"Make in India" : quand New Delhi ne joue pas vraiment le jeu

Par Michel Cabirol  |   |  743  mots
Le Rafale atterrirra-t-il un jour en Inde?
Le salon aéronautique Aero India (18-22 février) s'ouvre ce mercredi sur le thème "Make in India". Pourtant, New Delhi ne joue pas vraiment le jeu avec le Rafale, dont le programme pourrait faire l'objet d'un vaste transfert de technologies, et le missile air-défence SR-SAM développé en partenariat entre le DRDO indien et MBDA.

"Nous voulons faire de "Make In India" le thème majeur" de la 10e édition du salon Aero India, qui sera inauguré ce mercredi par le Premier ministre indien Shri Narendra Modi, "et voir les progrès du "Make in India" dans le secteur de défense aussi", a expliqué il y a une dizaine de jours le secrétaire d'Etat à la production de défense, Shri G Mohan Kumar. Aero India qui va rassembler plus de 600 entreprises (295 indiennes et 328 étrangères), dont 64 américaines et 58 françaises. Des entreprises qui sont présentes au regard du budget de la Défense indien en hausse régulière depuis 2009 (41,6 milliards de dollars en 2014-2015, dont 41% sont consacrés aux achats d'armes). Soit le 9e budget de la défense mondial.

New Delhi a promulgué en juin 2013 de nouvelles procédures de passation pour les marchés de défense. Et ce en plus des 30 % d'offset que les Indiens exigent pour accorder des contrats aux industriels étrangers. Pour le contrat Rafale par exemple, le contenu local doit être d'au moins 50% ! Ces exigences visent notamment à développer une industrie de défense indienne robuste, selon le ministère de la Défense indien, avec les plus hauts standards de transparence, de probité et de responsabilité publique. Clairement, New Delhi voulait donner une impulsion à l'indigénisation des achats d'armements. "Une plus grande préférence sera maintenant accordée explicitement" aux entreprises indiennes. Une stratégie reprise d'ailleurs par le gouvernement Modi avec une campagne lancée en septembre 2014.

La France joue le jeu sans être récompensée

La France a joué le jeu. Et plutôt bien. Car pour gagner des contrats en Inde, elle a consenti soit de vastes transferts de technologies (ToT) à l'image des négociations sur le Rafale (126 appareils, dont 108 fabriqués par l'industriel indien HAL), soit à développer des programmes en coopération étroite avec l'industrie indienne (missile air defence SR-SAM) soit encore à des fabrications sous licence (hélicoptères Fennec).

Sans aucun succès probant et souvent la douche froide : contrats cassés, appels d'offre interrompus ou encore exigences extravagantes. Pendant ce temps, New Delhi est en passe de signer plusieurs contrats d'un montant de 1,5 milliard de dollars avec les entreprises israéliennes (drones, missiles air defence, missiles antichars et deux avions de surveillance Phalcon AWACS).

Vers une annulation de SR-SAM?

Depuis son arrivée au pouvoir, le Premier ministre Modi a sur son bureau un dossier sur une possible annulation du programme SR-SAM (Short Range Surface to Air Missile) dont l'armée de l'air ne veut plus. "La décision n'est pas encore prise", explique-t-on à "La Tribune" mais l'optimisme à Paris est très modéré. Pourtant ce missile sol-air de nouvelle génération doit être co-développé avec la DRDO (Defence Research and Development Organisation) et coproduit en Inde avec Bharat Dynamics Limited.

Le projet est estimé à 4,5 milliards d'euros (6 milliards de dollars), dont 1,8 milliard d'euros devait revenir à MBDA, qui attend depuis des années ce très beau contrat. Un contrat dont les négociations sont terminées depuis décembre 2011. En février 2013 à l'issue de la visite de François Hollande en inde, l'ancien Premier ministre indien, Dr Manmohan Singh's avait annoncé dans un communiqué avoir conclu avec les industriels les négociations sur le SR-SAM. Aujourd'hui, la France peut se poser la question de savoir si vraiment le "Make in India" est une réalité ou un slogan marketing.

Le "Make in India" à l'heure indienne

En dépit de sa volonté de fabriquer localement, l'Inde peine à développer ses propres programmes. Ainsi, le développement de la phase deux de l'avion de combat LCA (Light Combat Aircraft) sous l'autorité du DRDO indien (Defence Research and Development Organisation) devait être achevé.... en décembre 2008. Il le sera en décembre 2015, selon le ministère de la Défense. Tout comme le missile LR-SAM (Long range surface to air Missile) développé avec les Israéliens est aujourd'hui attendu en décembre 2015 au lieu de mai 2011.

Par ailleurs, le manque de compétences et de connaissances techniques de l'administration indienne complique aussi l'achat de matériel, estime Manoj Joshi, du think tank Observer Research Foundation basé à Delhi, interrogé par l'AFP. "Une personne chargée de l'élevage un jour va se retrouver à la Défense le lendemain. Nos fonctionnaires civils n'ont pas l'expertise des marchés et des matériels, ce qui complique la situation", relève-t-il.