Confrontée à la guerre en Ukraine, l'aéronautique mondiale tente de couper les ponts avec la Russie. Si les sanctions américaines et européennes ont amené les constructeurs et équipementiers à suspendre leur soutien aux compagnies russes, la question de l'approvisionnement en matières premières est plus problématique. Elle se pose en premier lieu pour le titane, essentiel pour l'aéronautique et dont la Russie est le premier producteur. Boeing vient pourtant d'annoncer qu'il suspendait ses achats de titane russe, en particulier avec VSMPO-Avisma, principal producteur mondial et premier fournisseur du constructeur américain, mais aussi d'Airbus ou Safran.
C'est un sacré changement pour Boeing. Il y a quelques mois à peine, au salon de Dubaï, l'avionneur américain annonçait la signature d'un protocole d'accord avec VSMPO-Avisma, afin qu'il reste son principal fournisseur pour ses avions actuels et à venir. Il dispose d'ailleurs d'une coentreprise, Ural Boeing Manufacturing (UBM), avec le géant russe. Aucune précision sur le sort de cette société n'a été apportée pour l'instant.
Le titane russe est présent sur les programmes 737, 767, 777, 777X et 787. Selon le Wall Street Journal, il représentait jusqu'ici un tiers des approvisionnements de Boeing. S'en affranchir ne va donc pas être aisé, d'autant que la part du titane dans la conception des avions ne cesse au fil des programmes (8 % sur le 777, 15 % sur le 787).
Des stocks suffisants pour maintenir la production
Boeing a assuré qu'il était en mesure "de maintenir une production ininterrompue d'avions civils" grâce à des stocks importants. Les cadences de production ralenties du 737 MAX, qui accélèrent doucement depuis le printemps 2020, et du 787 ont notamment aidé à la constitution d'un "tampon" suffisant pour tenir plusieurs mois.
Le constructeur mentionne également son réseau de fournisseurs alternatifs et souligne ainsi l'initiative qu'il mène depuis plusieurs années pour créer un pool de fournisseurs mondiaux. Il reconnaît tout de même qu'il devra continuer "à prendre des mesures pour assurer la durabilité de l'activité à long terme". Parmi les fournisseurs alternatifs au titane russe, Boeing peut compter sur trois grands groupes américains avec lesquels il travaille déjà : Titanium Metals Corporation (Timet), Allegheny Technologies Incorporated (ATI) et RTI International Metals (RTI). Les autres grands pays fournisseurs sont le Kazakhstan, le Japon et la Chine.
En réaction à cette décision de Boeing, Dmitri Osipov, PDG de VSMPO-Avisma, a déclaré à l'agence russe Tass : "Nous regrettons sincèrement que le contrat avec notre partenaire de longue date ait été suspendu. Ayant observé la situation dans le pays et dans le monde, nous étions préparés à une telle évolution, et la société dispose de toutes les possibilités et ressources pour atténuer les risques qui sont apparus. Aujourd'hui, nous réorientons notre politique commerciale vers d'autres marchés et d'autres directions."
VSMPO-Avisma continue d'exporter
VSMPO-Avisma n'est pour l'instant visé directement par aucune sanction et peut continuer ses exportations. La plupart des industriels occidentaux continuent donc à s'approvisionner auprès du groupe. C'est notamment le cas pour les sociétés européennes, qui dépendent davantage du titane russe en l'absence de production domestique. VSMPO-Avisma fournit ainsi 50 % des importations de l'aéronautique française, à commencer par Airbus et Safran.
Le constructeur européen déclare pour l'instant continuer à s'approvisionner en Russie, "dans le respect de toutes les sanctions et des réglementations applicables en matière de contrôle des exportations". De son côté, le motoriste a annoncé la semaine dernière avoir constitué des stocks pour assurer la production jusqu'à l'automne, mais Pascal Bantegnie, directeur financier de Safran, avait précisé qu'il était impossible de couper avec un fournisseur aussi important instantanément, et que plusieurs trimestres seraient nécessaires pour y arriver.
Comme le rapporte l'AFP, les relations avec VSMPO-Avisma sont d'autant plus délicates que le président de son conseil d'administration, Sergey Chemezov, est à titre individuel sur la liste des personnes russes visées par des sanctions américaines à titre individuel. Ce proche de Vladimir Poutine a été ciblé une première fois en 2014 après l'annexion de la Crimée par Moscou, puis de nouveau après la récente invasion de l'Ukraine.
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