Une poussée inflationniste comparable à celle qui a suivi le premier choc pétrolier des années 70. C'est, à l'instar de Bruno Le Maire, ce que s'attendent à vivre les dirigeants de la coopérative normande Agrial. La prédiction mérite d'être prise au sérieux. Plus connu sous ses marques telles que Crealine ou Danao, le groupe caennais est un poids lourd français de l'agriculture et de l'agro-alimentaire (6,2 milliards de chiffre d'affaires - 22.000 salariés).
Omniprésent dans les rayons des supermarchés, il est actif dans quasiment tous les compartiments : le lait, la viande, les céréales, les boissons et les légumes. Son modèle très diversifié et son expansion internationale lui avaient permis jusqu'ici de bien résister à la pandémie mais l'instabilité mondiale qui se prolonge invite ses responsables à la prudence. « La superposition des crises est anxiogène », résume son directeur général Arnaud Rigoulet.
Déjà en butte à la flambée du prix des emballages qu'il chiffre à + 30% et à des variations climatiques de plus en plus fréquentes, le groupe s'attend à être percuté de plein fouet par la hausse galopante des prix de l'énergie et de ceux des engrais azotés qu'il fournit à ses adhérents à raison de milliers de tonnes par an.
Réputé pour sa gestion prudente, Agrial a eu beau se couvrir en décembre en stockant pour 200 millions d'euros de matières premières et d'équipements - un niveau inédit -, son président anticipe des lendemains qui déchantent. « Quand on voit les propositions de couverture qui nous sont faites pour 2023 et 2024, il y a de quoi tomber à la renverse », s'alarme Ludovic Spiers. Pour l'intéressé, les consommateurs doivent donc se préparer à une forte augmentation des prix de l'alimentaire.
Bras de fer en perspective
A la veille d'un nouveau round de négociations avec la grande distribution, la coopérative normande n'entend manifestement pas céder un pouce de terrain aux grandes centrales d'achat. « Il nous faut retourner à la bataille, il n'y a pas d'autre solution, insiste Arnaud Rigoulet. C'est une question de survie ». Si les dirigeants d'Agrial savent gré au ministre de l'Agriculture de ses efforts pour arrondir les angles entre les parties, ils semblent se préparer à un bras de fer. «
Nous allons avoir à passer des augmentations tout au long de l'année voire plusieurs fois par mois sinon il y aura des rayons vides », prévient Ludovic Spiers.
En attendant d'y voir clair, le groupe prévoit d'alléger « un peu » ses investissements repartis à la hausse l'an dernier (180 millions d'euros) et mise sur la progression de son développement à l'international -u n quart de son chiffre d'affaires aujourd'hui - pour passer l'orage. A l'aval, il cherche également à diversifier ses circuits d'approvisionnement en engrais aujourd'hui essentiellement en provenance des pays de l'Est, Ukraine et Russie en tête. « L'Egypte par exemple pourrait en fournir davantage » risque son président.
Quant aux injonctions des autorités européennes de produire plus au bénéfice des pays dépendants du blé de la mer noire, la coopérative doute fort que ses 8.500 adhérents producteurs de céréales puissent constituer un rempart contre les famines qui menacent. « Ce n'est pas avec nos quelques hectares de jachère que nous allons combler les manques sur certaines destinations », prédit son directeur général.
_________________
Le Brexit ou « l'économie du chaos »
S'il a surmonté la pandémie, Agrial a « beaucoup souffert du Brexit » de l'aveu même de ses dirigeants. Le groupe est solidement implanté au Royaume-Uni où il est propriétaire de sept usines et où sa marque Florette occupe une position de leader dans la vente de légumes frais. Mais depuis que le royaume a largué les amarres, rien ne va plus. Tensions sur la logistique, pénurie de main-d'œuvre, problèmes d'approvisionnement... Toute la production est profondément désorganisée. « L'économie de la Grande-Bretagne, c'est l'économie du chaos », diagnostique Ludovic Spiers.
Faute de personnel, les usines de la coopérative sont ainsi contraintes de stopper leurs installations jusqu'à deux jours par semaine et de s'adapter en ne transformant plus que les produits les moins gourmands en main-d'œuvre. S'ajoutent à cela une inflation des salaires « entre 8 et 10% » encouragée par le manque criant de conducteurs de poids-lourds. « Certains chauffeurs se voient même attribuer des Golden Hello (des primes à l'embauche, ndlr) sans engagement de rester dans l'entreprise », raconte Arnaud Rigoulet qui voit peu de perspectives d'amélioration à court-terme. « Il faudrait que l'immigration reparte mais Boris Johnson ne donne aucun signe en ce sens ». Lot de consolation pour Agrial, ces difficultés sont partiellement compensées par des hausses de prix « bien plus élevées qu'en France ». « Le marché y est beaucoup plus réactif », observe son président. Un message subliminal aux enseignes hexagonales ?
Sujets les + commentés