L’épargne retraite peut-elle vraiment devenir populaire  ?

En commercialisant trois nouveaux produits simplifiés, le gouvernement voudrait donner un élan à l’épargne retraite boudée par les Français. Reste à lever de nombreux obstacles.
Juliette Raynal
Simplicité et flexibilité, les deux leviers sur lesquels le gouvernement mise pour réorienter une partie de l’épargne des Français.
Simplicité et flexibilité, les deux leviers sur lesquels le gouvernement mise pour réorienter une partie de l’épargne des Français. (Crédits : Pixabay)

Cumuler un pécule tout au long de sa carrière professionnelle pour pouvoir ensuite bénéficier de revenus supplémentaires complétant les pensions versées par les régimes de retraite obligatoire. C'est le principe de l'épargne retraite. Un produit que le gouvernement entend bien faire entrer dans le quotidien des Français grâce à sa réforme encadrée par la loi Pacte de Bruno Le Maire. L'objectif : dynamiser l'épargne longue pour soutenir davantage l'économie réelle. Le défi est de taille car jusqu'à présent, l'épargne retraite, dont l'offre était très éclatée, a été largement boudée par les épargnants, qui lui préfèrent les contrats d'assurance-vie. Dans l'Hexagone, l'épargne pour préparer ses vieux jours ne représente ainsi que 230 milliards d'euros d'encours, contre 1 700 milliards d'euros pour l'assurance-vie. Le gouvernement espère drainer 100 milliards d'euros supplémentaires à l'horizon 2022.

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Lors d'une conférence organisée le 22 octobre par l'Association française de la gestion financière (AFG), Lionel Corre, sous-directeur des assurances à la Direction générale du Trésor, exposait la chose suivante :

« En France, nous avons beaucoup d'épargne, mais une faible partie est dédiée à la retraite. Il y a un vrai enjeu de repositionnement de l'épargne sur le long terme »

« Aujourd'hui, l'épargne des Français est davantage placée en obligataire et peu en actions. En parallèle, les entreprises ont besoin de se préparer sur le long terme afin de transformer leur modèle économique et de faire face au changement climatique. Elles ont donc besoin de capital », a-t-il poursuivi. Or, si les placements en actions sont plus risqués, ils présentent aussi, sur la durée, un potentiel de rendement plus intéressant.

Faire oeuvre de pédagogie

Un aspect non négligeable pour les épargnants, à l'heure où la baisse des rendements des placements sécuritaires, comme les fonds euros proposés dans les contrats d'assurance-vie, est inéluctable dans un contexte de taux durablement bas, qui pèse sur la rentabilité des assureurs.

Lire aussi : Taux bas : le soutien appuyé de Bruno Le Maire aux assureurs

« Il faut faire preuve de pédagogie et expliquer que la sécurité ne rémunère plus, qu'il faut s'ouvrir à d'autres produits », a déclaré sans détour Gérard Bekerman, le président de l'Afer, principale association française d'épargnants avec quelque 300 000 adhérents et 56 milliards d'euros sous gestion, le 28 octobre, lors des Assises de l'épargne et de la fiscalité. Les opportunités de transfert de l'assurance-vie vers l'épargne retraite ne sont pas négligeables : 25 % des détenteurs d'une assurance-vie utiliseraient ce produit financier pour préparer leur retraite.

Pour convaincre les Français de se tourner vers ce type d'épargne, le gouvernement mise sur deux leviers : la simplicité et la flexibilité. Concrètement, la loi Pacte crée un cadre commun, le PER (pour Plan d'épargne retraite) qui applique les mêmes règles de sortie, de transfert et de fiscalité à trois nouveaux contrats. Commercialisés depuis le 1er octobre dernier, ils doivent venir se substituer à une multitude de contrats existants (qui, eux, pourront encore être commercialisés jusqu'au 1er octobre 2020).

Dans les détails, on retrouve un premier produit collectif ouvert à tous les salariés, à condition que leur entreprise ait mis en place un dispositif d'épargne salariale, qui doit remplacer l'actuel Perco. Un deuxième produit collectif pour certaines catégories de salariés vient en remplacement des contrats du régime « article 83 ». Enfin, un troisième produit, individuel cette fois-ci, remplace le Perp et les contrats Madelin. Il est accessible à tous par une souscription individuelle auprès d'une banque, d'un assureur ou bien d'un gestionnaire d'actifs. Une nouveauté puisque, jusqu'à présent, ces derniers ne pouvaient distribuer que des produits collectifs.

Souplesse et portabilité

Le PER se veut aussi moins contraignant. Les épargnants pourront désormais choisir une sortie en capital ou en rente, c'est-à-dire en une seule fois ou sous la forme de versements réguliers jusqu'au décès du bénéficiaire. C'est l'un des points clés de la réforme. Historiquement, dans la plupart des produits d'épargne retraite (exception faite du Perco), la sortie ne pouvait s'effectuer que sous la forme de rente. Or les Français préfèrent la sortie en capital. « La sortie en rente est un frein psychologique majeur car, en cas de décès prématuré du retraité, le reste du capital constitutif est conservé par les assureurs », explique Émilie Edroux de la société de conseil Optimind. La flexibilité se retrouve également dans les conditions de sortie, harmonisées pour les trois types de contrats. Un épargnant pourra ainsi débloquer ses économies pour l'achat de sa résidence principale ou en cas d'accidents de la vie majeurs.

H309 Tableau comparatif assurance-vie contre PER

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Autre nouveauté : une plus grande portabilité. « En fin de carrière, une personne pouvait se retrouver avec une multitude de contrats, parfois jusqu'à huit ou neuf. Désormais, lorsqu'un salarié changera d'entreprise, il pourra emmener son contrat avec lui », explique Lionel Corre. « Je parle de dispositif sac à dos. Parce que c'est la première fois qu'un dispositif est attaché à la personne et non à son établissement financier. On pourra balader son PER pendant toute sa vie professionnelle, carrière linéaire ou non, et on l'aura en permanence avec soi, soit dans l'entreprise soit en dehors de l'entreprise », complète Xavier Collot, directeur épargne salariale et retraite du gestionnaire d'actifs Amundi (groupe Crédit Agricole).

En plus des versements de l'entreprise, le salarié pourra lui-même abonder son PER. Et pour faciliter les transferts d'un contrat à un autre, les frais sont désormais plafonnés à 1 % du montant du contrat et le transfert devient gratuit après cinq ans. Ce qui pourrait favoriser la concurrence entre les différents acteurs (banques, assureurs et gestionnaires d'actifs). Concernant la fiscalité, tous les versements volontaires pourront être déduits de l'assiette de l'impôt sur le revenu jusqu'à un certain plafond. Par ailleurs, pour inciter les détenteurs de contrats d'assurance-vie à transférer leur épargne vers un PER, ces derniers bénéficieront d'un avantage fiscal supplémentaire.

Une complexité qui risque de ralentir la mise sur le marché

L'ensemble de ces mesures suffiront-elles à séduire les Français ? Émilie Edroux, de la société Optimind, émet certaines réserves.

« La réforme devait apporter une forte simplification, mais finalement ce sont des concepts assez différents qui sont regroupés sous un même nom. En gardant plusieurs compartiments, on conserve une certaine complexité. L'avantage fiscal est aussi très limité car la possibilité de déduction fiscale des versements volontaires est conservée mais l'imposition de la sortie en capital aussi », note-t-elle.

Laure Delahousse, directrice générale adjointe de l'AFG est plus optimiste : « La complexité sera du côté des professionnels, pas des épargnants, assure-t-elle. Chaque épargnant, qu'il soit salarié, indépendant ou personne individuelle, ne verra qu'un seul et même PER. »

VERSION RETOUCHÉE H309 Infographie L'Épargne retraite privée française est l'une des plus faibles des pays de l'OCDE (en pourcentage du PIB).

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Mais cette complexité à gérer du côté des professionnels pourrait ralentir le développement de ces nouvelles offres et donc affaiblir leurs chances de succès. « Le produit à l'arrivée est complexe car il y a plusieurs compartiments pour les différentes modalités de versement. Cela nécessite d'adapter les systèmes d'information, mais aussi de former les chargés de clientèle. Cela peut prendre plusieurs mois », reconnaît Philippe Bernardi, directeur du pôle assurances de personnes au sein de la Fédération française de l'assurance (FFA). Ces ajustements nécessitent donc de lourds investissements pour les compagnies d'assurances pouvant se chiffrer jusqu'à plusieurs dizaines de millions d'euros. Résultat, la préparation des différents établissements est assez inégale. Certains, comme Axa, leader de l'épargne retraite en France, propose d'ores et déjà une gamme complète. D'autres, comme Société Générale Assurances, Generali ou Aviva étaleront leurs mises sur le marché. Quand d'autres encore, plus petits, ne prévoient pas de commercialisation avant octobre 2020.

Le développement de l'épargne retraite se heurte à un dernier obstacle : celui de la réforme en cours des régimes de retraite obligatoires. « Tant que les assurés ne comprennent pas le sort du régime obligatoire, ils vont sans doute rester dans l'attentisme », a estimé Patrick Montagner, premier secrétaire général adjoint de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France, lors d'une conférence de presse qui a eu lieu le 24 octobre.

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Une opinion que partage Valérie Batigne, fondatrice et dirigeante de Sapiendo, une startup spécialisée dans le conseil autour de la retraite. Selon l'entrepreneuse, seules deux questions comptent pour un futur retraité : quand il va pouvoir prendre sa retraite et combien il va toucher, peu importe d'où vient l'argent. « Mais, paradoxalement, très peu de personnes savent répondre à ces questions, alors qu'on est à la retraite pendant plus de dix ans en moyenne, soit un tiers de sa vie d'adulte », souligne-t-elle. Selon Valérie Batigne, un futur retraité doit savoir combien il touchera et déterminer quel est son besoin global de revenus pour ensuite évaluer « son manque ». En d'autres termes, il faut d'abord bien maîtriser sa retraite par répartition pour pouvoir ensuite construire une stratégie d'épargne adaptée.

Du côté des assureurs, on regrette que le gouvernement ait souhaité construire le premier étage alors même que le rez-de-chaussée s'apprête à subir d'importantes transformations. « La réforme en cours des retraites envoie également comme message que les revenus issus du régime obligatoire seront moins généreux et que dans cette perspective il sera très utile d'épargner pour sa propre retraite », souligne Arnaud Chneiweiss, délégué général de la FFA.

Tous les professionnels concernés s'accordent donc sur un point : la réforme de l'épargne retraite doit être accompagnée d'un travail de pédagogie et de communication. Dans cette optique, l'AFG vient de publier un guide pratique à destination du grand public.

« Jusqu'ici, l'épargne retraite était réservée à une petite frange d'épargnants, souvent fortement imposables. Le PER va progressivement faire partie de la vie quotidienne des Français et doit devenir un produit d'épargne classique, au même titre que le Livret A ou l'assurance-vie. Notre guide est destiné au public le plus large possible », explique Laure Delahousse.

Le challenge reste entier. Selon un récent sondage commandé par Aviva France et Deloitte, deux épargnants français sur trois n'ont jamais entendu parler des nouveaux produits du PER.

Juliette Raynal

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Commentaires 10
à écrit le 23/11/2019 à 10:51
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haha la france cherche des imbeciles qui vont mettre de l'argent dans un pot sur lequel ils n'ont aucun pouvoir de retrait...... et tout le monde a compris que ' en temps opportun', ces sommes seront ' redistribuees a ceux qui en ont besoin eux', o...

à écrit le 22/11/2019 à 14:04
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Trouver moi une épargne retraite crédible et surtout perenne sachant que l’État va disparaître a terme!

à écrit le 20/11/2019 à 18:41
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Non. se faire une epargne pour la retraite oui, se faire une epargne retraite, sauf peut être si t'as un employeur qui abonde beaucoup ,c'est perdre la main sur ses propres decisions. Nos "decideurs" n'ont pas compris que pour beaucoup, un livret A, ...

le 23/11/2019 à 10:53
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ben c'est ca le but, que les gens perdent tout pouvoir de decision, afin de pouvoir redistribuer socialement ce bon pognon ' public ' et qui 'n'est a personne car il est a la collectivite' et c'est effectivement pour ca que personne ne va y aller (...

à écrit le 20/11/2019 à 17:05
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La capitalisation, c'est pas facile à mettre en place.... L'Assurance Vie en est une forme où des bénéficiaires récupèrent le capital restant après le décès, les assureurs retraite, eux, gardent le magot, calculé statistiquement (espérance de vie). ...

à écrit le 20/11/2019 à 16:11
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Il n'existe rien qui puisse donner confiance a si long terme, l’État est en décrépitude!

à écrit le 20/11/2019 à 13:44
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Aucun individu en France n'aura le courage d'investir de l'argent dans la BOURSE. On essaye avec la Française des Jeux de les appâter. Mais, tôt ou tard, les banksters les plumerons et peut-être juste au moment ou il prendrons leur retraite.

le 20/11/2019 à 18:46
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Il ne faut pas prendre des cas particuliers pour une généralité. Je suis investi en bourse depuis 25 ans, et je ne me suis pas fait plumer malgré les diverses crises. Par contre la bourse n'est pas la caisse d'épargne. Il faut une gestion active et s...

à écrit le 20/11/2019 à 13:15
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Il n'existe rien qui puisse donner confiance a si long terme, l’État est en décrépitude!

à écrit le 20/11/2019 à 12:59
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"En commercialisant trois nouveaux produits simplifiés, le gouvernement voudrait donner un élan à l’épargne retraite boudée par les Français. " Ah bon, c'est a l'état de de commercialiser? drôle, la ou le gouvernement se désengage de tout ce qui e...

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