L'achat de l'avion de combat américain F-35 par l'Allemagne est semble-t-il désormais inéluctable. Si cette décision a de quoi surprendre et qu'elle est irritante, elle ne sera pas pour autant une machine de guerre contre le programme européen, le système de combat aérien du futur (SCAF) lancé par la France, l'Espagne et l'Allemagne. Tout va notamment dépendre du nombre d'appareils américain achetés et quelles seront la ou les missions des F-35. Le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz a donné trois pistes lors d'un discours majeur prononcé devant le Bundestag le 27 février sur la politique de défense de l'Allemagne. Trois pistes où il avait assuré que sa priorité était de construire la prochaine génération d'avions de combat "avec des partenaires européens et la France en particulier". Ce qui est une déclaration très importante pour la pérennité de ce programme, et au-delà, la souveraineté de l'Europe en matière d'aviation de combat.
Et en même temps, Olaf Scholz avait indiqué qu'il voulait continuer de développer les capacités cruciales de guerre électronique sur l'Eurofighter et qu'il considérait le F-35 comme la plateforme pouvant porter la B61, la bombe nucléaire de l'OTAN. "Pour le partage nucléaire, nous procurerons en temps utile un remplaçant moderne des avions Tornado obsolètes, a déclaré Olaf Scholz. L'Eurofighter doit être activé pour la guerre électronique. L'avion de chasse F-35 entre en ligne de compte en tant qu'avion porteur". La nouvelle coalition a ainsi confirmé la volonté de l'Allemagne de poursuivre sa mission nucléaire au sein de l'OTAN. En outre, "l'Allemagne a cette conviction que pour être un bon partenaire du partage nucléaire (Nuclear Sharing) dans le cadre de l'OTAN et pour bénéficier d'une protection nucléaire de l'OTAN et des Américains, une plateforme américaine est un élément de garantie supplémentaire", décrypte-t-on l'état d'esprit allemand pour La Tribune.
Comment les Etats-Unis ont imposé le F-35
En 2020, l'Allemagne avait choisi le F-18, en 2022, elle va finalement acheter le F-35. Pourquoi ce revirement ? Derrière ce choix, l'ombre logique des Etats-Unis. Washington a su imposer à l'Allemagne l'acquisition de F-35 en remplacement des vieux Tornado. Les appareils américains serviront à accomplir la mission nucléaire octroyée à l'armée de l'air allemande dans le cadre du partage nucléaire ("Nuclear Sharing"), un concept dans la politique de dissuasion nucléaire de l'OTAN, qui implique les pays membres sans armes nucléaires dans la planification de l'utilisation d'armes nucléaires. C'est aussi le cas de la Belgique, des Pays-Bas, de l'Italie et de la Turquie.
Pour exécuter cette mission nucléaire, le F-18 doit subir des modifications importantes pour porter la B61. En outre, l'Allemagne aurait été le seul pays à être équipé de cet appareil alors que le F-35 est en passe d'être qualifié à porter l'arme nucléaire de l'OTAN en Italie et en Belgique. "C'est sûr que les Américains ont utilisé cet argument comme un levier", explique-t-on à La Tribune. Les Américains ont donc utilisé cette arme massive pour forcer la main aux Allemands, qui devraient utiliser le F-35 que pour des missions nucléaires. Dans ce cadre-là, précise-t-on, Berlin devrait logiquement commander une trentaine de F-35. Mais pas plus.
Capacités de guerre électronique
Au-delà de 30 F-35, cela voudrait dire que l'avion de combat de Lockheed Martin serait affecté à d'autres missions. Il menacerait aussi bien la volonté de Berlin de garder des capacités de guerre électronique que le développement du SCAF. Pourtant, l'Allemagne avait décidé initialement d'acheter 45 F-18 de Boeing, dont des F-18 Growler pour la guerre électronique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui puisque les Allemands souhaitent investir dans des capacités souveraines et ainsi garder leur savoir-faire dans la guerre électronique dans le cadre du programme SCAF. "Cette compétence de guerre électronique va être très importante en franco-allemand pour le SCAF", assure-t-on à La Tribune
Si le F-35 se cantonne à des missions nucléaires, il n'entrera "pas en concurrence avec le SCAF, à condition quand même que le programme européen soit lancé à peu près au même moment" que l'achat des avions de combat de Lockheed Martin, assure-t-on à La Tribune. Les actes suivront-ils les déclarations ? Et une fois les décisions de l'Allemagne annoncées, il faudra alors regarder le nombre d'avions achetés, identifier quelles seront les missions de ces avions, si l'Allemagne continue à développer ses compétences en matière de guerre électronique et, enfin, observer la concomitance des calendriers F-35 et SCAF.
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