Le vrai bilan de Tom Enders à la tête d'Airbus

Le PDG d'Airbus quittera ses fonctions le 10 avril à l'issue de l'assemblée générale du groupe européen. L'occasion de revenir sur un mandat, marqué par des succès majeurs et des échecs tout aussi retentissants.
Michel Cabirol
Patron flingueur sans concessions, Tom Enders doit notamment sa longévité à sa pugnacité.
Patron "flingueur" sans concessions, Tom Enders doit notamment sa longévité à sa pugnacité. (Crédits : Reuters)

Les 10 tops de la présidence Enders...

1. Tom Enders, premier imperator d'Airbus

Conséquence de la fusion entre Airbus Group et Airbus Commercial Aircraft au 1er janvier 2017, Tom Enders est devenu le patron d'un groupe intégré, 16 ans après la création du groupe EADS devenu Airbus. Le groupe aéronautique et de défense devient donc une entreprise à l'organisation classique avec, à sa tête, Tom Enders.

2. Un nouveau nom pour faire oublier EADS

En juillet 2013, La Tribune révélait qu'EADS changeait de nom pour prendre celui d'Airbus. Sous couvert d'un changement de nom logique et naturel, Tom Enders a assis, à l'occasion d'une opération blitzkrieg, son pouvoir à la tête du constructeur européen en intégrant le groupe comme ses prédécesseurs l'avaient rêvé sans pouvoir le faire. Fini le temps où le patron d'Airbus avait plus de pouvoir que celui d'EADS.

3. Le génial déménagement à Toulouse

Peu avant le changement de nom d'EADS, Tom Enders joue un coup médiatique et politique magnifique. Après avoir dit non en janvier 2013 à François Hollande, qui souhaitait placer Anne Lauvergeon à la tête du conseil d'administration, il impose au sein du groupe la création d'un siège opérationnel unique à Toulouse. Cette décision pose un jalon décisif dans la poursuite de l'intégration d'EADS et lui permet de se mettre l'opinion publique française dans la poche.

4. La réduction de l'influence des Etats actionnaires

Au fond de la nasse après l'échec du rachat de BAE Systems en octobre 2012, Tom Enders trouve tout de même l'énergie pour rebondir très rapidement fin novembre. Il conclut un accord avec les États actionnaires d'Airbus en réduisant nettement leur influence. Les États n'auront plus un droit de veto sur les décisions du groupe. « À l'avenir, la stratégie et les projets industriels seront uniquement définis et décidés par le conseil d'administration et le comité exécutif, tandis que les opérations seront gérées sans l'interférence extérieure d'actionnaires ou de concerts d'actionnaires particuliers », avait annoncé Airbus.

5. Le très bon coup du rachat du programme C-Series de Bombardier

La prise de contrôle en 2018 du programme C-Series de Bombardier par Airbus est un événement majeur dans le monde de l'aéronautique civile mondiale. D'abord réservé sur cette opération en 2016, Tom Enders s'est finalement laissé convaincre en 2017. Avec ce rachat, Airbus va bénéficier d'une famille d'avions de 110 à 149 sièges (voire 160 en version monoclasse), complémentaires des A320 et A321 (150-220 sièges environ). Une opération qui a contraint Boeing à réagir : le géant américain a mis la main à son tour sur le brésilien Embraer.

6. Un cours de Bourse qui explose

Quand Tom Enders prend les commandes d'EADS (devenu depuis Airbus) le 31 mai 2012 à la suite de Louis Gallois, l'action stagne à un peu plus de 27 euros. Aujourd'hui, elle s'élève à près de 118 euros. Le prix de l'action a littéralement explosé de 335,5%. Un cours de Bourse qui a bénéficié de programmes de rachats d'actions. Les actionnaires peuvent remercier Tom Enders, qui les a beaucoup choyés en faisant passer le dividende de 0,60 euro en 2012 à 1,65 euro au titre de l'exercice 2018 (+ 175% de croissance).

7. Un chiffre d'affaires en petite hausse

À l'arrivée de Tom Enders à la tête d'Airbus, le chiffre d'affaires du constructeur s'élevait à 56,4 milliards d'euros. Fin 2018, il plafonnait à 63,7 milliards d'euros en dépit d'une augmentation régulière des livraisons d'avions civils (800 livraisons en 2018, contre 588 en 2012). Soit une hausse du chiffre d'affaires de près de 13% (12,94%) entre 2012 et 2019. Pourtant, en 2015, en 2016, puis en 2017, le chiffre d'affaires d'Airbus était bien plus élevé que celui de 2018, respectivement à 64,5 milliards, 66,6 milliards et 66,8 milliards.

8. La stratégie gagnante de la digitalisation

Tom Enders a vu très tôt l'incroyable potentiel de la digitalisation pour Airbus. Pour une fois, son tropisme américain a été positif. Fort de cette conviction et de cette vision, il a bousculé à bon escient le groupe qu'il a lancé à marche forcée vers cette stratégie. Mais la méthode comme souvent a été trop brutale pour emmener le groupe vers une stratégie de digitalisation construite et cohérente. En outre, le casting, composé souvent de mercenaires américains à l'image de Paul Eremenko ou du patron d'Airbus Group Ventures Tim Dombrowski, venus d'Apple ou de Google, a irrité le groupe, qui s'est refermé. Une vision géniale mais une méthode à revoir.

9. Le succès phénoménal de l'A320Neo

Réservé sur le lancement de la famille A320Neo, Tom Enders peut toutefois endosser le succès phénoménal de ce programme, poussé par Fabrice Brégier et John Leahy, le meilleur vendeur d'avions au monde. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 6.501 appareils commandés, dont 687 livrés à la fin de février. Le programme A320Neo, lancé en décembre 2010, est un énorme succès pour Airbus, qui a contraint Boeing à réagir avec le 737 MAX.

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Airbus A320Neo

[Sur la ligne de production des moteurs Leap, destinés à l'Airbus A320Neo, dans l'usine de Safran, à Colomiers, en Haute-Garonne. Crédits : Reuters]

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10. L'accélération du déploiement à l'international

Avec Tom Enders, la décision d'installer une chaîne d'assemblage d'A320 à Mobile, dans l'Alabama (États-Unis), en 2012, n'a pas traîné. Outre une chaîne d'A320 en Chine à Tianjin, Airbus va ouvrir une nouvelle chaîne pour l'A220, à Mobile. Une façon de se rapprocher du marché américain pour l'A320 et pour l'A220. De son côté, Airbus Helicopters a installé des chaînes d'assemblage à Brisbane (Australie), à Itajuba (Brésil), à Colombus (Mississippi) et Qingdao (Chine). Enfin, Airbus va ouvrir en Floride une chaîne d'assemblage pour les satellites de la constellation OneWeb. Airbus emploie des personnels de plus de 130 nationalités parlant plus de 20 langues.

... et ses 10 flops

1. A400, A380, NH90... une mauvaise gestion des grands projets

En tant que maître d'oeuvre, Airbus n'a pas su gérer de grands programmes comme l'A380, l'A400M, le NH90, le drone SIDM... y compris lors de la présidence de Tom Enders. L'exemple le plus emblématique reste l'avion de transport militaire A400M. Sur les quatre dernières années (2015-2018), Airbus a notamment été contraint de provisionner environ 5,5 milliards d'euros au titre de l'A400M.

2. Le colossal échec commercial de l'A380

Dix-neuf ans après son lancement industriel, et moins de douze ans après l'entrée en service de l'A380, la production du géant des airs européen va s'arrêter en 2021. Avec seulement 241 commandes nettes enregistrées depuis son lancement en 2000, l'A380 n'a jamais vraiment décollé commercialement, alors que l'avionneur estimait le marché des très-gros-porteurs à 1.200 exemplaires sur vingt ans. C'est une bérézina commerciale. Dans le même temps, le 747 de Boeing a totalisé 269 prises de commandes, notamment dans la version cargo. Une version que n'a jamais voulu lancer Airbus.

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A380, Airbus

[Airbus a annoncé, en février, l'arrêt de la production de son gros-porteur d'ici à 2021. Ici, l'usine d'assemblage de Toulouse-Blagnac. Crédits : Jean-Marc Haedrich/SIPA]

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3. La vente de l'électronique de défense

La vente, en 2017, de l'activité électronique de défense (capteurs destinés aux missions critiques, de systèmes intégrés...) au fonds d'investissement américain KKR pourrait être une erreur stratégique... même si cette activité a été très bien vendue (1,1 milliard d'euros). Dans la foulée, KKR a créé Hensoldt. Alors que le futur système de combat aérien et le futur char sont des systèmes de systèmes, Airbus se retrouve « déshabillé » pour négocier sa part dans ces futurs grands programmes européens. Quant à Hensoldt, il sera de la partie.

4. Le loupé de la prise de contrôle de BAE Systems

Tom Enders porte sa part de responsabilité dans l'échec du rachat de BAE Systems par EADS (devenu par la suite Airbus). Paris et Londres étaient prêts à franchir le pas, mais le tout frais patron d'Airbus n'a pas su convaincre la chancelière Angela Merkel et surtout vaincre ses réticences. Bien au contraire.

5. Le dossier miné des pratiques douteuses

Le Monsieur Propre d'Airbus a profondément déstabilisé son groupe, et plus particulièrement son équipe commerciale. Ce serait John Harrison qui aurait pris l'initiative de dénoncer les pratiques douteuses auprès du Serious Fraud Office britannique. Résultat, ce dossier s'est emballé et est devenu incontrôlable pour Airbus. Tom Enders s'est alors complètement coupé des grands barons d'Airbus en ouvrant les portes du groupe aux cabinets d'avocats américains, qui ont usé et abusé de méthodes policières. Aujourd'hui, les équipes commerciales ne se battent plus vraiment pour décrocher des contrats dans le domaine de la défense notamment. En outre, selon plusieurs sources concordantes, les informations récoltées par les avocats sont aux mains des Américains.

6. Une guerre des chefs dommageable

Après le duel franco-français entre Philippe Camus et Noël Forgeard dans les années 2000, les joutes entre Tom Enders et Fabrice Brégier entre 2016 et 2017 ont fait couler beaucoup d'encre. Mais pas que... Lors des crises paroxystiques entre les deux grands fauves d'Airbus et de l'industrie européenne, le groupe s'est souvent mis en mode veille, attendant de voir le résultat du match. Ce qui n'est jamais très bon pour le quotidien d'une entreprise.

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Fabrice Brégier

[Fabrice Brégier, ancien numéro 2 du groupe, a été poussé vers la sortie en février 2018. Crédits : Romuald Meigneux/SIPA]

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7. Le raté de la nomination d'Eremenko

Tom Enders et son fameux tropisme américain : un Américain sera toujours bien meilleur que le meilleur des Européens. Il n'a pas hésité à confier la direction technique d'Airbus à Paul Eremenko, un ancien de Google et de la Darpa, en lui donnant carte blanche. Ce qui aurait pu être une réussite avec un pilotage beaucoup plus serré de Paul Eremenko a été un fiasco retentissant. Au bout de dix-sept mois, et après avoir en grande partie saccagé l'innovation traditionnelle du groupe et dégoûté nombre d'ingénieurs, celui-ci quitte Airbus avec ses secrets pour rejoindre l'américain UTC, l'un des plus importants sous-traitants de l'avionneur.

8. L'incroyable rachat d'une banque allemande

Poussé par Harald Wilhelm, « le meilleur directeur financier du monde » selon Tom Enders, Airbus a racheté en 2014 une banque allemande, la Salzburg München Bank, pour « élargir les capacités de financement du groupe ». Cinq ans après ce rachat surprenant, auquel certains membres du comité exécutif étaient opposés, on se demande toujours à quoi sert cette banque pour Airbus.

9. Une marge opérationnelle qui ne décolle pas

En 2012, la marge opérationnelle s'élevait à 5,3%. Trop peu pour l'ambitieux Tom Enders. Du coup, il avait promis en 2013 d'atteindre 10% d'EBIT dès 2015. Pas plus en 2015 qu'en 2016, 2017 ou 2018, il n'a pu tenir sa promesse. Airbus a été loin, très loin d'atteindre cet objectif sous la présidence de Tom Enders, qui voulait faire d'Airbus une machine à cash. Ainsi le groupe européen a enregistré une marge opérationnelle de 6,7% en 2014, puis 6,4% en 2015, 5,9% 2016, 5,4% en 2017 et, enfin, 9,2% en 2018. Un décollage tardif mais positif. À Guillaume Faury de toucher le Graal des patrons ?

10. Un carnet de commandes en forte baisse

Les prises de commandes consolidées en 2018 ont totalisé 55,5 milliards d'euros, portant la valeur du carnet de commandes consolidé à 460 milliards d'euros au 31 décembre 2018, selon la norme IFRS 15. Il a donc été divisé par deux entre 2017 et 2018 : il s'élevait à 997 milliards d'euros fin 2017 et à 1 060 milliards fin 2016. À son arrivée en 2012, le carnet de commandes d'Airbus atteignait 566,5 milliards d'euros. Où s'est volatilisée plus de la moitié du carnet de commandes ? La norme IFRS a-t-elle bon dos ?

Ni tops, ni flops, des programmes encore en attente de résultats

L'A350 sera-t-il l'arme décisive d'Airbus face à Boeing ?

L'A350 (900 et 1 000), le plus gros biréacteur qu'ait jamais construit Airbus, joue une partie cruciale pour le groupe. Cet appareil sera-t-il capable de lutter contre les gros-porteurs de Boeing, qui font la loi sur leur segment de marché ? Mis en service en 2015, l'A350-900 (de 270 à 350 sièges selon les versions) a très fort à faire pour lutter contre le B787 et le B777. Fin février, il comptait 684 commandes dans son carnet. Loin, très loin des commandes de ses deux rivaux.

Quant à l'A350-1000 (168 commandes), il va guerroyer sur le marché des plus de 350 sièges sur lequel règne en maître depuis près de quinze ans le B777-300 ER, un biréacteur de 365 sièges, appelé à être remplacé à partir de 2020 par deux dérivés, le B777-9X, un peu plus grand avec ses 402 sièges, et le B777-8X, un peu plus petit avec 350 sièges. Un marché évalué à 1000 milliards de dollars au cours des vingt prochaines années. Le défi est titanesque pour ne pas dire insurmontable...

Le coup de Poker d'Enders pour Oneweb

À part Airbus, l'Américain Greg Wyler, celui par qui ce projet est né, et les investisseurs du projet, personne dans le domaine spatial ne croit vraiment au succès de la constellation OneWeb. Elle devait initialement envoyer 900 satellites dans l'espace pour mettre à disposition un Internet universel en connectant les habitants et les entreprises dans toutes les régions du monde où les réseaux terrestres sont absents.

La commercialisation du service va être extrêmement compliquée. Aussi, nombreux sont ceux qui s'interrogent depuis quelques mois sur le modèle économique de OneWeb. Le projet a déjà été revu à la baisse par l'ancien patron Éric Béranger (650 au lieu de 900 satellites). D'autant que l'investissement nécessaire à la mise en place de ce programme est passé de 3,5 milliards à environ 6 milliards de dollars. Le lancement réussi fin février des six premiers satellites a incité des investisseurs (SoftBank Group, Grupo Salinas, Qualcomm et le gouvernement du Rwanda) à mettre ou à remettre 1,25 milliard de dollars au total dans le projet. Pour autant, cette nouvelle levée de fonds n'est pas forcément un signe de réussite. La plupart des investisseurs sont allés très loin dans ce projet. Trop loin pour ne pas renoncer ?

Michel Cabirol

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Commentaires 2
à écrit le 10/04/2019 à 10:07
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Bonjour Monsieur Enders Nous avons pris beaucoup de plaisir à voyager avec vos Airbus en particulier le A320 ,nous sommes au regret de vous voir quitter le navire au moment même que les Etats Unis s’apprête à taxer nos produits (laitiers et vin en p...

à écrit le 09/04/2019 à 20:14
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Nous autres cadres , supérieurs , moyens, partons à la retraite suivant notre efficacité dans l'entreprise .

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