Arrestation de Carlos Ghosn : l'avenir de Renault en pointillé

Par Nabil Bourassi  |   |  1431  mots
Carlos Ghosn a été arrêté ce lundi au Japon plongeant l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi dans la tourmente. (Crédits : Reuters)
L'arrestation de l'homme fort de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a suscité l'effroi sur les marchés, provoquant l'effondrement du titre Renault en Bourse. Sa démission de la présidence du conseil d'administration de Nissan est imminente et la question de la direction de l'Alliance est désormais posée. Cette question n'avait jusqu'ici jamais été tranchée compte tenu des intérêts divergents des différents protagonistes, parmi lesquels l'Etat français. Si ce sujet n'est pas traité dans les prochains jours, il pourrait mettre Renault dans de très graves difficultés...

Il ne pourra pas dire qu'il n'avait pas été prévenu... Cela fait plusieurs années que les marchés réclament à Carlos Ghosn un plan de succession. L'insuffisante réponse à cette supplique s'est implacablement traduite ce lundi sur le titre Renault. L'action s'est effondrée de plus de 13% après l'annonce de l'arrestation de son PDG au Japon. Celui qui dirige également les conseils de surveillance de Nissan et de Mitsubishi et dirige l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est soupçonné d'avoir dissimulé au fisc japonais une partie de ses revenus et de s'être livré à des pratiques douteuses. Tel César poignardé par son protégé, Brutus, Carlos Ghosn est notamment accablé par Nissan, l'entreprise dont il a largement contribué au redressement en 1999 et qui lui a valu d'être érigé en Dieu vivant du capitalisme japonais. Le communiqué du constructeur nippon est impitoyable :

« Carlos Ghosn a pendant de nombreuses années déclaré des revenus inférieurs au montant réel. (...) En outre, de nombreuses autres malversations ont été découvertes, telles que l'utilisation de biens de l'entreprise à des fins personnelles », écrit Nissan dans un communiqué avant d'annoncer que le principal intéressé est sur le point de proposer sa démission.

En France, le scandale prendra une ampleur encore plus particulière puisque Carlos Ghosn y était régulièrement attaqué pour son niveau de rémunération, l'un des plus important du CAC 40. Jusqu'en 2017, il gagnait 8,8 millions d'euros au titre de son poste de PDG de Nissan à quoi il fallait ajouter sa rémunération de PDG de Renault soit 7 millions d'euros. C'est en février 2018 que Carlos Ghosn a fini par accepter une baisse de 30% de sa rémunération (côté Renault), sous la pression de l'Etat français.

Emmanuel Macron « extrêmement vigilant »

Derrière le scandale, les enjeux économiques et industriels de cette affaire sont considérables. Au point que le président de la République a dû intervenir en marge d'un déplacement à Bruxelles assurant que le gouvernement serait « extrêmement vigilant » quant à « la stabilité » de Renault, dont l'Etat détient encore 15% du capital. Emmanuel Macron a précisé qu'il serait attentif à la stabilité du groupe mais également à celle de l'Alliance. Pour les investisseurs, la stabilité de l'Alliance repose depuis trop longtemps sur l'autorité charismatique de Carlos Ghosn. Ils craignent que la pérennité de cette union ne survive pas à son chef d'où leurs demandes répétées d'un plan de succession. Carlos Ghosn n'a que très partiellement répondu à cette attente en acceptant de nommer, début 2017, un PDG chez Nissan, Hiroto Saikawa, se contentant de présider le conseil d'administration, puis plus récemment, en nommant un « COO » (numéro 2) à la tête de Renault en la personne de Thierry Bolloré.

Il a fallu que le gouvernement français par la voix de son ministre de l'économie, Bruno Le Maire, se joigne à celle des marchés, pour que Carlos Ghosn accepte d'introniser un dauphin. C'était la condition pour le renouvellement de son mandat. Mais rien n'a été décidé ni prévu pour lui succéder à la tête de l'Alliance. Le patron a accepté de consacrer son nouveau mandat, commencé en mai 2018, à l'établissement d'un plan de succession qui permette de donner une visibilité au delà de son mandat mais également de ses limites d'âge puisqu'à 64 ans, Carlos Ghosn est plus près de la retraite que de la prolongation de carrière.

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Son arrestation au Japon a totalement précipité ses plans, et la chute de l'action Renault est proportionnelle aux enjeux industriels encourus par le constructeur automobile français. Le modèle économique du groupe français repose quasi-exclusivement sur son alliance avec Nissan. D'abord, les bénéfices du japonais ont largement contribué à sauver les résultats financiers du français pendant la crise financière de 2008. La valorisation boursière de Renault était d'ailleurs à peine supérieure à la valeur de sa participation de 44% dans le capital de Nissan. Ensuite, Renault partage avec Nissan la plupart, et de plus en plus, de ses plateformes. Ainsi, sur la plateforme CMF on retrouve neuf modèles dont le très juteux Qashqai, le Kadjar, Mégane, Koleos, Talisman...

L'Alliance prévoit de partager 80% de la production mondiale de l'ensemble de ses marques (Renault, Dacia, Lada, Nissan, Infinity, Alpine, Mitsubishi...) sur des plateformes communes, soit des économies de développement considérables. Au-delà, c'est aussi une série de brevets que l'Alliance partageait notamment dans la voiture électrique dans laquelle Nissan avait pris l'initiative bien avant Renault. Il en sera de même dans la voiture autonome, l'intelligence artificielle... Mais également dans les nouvelles mobilités dans laquelle Carlos Ghosn a pris l'initiative d'une très forte offensive. Cette stratégie est développée dans chaque groupe mais elle est pilotée par l'Alliance, sous la direction d'Hadi Zablit. L'Alliance est donc un ciment organisationnel majeur, mais il a le défaut d'être excessivement centralisé autour d'un même homme.

Le Japon fidèle à Ghosn mais pas à Renault...

Les Japonais ont déjà montré qu'ils resteraient loyaux à Carlos Ghosn mais pas nécessairement à Renault. En avril 2015, lorsque l'Etat français est brutalement monté dans le capital du constructeur automobile français afin d'imposer les droits de vote double en assemblée générale, Nissan avait lancé un très sérieux avertissement, indiquant qu'il était inconcevable pour une entreprise japonaise d'être contrôlée par un Etat étranger. L'Alliance est alors au bord de la rupture !

Plus grave, les forces sont largement déséquilibrées entre Renault et Nissan et le rapport de force est clairement défavorable au Français. Le Japonais pèse quasiment deux fois plus lourd et le rapport de force s'est largement creusé après la prise de contrôle de Mitsubishi par le seul Nissan. Si Carlos Ghosn s'est targué d'être à la tête du premier constructeur automobile mondial avec 10,6 millions de voitures par an, devant Toyota et Volkswagen, la réalité est beaucoup plus triviale : l'Alliance n'est en rien un groupe intégré et les synergies, si elles sont importantes ne sont pas suffisantes pour rendre « indétricotables », selon le mot de Carlos Ghosn, cette Alliance. « Toutes les synergies industrielles actuelles sont parfaitement configurables dans le cadre d'un simple partenariat industriel », souffle à La Tribune un analyste fin connaisseur du secteur.

La démission imminente de Carlos Ghosn de la tête de Nissan posera obligatoirement celle de la direction de l'Alliance. Les Japonais voudront certainement imposer un des leurs avec l'argument légitime de son poids économique mais il y a fort à parier que le gouvernement français s'y opposera absolument, rappelant le rapport de force actionnarial, factuellement favorable à Renault qui détient 44% de Nissan, et seulement 15% en sens inverse (et sans droits de vote). La presse a toutefois entrevu une solution en la personne de Didier Leroy, cet ancien collaborateur de Carlos Ghosn, devenu membre du Comité Exécutif de Toyota Motors avec le titre de Vice-Président. Ce Français, très bon connaisseur du secteur automobile japonais, pourrait dès lors être l'homme de la situation. Très sollicité par les médias, ce dernier a jusqu'ici opposé une fin de non-recevoir. La déchéance de Carlos Ghosn pourrait avoir changé la donne. Du moins, la question de sa succession revêt désormais un caractère d'urgence absolue.

Une conjoncture défavorable

Pour noircir un peu plus le tableau, cette affaire survient au moment où le secteur automobile mondial arrive au bout d'un cycle haussier historiquement long. Le marché automobile américain est arrivé à un plus haut et est condamné à stagner voire à régresser un petit peu. En Chine, les croissances à deux chiffres sont définitivement derrière elle. En octobre, le premier marché automobile du monde a même baissé de 11%. En Europe, le marché est proche de son niveau d'avant la crise, tandis que le marché s'est retourné en Amérique Latine.

De plus, l'inflation de normes anti-pollution partout dans le monde nécessite plus que jamais de trouver des synergies en R&D, sous peine de voire ses marges fortement impactées comme l'a récemment annoncé BMW. Carlos Ghosn se targue trop souvent d'avoir bâti une alliance industrielle mondiale, il sera pourtant comptable de son effondrement si celui-ci survenait au plus mauvais moment et que ce soit finalement ses 470.000 salariés dans le monde qui soient les premières victimes...