La galaxie Blockchain en France

Par Delphine Cuny  |   |  1284  mots
La galaxie "Blockchain" en France (détail). Voir, à l'intérieur de l'article, l'infographie intégrale en image agrandissable plein écran (cf. double-page 8-9 de La Tribune Hebdo n°289). (Crédits : Création La Tribune / Photos : Reuters et DR)
Bercy se félicite de voir se mettre en place "une équipe de France de la Blockchain", cette technologie de transmission et de stockage d'information née avec le Bitcoin. Avec le soutien des pouvoirs publics, de parlementaires et régulateurs ouverts à l’innovation, de grands groupes du CAC 40, notamment dans la finance, portés sur les nouvelles technologies et prêts à coopérer avec les startups, tout un écosystème de la Blockchain émerge dans l’Hexagone.

« La Blockchain, c'est un sport d'équipe ! », relève Luca Comparini, expert de cette technologie chez IBM France - une formule qui vient d'un banquier de Natixis, indique-t-il. Née il y a dix ans avec le Bitcoin, cette technologie de stockage et de transmission d'informations, sécurisée grâce à la cryptographie, fonctionne de manière décentralisée, sans organe central de contrôle. Un projet Blockchain n'a de sens qu'à plusieurs.

[La galaxie "Blockchain" en France. Infographie La Tribune Hebdo n°289 du 19.04.2019  (pp. 8-9). Crédits photos: Reuters et DR. Cliquez sur l'image pour l'agrandir plein écran]

De grandes entreprises françaises concurrentes, notamment dans la finance, ont appris à travailler ensemble et avec des startups, des instituts de recherche, des acteurs publics, par exemple via le LaBChain, laboratoire d'innovation de place de la Caisse des Dépôts. Des parlementaires qui se sont plongés dans la complexité du sujet, surnommés les "crypto-députés", Laure de la Raudière, Jean-Michel Mis, Pierre Person, Jean-Noël Barrot, ont joué un rôle clé pour acculturer le Parlement. Le gouvernement met en avant la loi Pacte, adoptée le 11 avril, qui crée un cadre réglementaire pour les levées de fonds par émission de crypto-actifs (ICO) et les prestataires de services en actifs numériques, et devrait aider les jeunes pousses à grandir. Un cadre que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a contribué à élaborer et qu'elle est chargée d'appliquer. Selon Bercy, « une équipe de France de la Blockchain se met en place. »

Plus de 200 projets actifs ou en cours

La Direction générale des entreprises (DGE) a recensé 200 projets actifs ou en cours dans le domaine de la Blockchain en France. L'écosystème français compte plutôt de l'ordre d'une cinquantaine de startups de la Blockchain selon des sources concordantes et la mortalité y est importante, ce qui est normal pour une technologie émergente.

Chez Bpifrance, Philippe Mutricy, directeur de l'évaluation, des études et de la prospective, juge le chiffre de 200 concordant avec les 150 financements réalisés à ce jour par la Banque publique d'investissement dans le secteur, via ses dispositifs d'aide à l'innovation : la Bpi n'a pas encore pris de participation en capital mais a investi indirectement (via des fonds de capital-risque) dans 17 startups.

Dans cet écosystème, on retrouve à la fois des entreprises de conseil technologique, à l'image de Blockchain Partner, qui a travaillé pour la Banque de France et l'Agence nationale des fréquences (ANFR), et des startups de la crypto-sphère, comme les plateformes d'achat-vente de crypto-actifs Coinhouse et Paymium, le fabricant de mini-coffre pour clé privée d'accès aux comptes en crypto-monnaies Ledger, qui a signé un contrat avec Engie.

D'autres jeunes pousses ont conçu des solutions destinées aux entreprises, à l'image de la lilloise Utocat dans laquelle BNP Paribas a investi et qui travaille avec Crédit Agricole, ou de la parisienne Stratumn, financée notamment par CNP Assurances, et qui collabore avec Axa Partners. 

Startups de place

Si elles ont l'air discrètes, voire frileuses, les banques françaises sont en réalité très actives. BNP Paribas figure dans le classement Blockchain 50 du magazine Forbes listant les grands groupes les plus en avance dans le domaine (c'est le seul français). Dans cette galaxie Blockchain en France, on trouve ainsi des startups de place issues d'un travail collectif ou de consortiums bancaires.

La startup LiquidShare est née il y a près de deux ans d'un consortium comprenant BNP Paribas, Caceis (Crédit Agricole), Société Générale, la Caisse des Dépôts, Euronext (l'opérateur des Bourses de Paris, d'Amsterdam, de Bruxelles, de Dublin, de Lisbonne), la Sicav de place d'Ofi AM (gérant d'actifs contrôlé par la Macif et la Matmut) ainsi que la chambre de compensation Euroclear et le courtier néerlandais AFS, avec le soutien de l'association Paris Europlace. Son infrastructure de marché utilisant une version privée d'Ethereum doit simplifier la chaîne des opérations dites de "post-négociation" sur les actions des PME européennes faisant l'objet de peu d'échanges. L'objectif est de réduire les coûts d'accès aux marchés de capitaux et d'améliorer la transparence, en donnant aux petites entreprises une meilleure vision de leur actionnariat.

« La Blockchain est transparente, flexible, immuable. C'est un outil de gouvernance qui permet de faire travailler ensemble des acteurs qui ne veulent pas admettre de hiérarchie entre eux » a analysé Jean-Pierre Landau, sous-gouverneur honoraire de la Banque de France et auteur d'un rapport sur la régulation des crypto-actifs, lors de la Paris Blockchain Conference organisée ce lundi 15 avril à Bercy.

Autre startup de place, Iznes a été créée fin 2017 à l'initiative d'Ofi AM avec la Fintech britannique Setl : elle a levé des fonds l'an dernier auprès de Groupama AM, La Banque Postale AM, La Financière de l'Echiquier, Lyxor AM (Soc Gen) et Arkéa IS pour construire une plateforme pan-européenne d'achat-vente et de tenue de registre des fonds en Blockchain. Plus de 20 sociétés de gestion, dont Amundi, BNP Paribas AM, Natixis AM, etc, l'ont rejointe.

Le Trade Finance, eldorado des consortiums

Autre domaine où foisonnent les startups de consortium, le financement du commerce international, un marché de 8.000 milliards de dollars encore très peu digitalisé qui se prête très bien à la Blockchain.

La plateforme We.Trade, s'appuyant sur la technologie Hyperledger Fabric d'IBM, est née de la coopération de neuf banques européennes, dont Natixis et Société Générale, aux côtés notamment de HSBC, Deutsche Bank, Santander. Une autre plateforme de Trade Finance, spécifique aux matières premières, komgo, reposant sur une version privée de la Blockchain Ethereum, a été créée l'été dernier à l'initiative de 15 grandes entreprises, dont neuf banques (Société Générale, Natixis, Crédit Agricole, BNP Paribas, etc). Elle doit interagir avec une plateforme Blockchain de l'énergie, Vakt, où l'on retrouve BP, Total, Chevron, et des actionnaires communs dont Soc Gen, ING, ABN Amro et Shell.

Lire aussi : Comment la Blockchain va digitaliser le commerce international de matières premières

La technologie étant encore peu mature, sans standard établi, les acteurs français ont préféré ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ainsi BNP Paribas a fait partie des huit banques internationales ayant fondé la plateforme de digitalisation du crédit documentaire Voltron, développée à partir de la technologie Corda de la startup américaine de consortium R3. BNP avec Natixis et Société Générale ont participé au financement de R3 il y a deux ans, un tour de table de 107 millions de dollars auprès d'une quarantaine d'institutions financières, et Frédéric Dalibard, le responsable Blockchain de Natixis, en est le président du conseil d'administration. BNP Paribas a aussi investi dans la startup irlandaise TradeIX (aux côtés d'ING, AIG, DHL et Oracle), qui développe aussi une plateforme de trade finance, Marco Polo, sur la technologie Corda de R3. « Une stratégie de portefeuille de bon père de famille » explique Jacques Levet, responsable Transaction Banking EMEA chez BNP Paribas. La question de l'interopérabilité de toutes ces plateformes va toutefois se poser à terme. Car plusieurs joueurs jouant dans plusieurs équipes simultanément risquent d'ajouter in fine plus de complexité que de simplification.

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Précision : dans l'infographie, la députée Laure de la Raudière apparaît comme UDI, alors qu'elle est membre du parti Agir, La Droite constructive (et du groupe UDI, Agir et Indépendants à l'Assemblée nationale).