Deux semaines après le début de la guerre en Ukraine, les chefs d'Etat de l'Union européenne se retrouvent dans le cadre prestigieux du château de Versailles ces jeudi 10 et vendredi 11 mars. Alors que les bombes continuent de pleuvoir sur la population ukrainienne, la perspective d'un cessez-le-feu rapide s'éloigne de jour en jour. Malgré la mise en œuvre d'une batterie de sévères sanctions contre la Russie, Moscou semble déterminé à poursuivre le combat. Face à ce cataclysme aux portes de l'Union européenne, les chefs d'Etat et de gouvernement doivent échanger sur "la situation en Ukraine et les conséquences sur les approvisionnements en énergie, sur la révision des capacités de défense et sur les questions macroéconomiques, notamment sur le bon niveau de dépenses publiques et le bon niveau de dépenses privées pour mener à bien les investissements nécessaires dans certains secteurs stratégique", explique-t-on à l'Elysée. "C'est le sommet du sursaut européen. La guerre en Ukraine a appelé à une réponse unie et rapide des pays de l'Europe dans les sanctions et les aides apportées à l'Ukraine", confie un conseiller d'Emmanuel Macron.
Une sorte de "nouveau modèle économique" de l'UE comme le chef de l'Etat l'avait évoqué début mars lors de son allocution à la nation.
Il faut dire que ce conflit a déjà des conséquences importantes sur l'économie du Vieux continent. La flambée des prix de l'énergie et le renforcement des difficultés d'approvisionnement dans les semaines à venir inquiètent particulièrement les milieux économiques et financiers. Certains secteurs comme l'industrie et l'agriculture sont particulièrement exposés alors que la pandémie a déjà laissé de profondes traces. Le FMI redoute des conséquences "dévastatrices" et les instituts de conjoncture ont déjà commencé à réviser leurs prévisions de croissance à la baisse pour 2022."
Vers un plan de résilience européen
Après deux longues années difficiles liées à la pandémie, les Etats européens ont commencé à plancher sur "un plan de résilience à l'échelle européenne qui serait décliné à l'échelle nationale". "C'est d'ailleurs un sujet important de ce sommet" assure un proche du chef de l'Etat. Au premier semestre 2020, le plan de relance européen de 750 milliards d'euros financé par un emprunt commun avait donné lieu à d'âpres négociations entre les pays "frugaux" (Pays-Bas, Danemark, Finlande et Suède) et le Sud de l'Europe. "En matière de financement, le plan NextGenerationEU a pris quatre mois de négociation. La guerre a commencé il y quinze jours. Il faut procéder avec méthode" explique l'Elysée.
La première étape "est d'avoir un état des lieux des conséquences économiques de la guerre. Il y a déjà la volonté d'une réponse économique partagée en Europe. Nous discuterons des instruments. Le plan de relance lié à la crise pandémique a été un succès. Nous réfléchissons à un plan qui permet d'accélérer les investissements mutualisés, dans le domaine de la défense, l'énergie et la transition écologique", ajoute-t-on dans le premier cercle du chef de l'Etat français. Face à l'urgence de la guerre russo-ukrainienne, plusieurs options sont sur la table. La première peut être d'utiliser les fonds du plan de relance européen non consommés. Ce qui permettrait de gagner en rapidité. L'autre, plus longue, est de bâtir un plan à l'image du dispositif de 2020 susceptible de fissurer l'Europe sur le montant des moyens à mettre en œuvre et les objectifs de long terme.
Sur la taille des investissements nécessaires, aucun chiffrage n'a été dévoilé. "Il doit y avoir une objectivation des besoins après la guerre et des investissements pour la transition. Il s'agit de converger vers un diagnostic commun entre les chefs d'Etat. Quelle est la bonne orientation budgétaire et monétaire à mettre en place pour la suite ?", indique cette source.
Un plan de résilience "économique et social" déjà en préparation pour la France
Face à la menace d'un ralentissement de la croissance tricolore, l'exécutif prépare actuellement un plan de résilience économique et social "évolutif". Il devrait être présenté "la semaine prochaine", selon le cabinet du Premier ministre Jean Castex. Cela fait maintenant plus d'une semaine que le gouvernement multiplie les réunions avec les secteurs et les filières en proie à de fortes difficultés. Mardi dernier, le chef du gouvernement a mené plus de cinq heures de réunion, d'abord avec les représentants de l'industrie et de l'agriculture puis avec les partenaires sociaux, afin de bien identifier les problèmes rencontrés depuis l'entrée en guerre de la Russie sur le front Est européen.
"La France sort d'une crise très lourde et systémique. La guerre en Ukraine nécessite une réponse adaptée. Ce n'est pas toute notre économie qui risque un arrêt brutal", explique un proche du Premier ministre. Une manière de rappeler que "le quoi qu'il en coûte" ne devrait pas être d'actualité. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a d'ailleurs écarté cette option lors d'une conférence à Bercy mercredi 9 mars. "Le « quoi qu'il en coûte » était la bonne réponse à la crise du Covid. Ce ne serait pas la bonne réponse à la crise énergétique de 2022, parce que cela ne ferait qu'alimenter l'augmentation des prix et l'inflation dont souffrent tellement nos compatriotes", a déclaré le ministre qui compare la crise énergétique au choc de 1973.
Effets indirects
A Matignon, l'entourage du Premier ministre considère que "l'effet macroéconomique devrait être limité car la Russie et l'Ukraine ne représentent que 2% des échanges totaux avec la France. En revanche, les effets indirects via le renchérissement des prix de l'énergie vont affecter les entreprises et les ménages. Les prix à la pompe sont à un niveau record et sur le marché des matières premières agricoles, le prix du blé a doublé depuis 2019 et atteint désormais 400 euros la tonne". Parmi les pistes évoquées figurent "l'accompagnement des entreprises affectées par les sanctions et les difficultés d'approvisionnement, la sécurisation de l'approvisionnement en matériaux critiques et des réponses aux entreprises pour faire face à la hausse des coûts de l'énergie et des intrants."
Selon le cabinet de Jean Castex, les dernières touches à la réponse ne pourront être apportées qu'à l'issue du sommet européen informel de jeudi et vendredi à Versailles, qui devrait proposer "une évolution du cadre (communautaire) en matière d'aides d'Etat". "Ce sera déterminant pour calibrer les dispositifs en vue de la semaine prochaine", a-t-on précisé de même source.
Economie, énergie et défense au programme
La guerre en Ukraine a complètement chamboulé le programme de ce sommet initialement organisé dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne (PFUE) effective depuis le premier janvier dernier. Selon l'Elysée, les chefs d'Etat doivent notamment échanger sur la défense, l'économie et l'énergie. "Sur l'énergie, il faut mener des actions pour réduire notre dépendance en énergie fossile provenant de la Russie. Cela nécessite des actions de court terme et de moyen terme" ajoute le château. "A court terme, chaque pays va devoir accroître ses volumes de stockage, augmenter ses importations de GNL et réduire sa consommation énergétique." À moyen terme, il s'agit d'accélérer la décarbonation de l'économie. "Cela doit passer par le nucléaire et les énergies renouvelables".
Interrogé sur la possibilité d'un embargo sur les importations russes à l'instar des Etats-Unis, le conseiller du chef de l'Etat explique que "les degrés de dépendance de l'Europe et des Etats-Unis en matière d'énergie russe sont extrêmement variables. Notre objectif est d'être réaliste et pragmatique. Cette guerre accélère notre agenda de transition énergétique et notre agenda de diversification des approvisionnements en matière de GNL. Il s'agit aussi d'accélérer les baisses de consommation d'énergie." Autant de sujets sensibles alors que la déflagration des conséquences de la guerre ne fait que commencer.