs, dressait ainsi l?inventaire des anciens de la banque qui ont essaimé à des postes à hautes responsabilités, entre autres: Mario Monti (président du Conseil italien), Romano Prodi (ancien président de la Commission européenne), Mario Draghi (président de la BCE), Otmar Issing (ancien chef économiste de la BCE), Peter Sutherland (dirigeant européen du conseil économique transatlantique), ou Antonio Borges (ancien directeur Europe du FMI).
Le documentaire note aussi l?emprise de la banque sur le pouvoir américain : "Goldman Sachs a gagné son bras de fer contre la Maison Blanche. En six mois, la banque a réussi à se placer au sein du gouvernement Obama et à désamorcer les vélléités de réforme. Peu importe la couleur politique du président, Goldman est toujours bien représenté à Washington. Depuis plusieurs décennies, elle tisse un réseau d?influence au c?ur du pouvoir. Aucune institution ne lui échappe".
Aujourd?hui, les efforts de régulation n?empêchent toujours pas les scandales et la capacité de certains banquiers à déjouer les contrôles : récemment encore, le scandale du Libor, de la baleine de Londres, des délits d?initié chez Nomura, les excès de Goldman Sachs, ou encore du blanchiment d?argent impliquant HSBC

 

Revoir les deux documentaires consacrés au sujet sur Arte (dates de rediffusion : mardi 16 octobre 2012, 10h25, et samedi 20 octobre 2012, 10h45)