Les conséquences du grand désengagement chinois
Tout commence en 2021... Après la décision de la Chine d'interdire d'abord le minage de cryptomonnaies en mai, puis l'interdiction totale de son utilisation en novembre, les mineurs historiquement situés principalement dans l'Empire du Milieu ont dû déménager. Une révolution pour l'industrie minière, puisque jusqu'en mai 2021, le minage provenait de Chine à 75,5% ! Ce retrait chinois a entrainé avec lui une première déflagration pour le cours du bitcoin. En effet, la conséquence immédiate de la décision des autorités de Pékin a été une forte baisse du prix du bitcoin jusqu'à 34.707 dollars le 24 mai puis 29.790 le 21 juillet 2021 après le record atteint mi-avril 2021 à 63.500 dollars, l'industrie du minage se trouvant désorganiser par cette décision autoritaire.
Le marché des cryptomonnaies découvrait alors à quel point l'activité de minage était vitale à sa bonne santé, et ce malgré les mécanismes de régulation interne au Bitcoin. En effet, afin d'assurer une participation minimale au réseau et donc la sécurité des transactions, il y a une relation inverse entre le nombre de participants au réseau et la difficulté des problème mathématiques à résoudre dans le cadre du protocole « preuve de travail » de validation des transactions. En théorie, ce mécanisme ne devrait pas affecter la valeur du BTC puisqu'il garantit la sécurité du réseau. Néanmoins, ce n'est pas ce que semble panser les investisseurs inquiets de la désorganisation soudaine de la production.
L'autre leçon intéressante a été que les mineurs s'adaptent relativement rapidement à leur environnement. En effet, aussitôt l'interdiction chinoise effective, les superordinateurs ont été relocalisés dans des pays offrant une électricité bon marché et un accès facile, comme les États-Unis, le Kazakhstan et la Russie, mais aussi la Suède et la Norvège, qui disposent d'une énergie verte. Dans la foulée de ce mouvement, le "hashrate" mesurant le taux de participation au réseau est revenu à 90% de son niveau moyen dès août 2021, soit 3 mois seulement après l'interdiction chinoise. Un retour à la normale aussi rapide que riche de conséquences insoupçonnées à très court terme...
Le minage du Bitcoin : une pression supplémentaire sur la demande d'énergie au Kazakhstan
En effet, cette relocalisation a très vite eu un impact sur la consommation énergétique du Kazakhstan et ce dès le mois d'octobre. Dans un pays où jusqu'à présent la demande d'électricité augmentait de 1 à 2% par an, cette dernière s'est accrue de 8%, générant des pannes dans certaines régions. Rien de plus logique lorsque l'on sait que selon les données recueillies par le Financial Times, "au moins 87.849 machines minières à forte consommation d'énergie ont été amenées au Kazakhstan". D'autant que toutes ne sont pas légales. En effet, selon le ministère de l'énergie, 1.200 MW d'électricité sont siphonnés par des mineurs illégaux, appelés "mineurs gris", soit deux fois plus que les "mineurs blancs" enregistrés.
Évidemment, cette demande accrue inattendue exerce une pression importante sur le réseau électrique du Kazakhstan. Et pour atténuer cette pression, depuis janvier 2022, les mineurs officiellement enregistrés doivent payer une taxe de 0,0023 dollar par kWh. Dans le même temps pour faire face à la hausse de la demande, le Kazakhstan a négocié l'achat d'une plus grande quantité d'électricité à la Russie. Avec 18,2 % de la part de marché, le Kazakhstan est désormais le deuxième pays pour le minage de bitcoin. Une position d'acteur majeur du marché, qui implique que tout problème dans ce pays a des conséquences importantes sur le prix du bitcoin. L'activité de minage revêt désormais une dimension politique voire géopolitique indiscutable.
La levée de boucliers du Nord contre l'empreinte énergétique du minage
Malheureusement, ce n'est que le début des problèmes pour le minage et la preuve de travail en particulier. En effet, en parallèle une opposition croissante contre l'activité de minage se développe dans les pays d'Europe du Nord comme la Suède et la Norvège. À l'issue de la conférence de Paris en novembre dernier, les directeurs généraux de l'autorité suédoise de surveillance financière et de l'agence suédoise de protection de l'environnement demandaient notamment à l'UE d'interdire le minage par la preuve de travail, très consommatrice d'énergie. La raison : elle menace de réduire à néant les efforts de transition de la région vers des énergies plus propres. En d'autres termes, ils ne veulent pas voir la production d'énergie verte être consommée par une activité - le minage de cryptomonnaies - au motif que les avantages sociaux des cryptomonnaies sont discutables. L'argument sur l'empreinte écologique des cryptomonnaies n'est pas nouveau. De nombreuses études ont déjà mis en évidence la forte consommation électrique de l'activité de minage. Même si, au cours des dernières années, les mineurs ont considérablement verdi l'électricité qu'ils utilisent, et ce alors même que la majorité de l'activité était encore en Chine. Selon une étude de BMC (Bitcoin Mining Council), la part des énergies renouvelables de l'industrie du minage au niveau mondial atteignait environ 56% à la fin du second trimestre 2021.
Aujourd'hui, les opposants aux cryptomonnaies poussent plus loin l'argument mettant en doute la légitimité de l'utilisation de l'énergie verte par l'industrie des cryptomonnaies au motif qu'elle n'ajoute aucune valeur positive à l'économie puisqu'elle est essentiellement destinée à la spéculation. Évidemment, cela va à l'encontre de l'argument autrefois défendu par Jack Dorsey et Elon Musk selon lequel les cryptomonnaies sont une opportunité pour rendre la production d'énergie verte rentable permettant d'absorber facilement les excédents de production.
Étant donné qu'aujourd'hui le changement climatique figure en tête de l'agenda politique des principaux pays, le grand défi pour l'industrie des cryptomonnaies est sans aucun doute de gagner la bataille de sa consommation d'énergie par rapport à son bénéfice social. Mais gardons en tête que l'industrie des cryptomonnaies a démontré son agilité au cours des 13 dernières années et sa résilience face aux crises. Si le minage devient un enjeu fort pour sa survie, les développeurs trouveront des moyens de s'adapter. Que ce soit par l'utilisation de protocoles de deuxième couche ou par des machines minières moins gourmandes (ou les deux), la seule vérité est que l'esprit humain n'a pas de limite lorsqu'il s'agit de créativité !
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