
Tandis que l'aviation de combat russe a désormais la maîtrise du ciel ukrainien, les sanctions se poursuivent à l'encontre de l'aviation commerciale. Après l'Europe et le Canada, c'est au tour des Etats-Unis de renforcer ses mesures en interdisant à son tour son espace aérien aux compagnies de la Fédération de Russie. Mais le coup le plus important pourrait bien venir du secteur privé : tout comme Airbus, en application des décisions européennes et américaines, Boeing a annoncé le 1er mars l'arrêt de tout soutien aux compagnies russes.
L'avionneur américain a suspendu la livraison de pièces, conformément à l'embargo décrété par la Maison blanche la semaine dernière, mais aussi ses activités de maintenance et de soutien aux compagnies russes. Il a également déclaré l'arrêt de ses principales opérations à Moscou.
Boeing ferme ces centres moscovites
Cela comprend un campus de formation, équipé en particulier pour l'entraînement des pilotes de 737 et 777, mais aussi deux centres importants : un centre de R&T, le Boeing technical research center et un centre de conception, le Boeing design center. Le premier est consacré à la recherche sur les nouveaux matériaux, le prototypage ou encore l'aérodynamique, tandis que le second a pour objectif d'assurer un soutien technique aux compagnies de la région, avec des prestations d'ingénierie en collaboration avec des partenaires locaux. Il a également participé au développement des programmes 747-8 et 787. Le Boeing design center comprend des bureaux dans la capitale russe, ainsi qu'à Kiev. Ces derniers ont été également fermés pour assurer la sécurité des équipes locales.
Interrogé, Airbus a confirmé pour sa part avoir également suspendu les services de soutien aux compagnies russes, en sus de l'arrêt des livraisons de pièces détachées dans le pays.
Maintenance, des capacités locales installées
Dans le contexte de reprise du trafic, les cycles de maintenance ont tendance à être allongés au maximum, mais certains appareils arriveront en butée dans les prochains mois. Des acteurs locaux, comme A-Technics ou S7 Technic, respectivement filiales d'Aeroflot et S7 Airlines, sont capables de réaliser des opérations pouvant aller jusqu'au Check-C sur la plupart des appareils occidentaux. C'est aussi le cas dans des pays tiers, en Chine par exemple. C'est également le cas pour les moteurs.
De même, la baisse de trafic liée à l'arrêt des liaisons vers l'Europe et l'Amérique du Nord va permettre aux compagnies russes de pouvoir optimiser au mieux leur maintenance sans saturer les ateliers. Enfin, la remise en service de certains appareils jusque-là parqués pour faire face à l'effondrement du trafic peut également permettre aux compagnies russes de retrouver un peu de latitude.
Une ingénierie à reconstruire
Les choses risquent en revanche de se compliquer en cas d'événement (comme un atterrissage dur) qui nécessitent un travail d'ingénierie. Les opérateurs ne pourront dès lors faire appel aux constructeurs pour trouver des solutions de contrôle ou de réparation. C'était notamment le rôle du Boeing design center.
Si la situation se prolonge, l'industrie russe pourrait être amenée à développer ses propres capacités d'ingénierie et solutions de réparation sous l'égide de l'autorité locale, le Comité interétatique de l'aviation (IAC). Cela nécessiterait un important travail de "reverse engineering" mais l'industrie aéronautique russe ne part pas de rien. Si tel était un jour le cas, les avions concernés seraient en revanche contraints d'opérer exclusivement sur le réseau domestique.
La pénurie à venir de pièces
Le besoin de pièces de rechange et en consommables semble être le principal facteur limitant, selon un spécialiste de la maintenance interrogé par La Tribune. Le secteur aéronautique travaille en effet essentiellement avec des pièces d'origine pour garantir leur qualité et pour préserver la valeur résiduelle des appareils (en particulier pour les moteurs). Ce sont d'ailleurs les pièces qui ont été visées en premier lieu par les sanctions américaines et européennes.
Comme l'explique ce spécialiste, les compagnies russes disposent de stocks bien proportionnés en raison de leur politique douanière assez stricte qui ne permet pas d'opérer à flux tendus. Ces stocks sont positionnés soit directement auprès des compagnies ou de leurs filiales de maintenance, soit chez des sociétés tierces. S'il s'agit de sociétés russes, elles ne fermeront pas leurs portes aux compagnies aériennes. S'il s'agit de sociétés occidentales, les choses risquent d'être plus compliquées. Cela dépendra notamment si les pièces ont déjà été achetées par des opérateurs, si elles sont en cours de transaction (a priori annulées par la mise en place de l'embargo), ou si elles sont encore la propriété exclusive de la société de maintenance mais positionnées sur le territoire russe.
Le problème se pose en particulier pour Lufthansa Technik, fortement implanté en Russie avec des stocks et des capacités sur place. La filiale du groupe Lufthansa a annoncé qu'elle suspendait son soutien aux compagnies russes, ce qui constitue un coup dur au vu des nombreux contrats pluriannuels en cours. Mais quid de ses stocks sur place et de leur possible rapatriement ?
Le cannibalisme pour survivre
Les compagnies russes pourraient disposer de quelques mois devant elles, peut-être six, même s'il est dur d'évaluer avec précision leurs réserves. Si les sanctions venaient à perdurer, les opérateurs pourront également cannibaliser une partie de leur flotte pour récupérer des équipements. Les moteurs seraient alors les premiers concernés avec la récupération de modules pour reconstituer des engins opérationnels.
La pression la plus forte va se faire sentir sur les appareils récents, tels que les A320 NEO (version remotorisée de l'A320) ou l'A350 pour lesquels les stocks et les capacités de maintenance sont moins étoffées que pour d'autres programmes. Tout comme les possibilités de cannibalisation. Le 737 MAX de Boeing aurait aussi pu être concerné, mais il n'a pour l'instant toujours pas été "recertifié" par l'IAC.
Un risque pour la sécurité ?
Reste à savoir si cette nécessité d'adaptation pour les compagnies russes peut compromettre la sécurité de leurs opérations. Selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), elles ont amélioré de façon tangible leurs performances en la matière ces dernières années avec l'adoption de normes internationales et le renouvellement de leurs flottes (en remplaçant notamment leurs avions d'origine soviétique par des Airbus et des Boeing), mais sans réussir à combler entièrement l'écart avec les standards mondiaux.
En 2016, les opérateurs russes affichaient ainsi un accident pour 400 000 vols quand la moyenne mondiale était d'un accident pour 620 000 vols.
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LONDRES VA BANNIR L'AVIATION DES SERVICES D'ASSURANCE
Le gouvernement britannique a annoncé jeudi qu'il allait bannir l'accès des entreprises russes des secteurs de l'aviation et de l'aérospatiale aux services britanniques d'assurance et de réassurance, renforçant encore son train de sanctions après l'invasion de l'Ukraine. "Les compagnies russes des secteurs de l'aviation ou de l'aérospatiale seront empêchées de faire un usage direct ou indirect des services d'assurance ou de réassurance basés au Royaume-Uni", a indiqué le Trésor dans un communiqué. Londres étant un des leaders mondiaux dans ce secteur, "cette mesure limitera fortement (leur) accès au marché mondial de l'assurance et de la réassurance", a-t-il ajouté.
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