Transport aérien : le manque d’avions risque d’amputer la croissance du trafic

Après être tombé au plus bas pendant la crise, le transport aérien va mieux, beaucoup mieux. Au point de connaître une possible crise de croissance . Alors que les compagnies aériennes veulent augmenter rapidement leurs capacités, l'écosystème industriel a du mal à suivre le rythme. Et cela se ressent aussi dans la maintenance. Au point de constituer un possible frein pour la croissance.
Léo Barnier
La croissance du trafic aérien pourrait pâtir du manque d'avions et de pièces disponibles.
La croissance du trafic aérien pourrait pâtir du manque d'avions et de pièces disponibles. (Crédits : Gonzalo Fuentes)

Si le monde de l'aérien se garde bien de tout triomphalisme après la période noire qui vient de s'achever, le fait est que la reprise du trafic est désormais belle et bien confirmée. Si des disparités géographiques persistent, notamment en raison de la levée tardive des restrictions de voyage en Asie, de nombreuses régions du monde retrouvent peu à peu les niveaux d'activité de 2019, année record pour le transport aérien. C'est d'ailleurs le cas pour la France à en croire les représentants de la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) qui tenait une conférence de presse ce jeudi. Pourtant, ils s'accordent de manière unanime pour pointer une menace inattendue qui pèse de plus en plus sur les perspectives de croissance : les ruptures d'approvisionnement en matériel. Avions neufs, pièces de rechange, disponibilité des capacités de maintenance... Les points de blocage sont nombreux et inquiètent les compagnies aériennes.

Le transport aérien est en partie revenu à des problèmes classiques dans cette période post-crise : maîtrise des coûts, gestion de l'inflation, yields et taux de remplissage. Pour preuve, Pascal de Izaguirre, président de la Fnam et PDG de Corsair, n'hésite pas à se réjouir de la « bonne dynamique » actuelle et « des perspectives de trafic qui se présentent sous des augures favorables ». Il est appuyé, chiffres à l'appui, par Marc Rochet. Le directeur général d'Air Caraïbes a indiqué que le trafic français avait récupéré 80 % de ses volumes en 2022 par rapport à 2019, et qu'en ce début d'année le curseur était monté à 91 % en janvier et 94 % en février. « Je pense qu'avant l'été, ou à l'été, nous serons à 100 % par rapport à 2019 », déclare-t-il ainsi.

Pascal de Izaguirre ajoute qu'il s'agit, selon l'analyse collective de la Fnam, d'une tendance « forte et dynamique » et non plus du reliquat de la demande non exprimée pendant la crise.

« C'est réconfortant pour nous, acteurs du secteur aérien de voir qu'il n'y a pas de de boycott, de réticences ou de réserves vis-à-vis de l'aérien, qui reste un mode de transport plébiscité par la clientèle », Pascal de Izaguirre, président de la Fnam.

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Vers une croissance limitée

Pourtant, derrière ce tableau favorable presque inespéré il y a encore un an, se cachent des inquiétudes fortes. Les problèmes macro-économiques et géopolitiques pèsent ainsi dans les esprits, mais c'est surtout l'ensemble des perturbations qui mettent les chaînes logistiques sous tension qui inquiètent les décideurs du transport aérien. « C'est une préoccupation, déclare Pascal de Izaguirre. Nous voyons qu'il y a des difficultés dans la chaîne d'approvisionnement logistique au niveau des équipementiers, au niveau des motoristes et au niveau des constructeurs. »

Celles-ci se font si pressantes qu'elles commencent à se faire sentir dans les opérations et limitent les possibilités pour les compagnies aériennes à mettre en œuvre des capacités supplémentaires. Une sacrée épine dans le pied en pleine reprise du trafic. « Ces problèmes sont maintenant vécus au quotidien. Surtout, nous n'avons pas pour l'instant de délais de résolution pour ces difficultés, ce qui nous inquiète en termes d'exploitation », Alain Battisti, PDG de Chalair Aviation et ancien président de la Fnam. Il évoque ainsi des problématiques « très pointues mais très pénalisantes ».

Un constat partagé par Willie Walsh, au vu de ses déclarations à Reuters en marge d'une conférence à Dublin. « Je ne vois pas d'amélioration réelle ou significative avant 2025 au plus tôt, et cela pourrait même aller au-delà », a déclaré le directeur général de l'Association internationale du transport aérien (IATA), interrogé par Reuters mercredi.

Le patron de l'IATA va même plus loin et estime que cela pourrait endiguer les prévisions de croissance pour les prochaines années. « Cela signifie que la capacité sera légèrement inférieure aux prévisions de l'industrie », a-t-il ainsi estimé.

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Des retards en pagaille

Comme l'indique Reuters, Airbus a commencé à indiquer les reports de livraisons à ses clients pour l'année 2024 pour la famille A320 NEO. Cela fait suite aux difficultés rencontrées par l'avionneur pour faire remonter ses cadences après les coupes claires opérées pendant le Covid. Il avait ainsi indiqué en fin d'année dernière que le retour à la cadence de production de 65 avions par mois - son rythme avant la pandémie - n'était plus attendu avant mi-2024, et la cadence 75 en 2026. Ces difficultés se retrouvent d'ailleurs dans les chiffres de livraison d'Airbus avec 127 avions au premier trimestre 2023 contre 142 à la même période l'an dernier. Et c'est l'A350 qui s'est montré le plus à la peine jusqu'ici.

Boeing ne va guère mieux : le constructeur américain a largement amélioré son bilan de livraisons au premier trimestre, allant même jusqu'à dépasser Airbus avec 152 avions, mais vient d'annoncer être confronté à des problèmes de qualité sur des pièces fournies par Spirit Aerosystems pour son 737 MAX. Ce qui pourrait affecter ses livraisons. L'avionneur américain avait déjà connu de pareils déboires avec son 787 ces dernières années.

Conséquence directe de ces difficultés, Ryanair a indiqué une réduction de son programme de vol pour le mois de juillet pour prévenir des retards de livraison sur une dizaine de 737 MAX. De même, l'inquiétude commence à grandir chez Corsair qui doit encore recevoir quatre A330 NEO d'ici à 2024 pour achever le renouvellement de sa flotte.

Pascal de Izaguirre indique ainsi que « chaque compagnie est en discussion avec Airbus et les sociétés de leasing pour voir s'il y aura un impact sur les livraisons. Est-ce que ça peut soulever des problèmes critiques ? Nous n'en sommes pas encore là d'après les informations que nous avons recueillies, mais nous suivons la situation de près car la capacité de production d'Airbus et de Boeing n'est pas du tout au niveau attendu et les compagnies doivent en tenir compte dans leurs plans de développement. »

Marc Rochet estime tout de même que « toute l'industrie n'est pas touchée de la même façon ». Il cite les moteurs Pratt & Whitney PW1500G de l'Airbus A220, « qui est critique actuellement, avec des avions au sol faute de moteurs ». Les motoristes semblent d'ailleurs les plus touchés par ces difficultés, CFM et Rolls-Royce ayant connu également des retards importants depuis la pandémie.

Cette pression se fait peut-être même davantage ressentir les avions déjà en service avec la saturation des capacités de maintenance et la pénurie de pièces détachées. Alain Battisti prend l'exemple des avions de transport régionaux, avec « un délai de 270 jours pour acquérir un train d'atterrissage neuf chez Safran » et « six mois à un an pour la révision générale d'un train d'atterrissage d'ATR, un avion fabriqué depuis 30 ans, simplement parce que les pièces de rechange qui interviennent dans le processus de révision générale ne sont pas disponibles ». Loin de vouloir pointer du doigt un équipementier plus qu'un autre, le patron de Chalair explique que les problèmes sont identiques pour les moteurs Pratt & Whitney ou les hubs d'hélices de Collins Aerospace avec là aussi des délais de six mois à déplorer.

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Conséquence directe de la pandémie

Avec la reprise et la remontée de l'activité, « l'industrie aéronautique comme les activités des opérateurs aériens rencontrent des tensions sur les approvisionnements, qui sont d'ailleurs plus logistiques que technologiques, explique Marc Rochet. Nous ne sommes pas le seul secteur, toute l'économie est touchée avec l'automobile, le bâtiment... Cette crise du Covid a secoué très durement et très profondément l'ensemble de l'activité économique humaine et je pense qu'il faudra du temps pour effacer tout ça. »

Cela n'empêche pas le patron d'Air Caraïbes de laisser entendre que cette situation se ressent davantage dans l'aérien : « Dans notre cas, c'est un peu plus sans doute important parce qu'un avion est un ensemble complexe et qu'il suffit qu'il manque une pièce pour qu'il ne puisse plus partir. Il est évident que nous sommes tous très tendus sur ces sujets. »

Il évoque ainsi les tensions sur les effectifs et les difficultés pour réintégrer des personnels sortis du travail en Europe et aux Etats-Unis pendant la pandémie. De même, il pointe des effets d'âge importants pouvant entraîner des baisses d'effectifs conséquentes de « 6,8 voire 10 % » parmi les personnels les plus qualifiés avec les départs à la retraite, d'où une difficulté accrue pour « reconstituer des forces de de production de très bon niveau ».

 A cela s'ajoutent des difficultés d'approvisionnement en matières premières comme le titane et l'acier inoxydable, avec « une rupture, pour ne pas dire grave mais presque, des chaînes logistique », toujours selon Marc Rochet. Ce qui se traduit aussi par « une augmentation très forte des coûts de maintenance ».

Enfin, le patron d'Air Caraïbes déplore aussi l'évolution structurel du secteur où, pour supporter les investissements nécessaires, les grands avionneurs ont sous-traité à des équipementiers le développement complet de systèmes importants. « Avant, Airbus avait une compétence moteur et s'en servait avec les motoristes. Airbus comme les autres constructeurs se sont retirés du leadership technique sur ces équipements et cela créait un obstacle. »

 Mais, avec une note d'espoir, il déclare que cette situation « ne va pas durer éternellement ».

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 24/04/2023 à 10:20
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Les vrais défenseurs du transport aérien ne sont pas ceux qui applaudissent à l'évolution tragique à laquelle nous assistons ces dernières années. Les compagnies «bas-coûts/bas-prix» sont un drame pour celui-ci. En multipliant les vols et en faisant ...

à écrit le 24/04/2023 à 9:00
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Ça me va. Je.considère toujours que le transport aerien de masse pour un tourisme de masse est une engeance pour la planète et la tranquillité des autochtones visités.

à écrit le 24/04/2023 à 8:57
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En fait, leur pandémie n'a servi à rien. Pas de consolidation du secteur, toujours autant d'acteurs. Ils s'inquiètent juste d'être limités par le nombre d'Avignon. Mais au fait les prix suivent la demande, ce n'est pas plutôt ça le fondement de votre...

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