Coopérations : "Il faut trouver des solutions, mais pas des compromissions" (Florence Parly)

Florence Parly dit dans un entretien accordé à La Tribune ses vérités sur son passage au ministère des Armées. Ses satisfactions mais aussi ses frustrations et ses regrets. Revue de détail.
Michel Cabirol
Est-ce que la défense peut être considérée comme une activité non soutenable ? C'est une absurdité puisque c'est la survie de la nation qui est en question, affirme la ministre des Armées Florence Parly dans un entretien accordé à La Tribune.
"Est-ce que la défense peut être considérée comme une activité non soutenable ? C'est une absurdité puisque c'est la survie de la nation qui est en question", affirme la ministre des Armées Florence Parly dans un entretien accordé à La Tribune. (Crédits : Benoit Tessier)

La ministre des Armées Florence Parly avait déjà fait ses cartons quand La Tribune l'a rencontrée lundi 9 mai lors d'une discussion de plus d'une heure et quart à bâtons rompus. Des cartons à la fois remplis durant ses cinq ans de présence à l'Hôtel de Brienne de souvenirs tragiques, avec les militaires morts en opérations extérieures, de satisfactions (exécution de la loi de programmation militaire, exportations, politique spatiale, innovations) et enfin de quelques frustrations et regrets (coopérations européennes, taxonomie, Barkhane).

Le bilan de Florence Parly, sur le départ, est positif ne serait-ce principalement parce que les trois premiers exercices budgétaires de la loi de programmation militaire (LPM) entre 2019 et 2021 ont été exécutés de façon conforme aux prévisions. Du jamais vu depuis plus de 20 ans. Elle a donc pu travailler dans un contexte où elle savait qu'elle aurait des moyens en croissance. Ce qui n'est pas négligeable. "La LPM nous a permis dès le départ de pouvoir construire notre feuille de route en nous appuyant sur des fondamentaux que mes prédécesseurs n'avaient pas eu", explique-t-elle.

"Les cinq dernières années ont été très atypiques par le nombre de crises qui s'y sont succédé et qui ont été également atypiques compte tenu de ce qu'avaient été les 25 dernières années avant mon arrivée au ministère en matière d'exécution de LPM", explique à La Tribune la ministre.

Un alignement des astres

Très clairement, Florence Parly a bénéficié d'un alignement des astres, ce qui n'a pas été le cas de ses prédécesseurs. La ministre a pu travailler sur une feuille de route plus ambitieuse en disposant de moyens budgétaires. "À peine arrivée, la feuille de route était claire. Il fallait tracer un chemin vers les 2 % de dépense de défense par rapport au PIB de 2025 et donc bâtir une loi de programmation militaire. Cela a été d'entrée de jeu le premier chantier, qui a structuré tout le reste", note-t-elle. Pour autant, elle s'est rapidement heurtée à deux freins au sein même de son ministère : le scepticisme sur une croissance durable des moyens et les tentatives habituelles de "bourrage" de la LPM pour caser le plus possible de programmes.

"L'une des difficultés auxquelles je me suis heurtée avec toute l'équipe, c'est que pendant plusieurs années, le ministère n'a pas vraiment cru que la remontée en puissance des moyens budgétaires serait durable. Il a fallu faire beaucoup de pédagogie face à un réflexe de précaution que l'on peut tout à fait comprendre compte tenu de ce qu'avaient été les 25 dernières années", souligne-t-elle.

Les grandes satisfactions de Florence Parly

"Les budgets de la LPM ont été votés et exécutés conformément à la programmation. C'est la première des satisfactions", assure Florence Parly. Elle s'est également lancée dans plusieurs grandes réformes, dont celle du maintien en condition opérationnelle (MCO), dont elle a confié les clés du MCO aéronautique à la "tenace" Monique Legrand-Larroche. "En matière de MCO, les industriels doivent produire des résultats. Et en particulier dans le domaine des hélicoptères, un secteur qui n'est pas à la hauteur des attentes. On n'est pas du tout au taux de disponibilité qu'il conviendrait d'avoir. Il y a un vrai défi pour les industriels concernés qui ont conçu de formidables machines. Mais l'enjeu du MCO n'a pas suffisamment été pris en compte. A l'époque ce n'était pas dans le cahier des charges", regrette-t-elle.

Pour autant, elle estime que "les premiers résultats du MCO sont  encourageants" même si "on peut voir le verre d'eau à moitié vide ou à moitié plein bien sûr, suivant la perspective dans laquelle on se place". Elle se dit satisfaite "d'avoir pu initier cette réforme et j'espère avoir convaincu tout le monde que ce n'était pas un sujet secondaire. C'est un sujet prioritaire". Autre sujet de satisfaction, la politique spatiale que Florence Parly a "revisité le sujet de fond en comble". Le ministère des Armées "a pu tirer beaucoup de conséquences très pratiques aussi bien en termes d'investissement, de renouvellement des matériels que d'organisation et de bonne articulation de la dimension spatiale avec les autres milieux", estime-t-elle. Florence Parly estime avoir beaucoup fait pour l'innovation au sein du ministère. Et principalement sur l'innovation en cycle court avec la création de l'Agence de l'innovation de défense (AID), censée "éviter que nos armées soient privées du bénéfice de l'innovation en cycle court". "Emmanuel Chiva essaie de faire bouger les lignes. C'est une politique qui est à consolider et à ancrer fermement" dans le paysage du ministère, souligne-t-elle.

L'exportation des armements tricolores, dont le Rafale, a également apporté beaucoup beaucoup de satisfactions à la ministre. "Les performances à l'exportation ont été excellentes pendant ces cinq ans. La prise de commande est de 65 milliards sur la période", indique-t-elle. Au-delà de la vente des matériels, la LPM imposait au ministère des succès à l'export, notamment du Rafale, sans quoi les "équations budgétaires de la LPM auraient été difficiles à tenir", se rappelle la ministre. Et la vente du Rafale à la Grèce et à l'Égypte en... 2021 a permis de ne pas déstabiliser la LPM même si cette dernière ne prévoyait pas l'achat de Rafale supplémentaires pour remplacer les appareils vendus d'occasion à Athènes, puis plus tard à la Croatie. Florence Parly reconnaît que le ministère "a eu un moment délicat parce que nous n'arrivions pas à concrétiser un export Rafale, ce qui aurait eu des répercussions sur la LPM".

Interrogée également sur d'éventuelles défaillances de l'intelligence économique française après Aukus mais aussi sur le contrat remporté par Fincantieri en Indonésie à la grande surprise de la France, la ministre explique qu'elle a fait de "l'intelligence économique, un des axes prioritaires" pour les services de renseignement. "Et d'ailleurs, estime-t-elle, beaucoup a été fait au cours de ce quinquennat, en lien étroit avec Bercy", pour vraiment remettre l'intelligence économique au cœur des préoccupations des services. "Il est clair que certains pays ont des méthodes plus agressives que les nôtres". Des méthodes en dehors des clous légaux..."Je suis confortable avec le fait de ne pas jouer ce jeu-là. Nous, nos contrats, on les a eu à la loyale", insiste la ministre.

Les frustrations de Florence Parly

En dépit de la volonté d'Emmanuel Macron de lancer la France dans une série de coopérations structurantes avec l'Allemagne, les résultats ont été finalement maigres (SCAF, MGCS, avions de patrouille maritime - MAWS -, modernisation de l'hélicoptère Tigre (Mark 3) et son armement (missile MHT), spécifications de l'Eurodrone. Pour autant, Florence Parly souhaite rester pudique sur les raisons de cet échec même si elle a des idées bien précises qu'elle ne souhaite pas exposer. Les coopérations sont également difficiles aussi avec la Grande-Bretagne (missiles) et l'Italie (naval). Des difficultés certes, mais pas de renoncement de la part de la ministre. La coopération est "un combat". "Non, on ne va pas lâcher l'affaire. Je pense qu'il ne faut pas renoncer et qu'il faut trouver des solutions, mais pas des compromissions", insiste la ministre.

La coopération avec la Grande-Bretagne a fait long feu en raison du "contexte politique" qui "n'a pas été propice non seulement au développement de la coopération, mais tout simplement à sa poursuite, explique Florence Parly. Je le regrette profondément mais je ne pense pas que ce n'est pas irréversible". Avec l'Italie, la ministre a également "un regret". "Néanmoins, Naviris, la mini-structure créée par Naval Group et Fincantieri a survécu, mais elle reste petite. C'est la communauté réduite aux acquêts. Mais je pense que le jour où il y aura là aussi une volonté plus claire du côté italien d'avancer, nous aurons l'outil pour le faire", estime-t-elle. Pour autant, la France a réussi à lancer le programme de bâtiments ravitailleurs (FLOTLOG) avec un design italien, qui va permettre à la marine nationale de disposer de ses quatre navires plus rapidement que s'il avait réalisé en franco-français.

Enfin, la ministre estime s'être "battue pour obtenir des règles d'utilisation du Fonds européen de défense qui ne permettent pas ou qui n'incite pas les industriels européens à faire rentrer le loup dans la bergerie". Ce qui ne sera pas simple puisque les filiales européennes des groupes étrangers, notamment américains, pourront être acceptées après avoir passé un filtre soi-disant sévère. A suivre avec une extrême vigilance. Le moteur de l'Eurodrone, un programme financé par le Fonds européen de défense (FED), sera fourni par Avio, filiale du géant américain General Electric.

Florence Parly regrette par ailleurs profondément les débats concernant les menaces de la taxonomie sur l'industrie de défense. "Est-ce que la défense peut être considérée comme une activité non soutenable ? C'est une absurdité puisque c'est la survie de la nation qui est en question", affirme-t-elle. Mais là aussi, elle appelle à "une vigilance de tous les instants". Car, selon elle, "on voit bien que ceux qui sont à la manœuvre n'ont pas renoncé. Cela veut dire que le combat n'est pas terminé".

S'agissant de l'industrie, la ministre s'étonne des délais de fabrications de certains équipements. "Il y a un vrai défi pour les industriels de l'armement qui est de s'organiser différemment pour produire plus vite. J'ai conscience aussi que certains défis sont difficiles à relever parce qu'il y a des sujets sur lesquels ils ne sont pas complètement décideurs, mais il leur appartient de trouver des solutions, notamment sur les chaînes d'approvisionnement lorsqu'il y a des dépendances stratégiques. Tout ça nécessite d'être vraiment travaillé". En outre, Florence Parly souhaite faire une mise au point sur les munitions, un dossier sensible pour les armées françaises qui a surgi au moment de la guerre en Ukraine et du concept de guerre de haute intensité développé par le chef d'état-major des armées."Je ne souscris pas du tout aux accusations dont nous avons été l'objet sur par exemple le thème des munitions. C'est faux de dire que, au bout de trois jours, les armées françaises n'ont plus de munitions", soutient-elle.

"En revanche, c'est vrai de dire que les munitions ont été l'une des variables d'ajustement au cours des 25 dernières années, constate-t-elle. Il y a une question de moyens sans doute mais aussi une question de pondération entre les différents types de munitions. Il y a aussi la capacité des industriels à répondre à nos besoins".

Enfin, le Sahel est un sujet de frustration important pour la ministre même si la France a surtout subi un défaut de la volonté des États concernés et particulièrement du Mali. Interrogée sur la présence de long terme de la France au Sahel dans le cadre de l'opération Barkhane, la ministre rappelle que "le président de République a toujours été persuadé qu'il fallait très vite être préparé à se désengager du Mali". Mais la capacité à apprécier le moment d'un retrait est restée difficile quand les chefs d'État des pays africains demandaient instamment à la France de rester. Finalement le deuxième coup d'État au Mali a provoqué le départ des militaires français dans un pays vendu aux mercenaires de Wagner.

Michel Cabirol

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Commentaires 9
à écrit le 20/05/2022 à 16:02
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Bref, F. Parly a été un très bon ministre de la Défense. Vivement qu'il y ait plus de femmes en politique et aux postes à responsabilités en général.

à écrit le 19/05/2022 à 16:01
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Comme en témoigne l'exercice de sa mission au sein du gouvernement, cette femme ministre des armées est visiblement dotée de véritables compétences . Je souhaiterais à titre personnel qu'elle se voit confier un autre ministère au cours du s...

le 19/05/2022 à 16:56
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Apparemment, elle souhaiterait arrêter la politique . Etre ministre des armée a été très épuisant pour elle avec les 150 déplacements qu'elle a du effectuer durant son mandat..

le 21/05/2022 à 20:33
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@Jason Bourne , Aloha * ... ; ... changer de vie et organiser une petite croisiere sur un Mistral " gaulois " ... , puis se faire deposer en helico sur une plage de reve style Santa Julia * ... ? ! . ... Attention au large...

à écrit le 19/05/2022 à 15:20
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Madame Folrence Parly a été une excellente ministre des Armées, comme madame Michèle Aliot-Marie, qui était très populaire dans ce monde masculin. Cordialement

à écrit le 19/05/2022 à 15:07
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Le mélanchoniste de service est formel : rompez, passez votre chemin,y a rien à voir...

à écrit le 19/05/2022 à 14:48
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Le bilan de nos actions extérieures est il flatteur.. Regardons l'Afrique..

le 19/05/2022 à 17:00
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L'armée française n'allait pas faire la guerre à la place des africains. Elle a fait ce qu'elle a pu durant 7 ans au sahel (Territiure grand comme l'europe au passage ) et ce n'était pas le rôle de la france d'assumer le rôle de la police, d'hopitale...

à écrit le 19/05/2022 à 13:35
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Vous sortez des absurdites mme Parly : c est bien la puissance energetique, industrielle et economique qui fait la puissance russe. L armee n est qu un leurre et en particuliers l armee francaise qui est d une absolue nullite.

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