Alliance Renault-Nissan, année zéro ?

Les motifs d’une rupture de l’Alliance sont désormais multiples. Restent de nombreux intérêts industriels réciproques.
Nabil Bourassi
(Crédits : Reuters)

Le plus bel âge de la vie, 20 ans ? Pour Renault et Nissan, ce sera surtout l'âge de vérité puisque 2019, en plus d'être l'année du vingtième anniversaire de l'Alliance, pourrait surtout être l'année où tout passe ou trépasse ! C'est peu de dire que Renault et Nissan viennent de subir un immense creux dans le partenariat industriel (et accessoirement capitalistique) qui les unit depuis 1999. Une tourmente née dès 2015, après le coup de force de l'État français - organisé par Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie - dans le capital de Renault, et qui a connu son point d'orgue avec l'arrestation de Carlos Ghosn en novembre dernier.

Paradoxalement, vous ne trouverez personne chez aucun des protagonistes pour clamer haut et fort qu'il faut en finir avec l'Alliance : ni Hiroto Saikawa, patron de Nissan et tombeur de Ghosn, ni chez Renault, ni même au sein du gouvernement français (l'État détient 15 % du capital de Renault) ou encore du gouvernement japonais (qui lui, n'a aucun intérêt officiel, hormis celui de défendre un fleuron national) qui a pris langue avec son homologue français dès le début de l'affaire Ghosn. Toutes les parties en présence veulent défendre l'architecture industrielle qui leur permet d'économiser plus de 5 milliards d'euros chaque année et qui, d'après tous les experts, pourrait aller encore plus loin dans les synergies.

En outre, l'Alliance est contrainte par une mauvaise série de « vents contraires », pour reprendre l'expression utilisée par l'ensemble des constructeurs automobiles du monde pour parler du ralentissement des principaux marchés mondiaux (Europe, États-Unis et Chine, celui-ci carrément en baisse), de la hausse des coûts R&D, des matières premières, du Brexit et de la guerre commerciale. Sans parler des investissements majeurs qui concernent l'électrification, la connectivité, la voiture autonome, les nouveaux process industriels dits 4.0.

Crise de gouvernance

Avec plus de 10 millions de voitures vendues, l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi permet à ces entreprises de faire jeu égal avec n'importe quel autre constructeur mondial en termes d'économies d'échelle et donc d'être les plus compétitives, en théorie... Pour Carlos Ghosn d'ailleurs, c'est pour toutes ces raisons que l'Alliance était devenue « irréversible », ou même « indétricotable », pour citer ses termes. Il en était si convaincu qu'il a totalement négligé la nécessité de pérenniser un plan de gouvernance qui siérait à toutes les parties. La crise de leadership et de gouvernance qui a suivi sa chute est pourtant la preuve que cet aspect était au moins aussi fondamental que l'institutionnalisation de milliards et de milliards d'économies.

Pour autant, la rupture est-elle inéluctable? Sûrement pas inéluctable, mais jamais elle n'avait été autant envisagée... Et les événements de ces deux dernières semaines ont encore augmenté cette menace. Nissan considère avoir été mis devant le fait accompli du projet de fusion proposé par Fiat-Chrysler (FCA) et agréé par Jean-Dominique Senard (président de Renault) et le gouvernement français. Les médias japonais ont cité des sources internes du constructeur japonais décrivant un sentiment de trahison. Jamais, la partie japonaise n'avait exprimé de tels sentiments. Jusqu'ici, Nissan était surtout méfiant vis-à-vis de l'État français, qu'il a toujours considéré comme étant en embuscade pour opérer une fusion inamicale. Cette fois, c'est la direction même de Renault qui a été à la manœuvre dans ce qui ressemble, selon Nissan, à une tentative de pression détournée pour rétablir un autre rapport de force.

Fiasco

En mandatant Jean-Dominique Senard en janvier dernier, avec pour mission d'achever la fusion par absorption de Nissan par Renault, l'État français s'est entêté avec une infinie maladresse dans un projet que Carlos Ghosn a toujours exclu en raison de la forte probabilité d'échec par rejet du management de Nissan. À Bercy, on ne voit pas le problème et on considère que Renault, avec 43 % du capital de Nissan (15 % en sens inverse), est en situation de contrôle. Or l'histoire industrielle automobile a montré que même à 100 %, le contrôle n'est pas toujours assuré et que les résistances culturelles ont fait capoter des fusions plus d'une fois.

Plus grave encore, en poussant Jean-Dominique Senard à monter une fusion, avortée, qui, selon toute vraisemblance, a été largement mal préparée, l'État a créé une deuxième crise de leadership qui cette fois ne concerne pas l'Alliance mais affaiblit Renault seul. L'ancien patron de Michelin s'est mis en porte-à-faux avec son partenaire Nissan, dont il vient de perdre la confiance. Il a également déçu les marchés, alors que ceux-ci lui avaient donné un crédit favorable en fonction de son bilan à la tête de Michelin et de son tempérament de fin diplomate. Enfin, il doit désormais évaluer son crédit auprès du management de Renault, qu'il connaît encore assez peu puisqu'il est devenu président en janvier et était prêt à céder le fleuron français dans un deal mal ficelé avec un groupe automobile aux multiples fragilités. Enfin, Jean-Dominique Senard a été abandonné par celui-là même qui l'a installé et poussé dans la voie d'une fusion, le gouvernement, qui après réflexion, a privilégié l'Alliance plutôt que le saut dans l'inconnu que représentait l'offre italo-américaine. D'après nos confrères des échos, le président de Renault aurait même proposé sa démission après le fiasco de la fusion avec Fiat. C'est donc un Renault très largement affaibli qui se retrouve livré à un Nissan toujours désireux de rééquilibrer l'Alliance en réduisant l'influence française.

Un État intrusif

Ultime épisode de ce mauvais feuilleton, Jean-Dominique Senard a tenté le week-end dernier de rétablir ses prérogatives de premier actionnaire de Nissan en s'opposant à la réforme de la gouvernance de Nissan, que le groupe français avait pourtant dans un premier temps avalisée. Tout se passe désormais comme si Renault et Nissan ne se comprenaient plus. La responsabilité du gouvernement français dans cette situation fait de plus en plus débat. Dès 2015 et la loi Florange sur les droits de vote double, l'État a montré qu'il était prêt à toutes les intrusions pour imposer ses vues, y compris contre l'avis de la direction même du groupe. Cet interventionnisme à outrance ne plaisait pas à Nissan, qui s'est certes accommodé d'une prise de contrôle par un groupe français, mais qui n'a jamais envisagé d'être à la merci des intérêts politiques d'un gouvernement étranger. On peut dire que Renault et Nissan ont « atteint le fond », en termes de défiance réciproque. Chez Renault, on considère que le japonais a compromis l'Alliance en provoquant la chute de Carlos Ghosn, tandis qu'à l'inverse Nissan ne prête que des intentions inamicales à son allié. Voilà une opportunité historique pour refonder l'Alliance sur de nouveaux fondamentaux, pour assainir ses règles de fonctionnement. L'État français semble désormais prêt à donner des gages en réduisant sa participation. Car en réalité, par les temps qui courent, qui pourrait renoncer aux colossales économies d'échelle et d'investissement de l'Alliance ? 

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Nabil Bourassi

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Commentaires 3
à écrit le 15/06/2019 à 10:41
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Pour l'instant j'ai des doutes sur les compétences du nouveau président du groupe. Au lieu de calmer le jeu, il fait presque tout pour braquer Nissan. Veut a tout pris une fusion alors que Nissan ne veut pas, veut faire une acquisition sans en parler...

à écrit le 14/06/2019 à 9:08
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La première des choses à faire est de lourder H. Saikawa.

à écrit le 14/06/2019 à 8:48
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D'abord et avant tout camarades, ne pensez-vous pas qu'il faudrait revenir sur l'accord qui a mit Nissan au service de Renault (ou de GHosn ?) sous les étonnements généralisés ? Attention je dis ça sans savoir mais bien souvent en prenant un peu ...

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