Depuis une semaine, les compagnies russes essuient les sanctions à répétition venues des pays occidentaux. Interdites dans les espaces aériens européen et nord-américain, privés de soutien de la part d'Airbus, de Boeing et des sociétés de maintenance telles que Lufthansa Technik, elles pourraient aussi perdre une large partie de leurs avions. Avec près de 1.000 appareils, la flotte russe est majoritairement composée d'Airbus et de Boeing en location, qui ne sont pas la propriété des compagnies aériennes mais d'organismes financiers : les loueurs, souvent désignés sous le terme anglais "lessors". Certains d'entre eux sont russes, principalement des filiales de banques, mais plusieurs acteurs occidentaux sont concernés. Au titre des sanctions, ces derniers ont désormais jusqu'au 28 mars pour résilier leurs contrats avec les compagnies russes et si possible récupérer leurs avions.
AerCap, Air Lease Corporation (ALC), SMBC Leasing and Finance, Carlyle Aviation Partners... Nombre de sociétés occidentales sont ainsi directement impliquées. Plus gros loueur au monde avec plus de 2.000 avions et 900 moteurs, la société AerCap est aussi la plus exposée en nombre d'appareils. Basée en Irlande (comme bon nombre de ses homologues), elle possède plus de 140 avions opérant au sein de compagnies russes selon le cabinet d'analyse britannique IBA, qui précise qu'une partie de cette flotte est issue du rachat de l'américain Gecas fin 2021. Selon le loueur, cela représente 5 % de ses actifs, évalués à 75 milliards de dollars fin 2021.
Toujours selon IBA, viennent ensuite ALC et SMBC avec un peu plus d'une trentaine d'appareils chacun loués en Russie, puis Carlyle, Castelake, CDB Aviation, Avolon Aerospace ou encore Aviation Capital Group (ACG), avec près d'une vingtaine d'appareils chacun. Ces loueurs apparaissent nettement moins exposés qu'AerCap, mais cela représente tout de même environ 150 avions et plusieurs milliards de dollars d'actifs cumulés. De plus, certains d'entre eux ont une part plus importante de leur portefeuille placée en Russie. C'est par exemple le cas pour Fortress Transportation and Infrastructure, à hauteur de 7 % de sa flotte d'après IBA.
Plus de 500 avions doivent sortir des flottes russes
Au total, ce sont donc plusieurs centaines d'avions qui sont amenés à cesser leurs opérations d'ici le 28 mars. Selon une autre société d'analyse, Cirium, citée par Reuters, ce sont plus de 500 avions qui sont ainsi concernés, soit la moitié de la flotte opérant sous pavillon russe. Le coup est d'autant plus dur que cela représente la majorité des Airbus et Boeing (qui dépassent les 700 unités) en service dans le pays. Si les mesures sont appliquées, la flotte russe se réduirait alors comme peau de chagrin à environ 200 Airbus et Boeing - privés de soutien par les avionneurs - et à peu près autant d'appareils locaux, comme les Sukhoi SSJ100.
Le reste de la flotte appartient essentiellement à des loueurs russes et chinois, ainsi qu'à la société dubaïote DAE Aviation. La plupart des acteurs russes sont liés directement à des banques, aujourd'hui prises elles aussi dans la tourmente des sanctions : VTB Leasing, branche de la banque d'Etat VTB, VEB Leasing, issue de la banque de développement de Russie, PSB Leasing, rattachée à la banque privée PSB... toutes désormais exclus du système international Swift. Dans le lot, Sberbank Leasing s'en sort un peu mieux : Sberbank, sa maison-mère et principale banque du pays, s'est retirée elle-même du marché européen et échappe jusqu'ici à l'exclusion de Swift. C'est aussi le cas pour la compagnie d'Etat GTLK, qui n'est pas directement liée à une banque.
Un rapatriement complexe
Cette situation est aussi lourde de conséquences pour les loueurs. Tout d'abord, ils vont devoir rompre les contrats de location et si possible exfiltrer leurs appareils. Cela dépendra avant tout de la bonne volonté des autorités et des compagnies russes. Et la fermeture du ciel européen aux vols venus de Russie pourrait encore compliquer les choses, obligeant les avions à faire une escale par un pays tiers.
Pour faire un parallèle avec la maintenance, avec l'arrêt du soutien aux compagnies russes, le rapatriement des pièces détachées semble également complexe (celui-ci n'est pas exigé par les autorités européennes et américaines pour l'instant). Interrogé par La Tribune lors des résultats annuels du groupe Lufthansa, le directeur financier Remco Steenbergen a déclaré que les pièces et consommables prépositionnés en Russie restent ainsi stockés sur place pour le moment, même s'ils ne sont plus accessibles aux compagnies russes.
Si tant est qu'il récupère leurs flottes, les loueurs vont se retrouver avec des avions sur les bras au lieu de toucher des loyers. Il y a aussi la question du paiement des loyers en cours, ainsi que des réserves de maintenance que les compagnies sont censées payer pour couvrir les frais à venir pour la remise en état des appareils entre deux contrats de locations et qui peuvent s'avérer élevés. Entre l'exclusion des banques russes du système Swift et la potentielle mauvaise volonté des compagnies à s'acquitter de ces frais après s'être vues retirer leurs avions, l'addition risque d'être salée pour les loueurs.
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