C'est l'opportunité rêvée. Le rendez-vous de Versailles (10 et 11 mars) est crucial pour l'Union européenne (UE). L'UE a clairement un rendez-vous historique. Va-t-elle enfin devenir une puissance politique, diplomatique et militaire sur la scène internationale, et non plus un simple marché ouvert, dont le reste du monde abuse. C'est ce que souhaitait en vain la France depuis des années. Mais depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et donc en Europe - ce qui a provoqué un véritable électrochoc dans certains pays européen -, l'UE a véritablement surpris positivement en s'emparant de dossiers, qui étaient jusqu'ici à l'opposé de ses préoccupations il y a encore quelques mois (international, défense, voire souveraineté).
Plusieurs dogmes ont volé en éclat comme la livraison d'armes à un pays en guerre, l'Ukraine. L'utilisation de la Facilité européenne de paix a permis d'envoyer des équipements militaires aux forces ukrainiennes. Des pays comme l'Allemagne ont annoncé un effort sans précédent pour réparer, moderniser et opérer une remontée en puissance de son outil militaire avec une enveloppe de 100 milliards d'euros dans son budget 2022. Un mouvement suivi par la Suède et le Danemark. Le monde actuel n'est plus vraiment celui d'avant la guerre en Ukraine. Et le Sommet de Versailles, qui portera sur la guerre en Ukraine et les conséquences pour l'UE en matière de souveraineté, a cette lourde responsabilité d'adouber l'Europe, en tant que puissance dans la durée au même titre que les Etats-Unis, la Chine et la Russie. C'est "le sommet du sursaut européen, le sommet de la souveraineté européenne", souligne-t-on d'ailleurs à l'Elysée,
L'union enfin des pays de l'UE
Vladimir Poutine a réussi ce que personne n'avait jusqu'ici réussi à faire, l'union des pays membres de l'UE sur les questions internationales et de défense. "La guerre en Ukraine a d'abord appelé une réponse extrêmement unie et rapide de la part des Européens que ce soit dans le jeu des sanctions, cinq paquets à ce jour pris à l'encontre de la Russie ou dans le soutien apporté à l'Ukraine", résume-t-on à l'Elysée. L'Europe a été enfin au rendez-vous de l'histoire, de son histoire. Ce qui a dû beaucoup surprendre le président russe, qui a certainement compté sur la désunion des pays de l'UE quand il a pris la décision de lancer son attaque contre l'Ukraine.
"Il y a deux préoccupations qui sont partagées : celle, même sur les sujets qui peuvent être les plus difficiles entre Européens, de rester unis, c'est quelque chose qui est vraiment particulièrement marquant depuis deux semaines ; nous devons envoyer des messages d'unité à l'extérieur", insiste-t-on à l'Elysée.
Ce sommet sera également l'occasion de réduire la dépendance des pays européens dans l'approvisionnement d'énergie fossile venant de Russie mais également de réduire l'ensemble des dépendances de l'UE.
La défense au cœur du sommet de Versailles
La situation en Ukraine sera naturellement au cœur des discussions. Les 27 tireront également les conséquences pour l'Union européenne en matière de souveraineté puis, les conséquences qui pèsent sur les approvisionnements dans le domaine de l'énergie et, enfin, les conséquences sur les nécessités de renforcer la défense européenne et les investissements, en particulier dans les capacités de défense. Clairement la guerre en Ukraine a mis crûment en exergue les dépendances dans un certain nombre de secteurs stratégiques en Europe. Ce constat et cet inventaire des dépendances vont nécessiter "d'investir dans l'ensemble de ces secteurs, la nécessité d'avoir des productions en Europe dans l'ensemble de ces secteurs", fait-on observer à l'Elysée.
"Il y aura une discussion sur le cadre macroéconomique adapté. Quel est le bon niveau de dépenses publiques en la matière ? Quel est le bon niveau de dépenses privées et quelle est la politique budgétaire dont nous devons nous doter au niveau européen", s'interroge-t-on à la présidence.
Après le temps de l'inventaire, qui portera sur une évaluation collective des moyens militaires dont l'Europe devra développer dans les années à venir. "Ça signifiera des investissements. Ça passera par le renforcement des investissements nationaux", souligne-t-on à l'Elysée. Ces investissements doivent également se faire en partie par le budget européen, avec l'objectif de financer des programmes capacitaires conjoints. L'ensemble de ces financements vise à combler les lacunes capacitaires, que ce soit le transport stratégique et tactique, les drones de combat, les capacités de défense pour les missions complexes. Cela passe par le lancement de programmes en cours de gestation difficile comme le SCAF (Système de combat aérien du futur) le MGCS (char du futur). Il faut également que l'UE se dote d'un cloud de combat pour s'émanciper clairement des Etats-Unis. "On a besoin de ce bilan et du renforcement rapide et particulièrement fort de nos investissements dans le domaine de la défense", martèle-t-on à l'Elysée. Enfin, il appelle à investir dans les nouvelles technologies de défense (quantique, IA, hypervélocité...)
"Ce que la guerre en Ukraine nous amène à faire, c'est d'aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort", estime-t-on à la présidence. (...) Dans la déclaration qui sera adoptée par les chefs d'État et de gouvernement, il y a notamment cette volonté d'accroître sensiblement, pour l'ensemble des Etats membres, leurs investissements dans le domaine de la défense".
Pas d'armée européenne pour le moment
En revanche, pas question d'agiter lors du sommet de Versailles le chiffon rouge d'une armée européenne. "Ce dont on a besoin, c'est de 27 armées nationales fortes en Europe, explique-t-on à l'Elysée. C'est ça l'essentiel". La France pèse sur la réussite de plusieurs outils déjà mis en oeuvre comme la coopération structurée permanente, qui prévoit des engagements de la part des Etats membres en matière de dépenses de défense, de projets conjoints dans le domaine capacitaire, en matière technologique. Elle compte également sur l'Initiative européenne d'intervention (IEI), une alliance de 13 Etats membres qui font de la planification stratégique, du retour d'expérience sur les théâtres d'opération afin de créer une culture stratégique commune.
Et l'OTAN, en état de mort cérébrale ? A la faveur de cette guerre en Ukraine, il y a une coordination entre les alliés dans l'ensemble des formats possibles : au sein de l'OTAN, au sein de l'UE, entre l'UE et l'OTAN. "S'il y a un objectif que le président a en particulier, c'est de renforcer le pilier européen au sein de l'OTAN, c'est-à-dire que les membres de l'Union Européenne à la fois membres de l'OTAN, renforcent leurs capacités de défense, renforcent leur posture, et de cette manière-là et de manière complémentaire avec l'OTAN, renforcent l'Europe de la défense", explique-t-on à la présidence. Enfin, la boussole stratégique, qui reste totalement d'actualité dans l'agenda de la France, sera probablement évoquée. Elle "a été renforcée dans les dernières versions du texte après l'invasion russe en Ukraine. Donc le calendrier d'adoption reste pertinent", précise-t-on à l'Elysée. Cette Europe puissance en gestation survivra-t-elle à la fin de la guerre en Ukraine ?
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