« Mario Draghi a impulsé une révolution de la communication à la BCE »

À l'heure où Mario Draghi passe le relais à Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), Bastien Drut, stratégiste senior chez CPR Asset Management (Amundi), livre son analyse des points marquants de l'ère Draghi qui a transformé l'institution.
Delphine Cuny
Bastien Drut est stratégiste senior chez CPR Asset Management.
Bastien Drut est stratégiste senior chez CPR Asset Management. (Crédits : DR)

Si Mario Draghi, trop pudique, s'est refusé à dresser son propre bilan, économistes, stratégistes et spécialistes des marchés obligataires sont nombreux à avoir soupesé les huit années de mandat du président sortant de la Banque centrale européenne, concluant en un legs globalement positif, avec quelques bémols.

Dans « Comment les années Draghi ont changé la Banque centrale européenne », qui vient de paraître (Éditions Bréal), les stratégistes de CPR Asset Management (filiale du géant de la gestion d'actifs Amundi, contrôlé par le Crédit Agricole), Laetitia Baldeschi, Juliette Cohen et Bastien Drut ont radiographié les évolutions majeures de l'institution au cours des huit années du mandat de Mario Draghi, notamment la crise de la zone euro, le long chemin vers le quantitative easing (QE), l'expérience des taux négatifs et le nouveau rôle de superviseur bancaire. L'un des co-auteurs de l'ouvrage, Bastien Drut, nous livre son analyse sur les points clés à retenir. Entretien.

LA TRIBUNE - Que retiendra l'Histoire de Mario Draghi ?

BASTIEN DRUT - Il est certain que Mario Draghi restera perçu comme le sauveur de l'euro. Son fameux « whatever it takes » a été considéré comme le moment de la résolution de la crise de la monnaie unique. On oublie que les États-membres avaient pris d'importantes mesures comme la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) puis du Mécanisme européen de stabilité financière (MESF). Paradoxalement, le jour où Mario Draghi a prononcé cette phrase, il n'était pas si sûr de lui. Il a appelé Angela Merkel, François Hollande et Wolfgang Schaüble pour s'assurer de leur soutien... Par le seul pouvoir de la parole, il a réussi à réduire les spreads souverains [les écarts de rendement entre les emprunts d'État de la zone euro, Ndlr]. C'est pour cette raison que Christine Lagarde peut faire une bonne présidente de la BCE, en sachant calibrer très finement sa communication. À l'inverse, les prises de parole de Jerome Powell, le président de la Fed, sont peu maîtrisées.

Au-delà de la politique monétaire, quelle empreinte a laissé Mario Draghi ?

Si je dois retenir une chose, c'est la révolution de la communication qu'il a impulsée. L'image de la BCE a énormément changé sous la présidence de Mario Draghi. Auparavant, la communication de l'institution était très personnalisée, seul le président, son prédécesseur Jean-Claude Trichet notamment, s'exprimait et était omniprésent. L'intelligence de Mario Draghi a été de mobiliser les compétences, les forces vives du Directoire pour assurer la communication de la BCE, notamment Vitor Constâncio, Peter Praet, Benoît Cœuré, Sabine Lautenschläger, chacun jouant un rôle. Grâce à cette collégialité, la BCE a pu évoluer. Mario Draghi ne s'est pas mis en avant. Pourtant, il a dû encaisser personnellement toutes les critiques, les caricatures, les surnoms comme « Draghila », etc. Il a raréfié sa parole sur la deuxième partie de son mandat, ne donnant pas d'interview, ramenant le nombre de conférences de presse après les réunions de politique monétaire de 12 à 8 par an - quand vous parlez moins, vous dîtes moins de bêtises !

Les communiqués de la BCE ne sont-ils pas devenus pourtant plus difficiles à lire ? Christine Lagarde a préconisé de dépoussiérer le langage de la BCE de son jargon technocratique.

C'est la politique monétaire qui est devenue plus complexe, avec des mesures non conventionnelles et des situations difficilement intelligibles pour le sens commun, comme le rationnel des taux négatifs. Cela n'est pas propre à la BCE mais commun à toutes les banques centrales. Il y a eu un vrai effort de pédagogie réalisé par l'institution, avec la mise en ligne d'un lexique clair et détaillé, d'une foire aux questions.  Elle a organisé des sessions de questions-réponses sur Twitter #askecb mais les questions ont surtout été posées par des spécialistes de politique monétaire. Pour se rapprocher du public, la BCE pourrait s'inspirer de la Fed qui a lancé une série de réunions publiques, « la Fed écoute ». Ceci dit, les Européens savent à peu près aujourd'hui ce qu'est la BCE et cette dernière a pris une place centrale dans l'économie européenne.

La BCE est-elle impuissante comme l'écrit souvent la presse anglo-saxonne ?
En matière de Quantitative Easing, la BCE est allée très loin. L'expérience de taux négatifs de la BCE est la plus puissante de l'histoire : elle s'est appliquée à plus de 1.900 milliards d'euros de réserves excédentaires. Ce n'est pas le cas de la Suisse, du Japon, ou de la Suède, où les banques centrales ont mis en place des mécanismes d'exemption de taux négatifs sur une partie des réserves. Les montants de dette publique détenue par la BCE, même s'ils sont inférieurs à celle du Japon, restent très élevés, à plus de 2.100 milliards. La question de l'impuissance de la BCE, de savoir si elle est à court d'outils, se pose notamment à cause de ce volume. Plus généralement, l'éternel problème de la BCE demeure l'hétérogénéité des situations des 19 pays de la zone euro et des niveaux d'épargne : les taux négatifs n'ont pas le même impact en Allemagne et en Italie !

Mario Draghi a surpris en prenant des décisions contestées en septembre. Comment l'analysez-vous ?

Je pense que c'est une manière de laisser un héritage. Quand Jean-Claude Trichet lui a transmis le flambeau, la doctrine était : « Le Conseil des gouverneurs ne se pré-engage jamais ». Mario Draghi vient de faire tout le contraire, en imposant un QE qui n'a pas de date de fin ! En déclarant que la nouvelle baisse des taux et de la reprise du QE correspondaient à ce qu'il avait pré-annoncé à la conférence de Sintra fin juillet, il en a presque fait une décision personnelle. Cela marquait sa victoire dans le match contre les « faucons ». Christine Lagarde a les mains liées pour le début de son mandat. Elle aura cependant des décisions importantes à prendre, notamment concernant le montant du programme d'achats de dettes, 20 milliards d'euros par mois. Y aura-t-il encore assez d'obligations allemandes à acheter, ou faudra-t-il relever la limite de détention par émetteur par exemple ?

Propos recueillis par Delphine Cuny

Delphine Cuny

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Commentaires 3
à écrit le 31/10/2019 à 11:04
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on retiendra qu'il distribue in fine de l'argent gratuit a des etats dispendieux qui n'ont fait aucune reforme a commencer par la france en economie ca s'appelle 'moral hazard', c'est ce que les allemands ne voulaient precisemment pas ( que les ret...

à écrit le 31/10/2019 à 9:30
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Christine Lagarde cassera le bien le plus précieux de notre Union Européenne: la liaison entre la France et l'Allemagne, et elle vient déjà de commencer..

à écrit le 31/10/2019 à 9:20
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BEn oui faute de véritable pouvoir on touche à la seule chose qui nous est permise, la communication, le truc qui permet de transformer une catastrophe en demie réussite.

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