Interrogé lors des résultats annuels de son groupe sur son exposition à la guerre russo-ukrainienne, Olivier Andriès, directeur général, a affirmé que le sujet principal était le titane. Léger, solide, peu corrosif, celui-ci est largement présent dans les moteurs, les trains d'atterrissage, les aérostructures ou encore les voilures. Les chiffres sont en effet éloquents. N'étant pas productrice, l'Union européenne (Royaume-Uni compris) importait avant crise environ 70.000 tonnes de titane par an, dont les deux tiers à destination de l'industrie aéronautique et spatiale. Et au niveau mondial, le secteur représente plus du tiers de la demande mondiale.
Or, comme le déclare Olivier Andriès, "la Russie est la première source d'approvisionnement en titane de l'aéronautique mondiale, avionneurs, motoristes et équipementiers", notamment par le prisme de VSMPO-Avisma. Le géant russe détient 25 à 30 % du marché mondial. Bien qu'étant de droit privé, il est détenu à 25 % et une action par la société d'Etat Rostec.
50 % de titane russe dans l'aéronautique française
L'industrie française est particulièrement exposée. Dans le périmètre du Gifas, c'est environ la moitié du titane qui provient de la filière russe et de VSMPO-Avisma. Le géant russe est le premier fournisseur d'Airbus comme de Safran, avec des accords à long terme renouvelés ces dernières années. Selon Olivier Andriès, il représente un peu moins de 50 % des approvisionnements en titane de son groupe. Et les chiffres sont vraisemblablement assez proches chez Airbus.
L'Europe n'est pas la seule exposée. Il y a quelques mois à peine, au salon de Dubaï, Boeing a annoncé la signature d'un protocole d'accord avec VSMPO-Avisma, afin qu'il reste son principal fournisseur pour ses avions actuels et à venir. Le titane russe est ainsi présent sur les programmes 737, 767, 787, 777 et 777X.
Un cordon difficile à couper
Le secteur aéronautique aurait donc du mal à se passer du titane russe. Pascal Bantegnie, directeur financier de Safran, estime ainsi qu'il est impossible de couper avec un fournisseur aussi important instantanément, mais que cela peut être envisageable sur plusieurs trimestres. Cela nécessiterait notamment de référencer et qualifier de nouveaux fournisseurs, et escompter que ceux-ci aient la capacité de soutenir la demande. Et cela se traduirait par une inflation.
Ce n'est d'ailleurs pas le cas pour l'instant : le prix du titane reste stable depuis plusieurs mois. Cette situation contraste avec d'autres matières premières comme l'aluminium, en hausse depuis plusieurs mois et qui flambent avec la crise ukrainienne.
L'inquiétude est donc réelle : VSMPO-Avisma a beau dépendre largement de ses exportations vers les marchés occidentaux, le caractère imprévisible du pouvoir politique russe fait tout de même peser une incertitude. La crainte ne doit pas être démesurée pour autant laisse-t-on entendre au sein du secteur aéronautique. Comme plusieurs dirigeants du secteur le rappellent, il n'y a pas eu d'interruption des livraisons sur le titane pour l'instant. Selon un équipementier, il n'y a pas de risque à court terme sur les stocks et il faut désormais observer l'évolution de la situation.
Des stocks préventifs
De fait, la filière aéronautique française a ainsi commencé à constituer des stocks de sécurité depuis plusieurs semaines, voire quelques mois, pour ne pas être prise de cours. Safran fait partie de ceux qui ont pris les devants, comme l'explique Olivier Andriès : "depuis le début de l'année, compte tenu de la situation, nous avons pris la décision d'augmenter nos stocks de titane. Nous avons racheté des stocks existants, notamment en Allemagne chez des distributeurs. "Il affirme ainsi disposer de suffisamment de stocks jusqu'à l'automne. Et le directeur général de Safran veut aussi sécuriser son approvisionnement à plus long terme : "Dans les semaines qui viennent, nous allons accélérer les sources alternatives."
Le discours est proche chez Boeing. Lors du salon de Singapour, Stan Deal, PDG de Boeing Commercial Airplanes, a affirmé à Reuters qu'il avait diversifié sa chaîne d'approvisionnement en titane depuis 2014, lors de la Crimée ukrainienne par la Russie. "Cette diversité nous donne l'occasion de travailler en dépit de toute perturbation de la chaîne d'approvisionnement liée au titane", a-t-il déclaré. Un discours qui contraste quelque peu avec celui de Dubaï.
Le ralentissement de l'activité aéronautique ces dernières années, avec l'arrêt du 737 MAX et désormais celui du 787, ainsi qu'avec les baisses de cadences dues à la pandémie, ont aussi permis de constituer des réserves. Enfin, VSMPO-Avisma dispose également de stocks avancés en Europe, notamment en Allemagne, en Suisse et au Royaume-Uni, ainsi qu'aux Etats-Unis. Cela devrait éviter une rupture de l'activité en cas d'arrêt brutal des exportations russes, dans un premier temps du moins.
Des alternatives existent
Il existe tout de même d'autres sources d'approvisionnement en titane. Olivier Andriès affirme ainsi que comme pour tous ses approvisionnements, le titane répond à des logiques de double, voire de triple source.
Parmi ces fournisseurs alternatifs, il y a la filière intégrée d'Aubert & Duval - actuellement en cours d'acquisition par Airbus, Safran et Tikehau Ace Capital auprès d'Eramet. Etablie en partenariat avec le producteur kazakh UKTMP, elle pèse pour environ 20 % du marché pour l'aéronautique française.
De l'autre côté de l'Atlantique, il y a les groupes américains Titanium Metals Corporation (Timet), Allegheny Technologies Incorporated (ATI) et RTI International Metals (RTI). Et enfin, une petite quantité vient d'Asie, notamment du Japon.
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Safran a passé le point bas
Si 2020 a été l'année de la rupture, Safran a continué à souffrir en 2021. Le groupe a vu son chiffre d'affaires baisser de 7,5 %, à 15,3 milliards d'euros par rapport à l'année précédente. C'est 62 % du niveau de 2019, même si des cessions ont eu lieu depuis. Marquées par le ralentissement durable du marché des appareils long-courrier, les activités d'équipements aéronautiques et d'intérieur d'avions sont en recul, tandis que celle de propulsion se maintient à peu près avec la remontée des livraisons de moteurs pour les avions moyen-courrier et la reprise progressive du trafic aérien.
La rentabilité augmente néanmoins avec les effets du plan d'adaptation de l'activité - qui a conduit à la fermeture de plusieurs sites et une baisse d'effectifs de 2.000 personnes encore en 2021. Le résultat opérationnel courant ajusté atteint 1,8 milliard d'euros (+7 %) pour une marge de 11,8 % (+1,6 point). Le résultat net baisse de 10 % pour s'établir à 760 millions d'euros.
Olivier Andriès, directeur général de Safran, a reconnu que 2021 avait été encore difficile, rappelant que c'était la première année complète de crise (le groupe n'avait encore été touché au premier trimestre 2020). Il a néanmoins insisté sur la dynamique retrouvée depuis l'été après avoir passé le point bas de la crise.
De fait, pour 2022, il reste prudent mais espère poursuivre la remontée en puissance tout au long de l'année, jusqu'à atteindre un chiffre d'affaires de l'ordre de 18 milliards d'euros, avec une marge opérationnelle courante de 13 % et une génération de cash-flow libre de 2 milliards d'euros.
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