Comment les équipementiers automobiles français se sont imposés au monde

Faurecia, Valeo, Plastic Omnium, Michelin Nos équipementiers automobiles ont su tirer parti de la redistribution de la chaîne de valeur externalisée par les constructeurs. Ils ont fait de l'innovation l'alpha et l'oméga de leur croissance à long terme mais également de leur rentabilité.
Nabil Bourassi
(Crédits : Fabrizio Bensch)

Souvenez-vous... C'était il y a une dizaine d'années. Plus personne ne donnait cher de l'industrie automobile française. Selon ces mauvaises langues, ce secteur vivait ses dernières heures après plus d'un siècle de gloire et d'innovations reconnues dans le monde entier. Fermetures d'usines, plans sociaux massifs, bénéfices en chute libre, perte de terrain voire abandon de segments entiers au profit de l'industrie allemande...

Pendant que tout le monde pleurait sur le sort des constructeurs (qui finalement ne vont plus si mal que ça...), les équipementiers automobiles, eux, se sont totalement restructurés. Tant et si bien qu'ils sont devenus les champions du monde de l'innovation en matière automobile. Et leur champ de ­compétence est large, aucun aspect de la voiture (ou si peu) ne leur échappe : intelligence artificielle, voiture autonome, systèmes de dépollution, voiture électrique, la planche de bord, les sièges, la connectivité, les hayons arrière, les réservoirs, l'éclairage avant, arrière et intérieur, la pile à combustible... Il est impossible de répertorier ici le portefeuille de produits proposés aujourd'hui par l'ensemble de nos champions. D'autant qu'ils ne cessent d'innover. Récemment encore, au CES de Las Vegas, ils ont présenté de nouveaux produits qui frôlent la révolution technologique : une voiture 100 % électrique à moins de 8 000 euros grâce à la technologie du 48 volts par Valeo, ou le cockpit du futur par Faurecia. Avec Plastic Omnium et Michelin, véritable peloton de tête des équipementiers français, ces multinationales sont souvent numéro un ou numéro deux mondial dans chacune de ces activités. Et cette force d'innovation séduit les constructeurs du monde entier, y compris les grands groupes premium allemands. Ces derniers peuvent ainsi réaliser jusqu'au tiers du chiffre d'affaires de certains équipementiers français.

Appâter les meilleurs ingénieurs

Pour arriver à de tels résultats, nos équipementiers doivent toutefois fournir un effort en recherche et développement constant et conséquent. « L'innovation technologique, c'est le nerf de la guerre pour les équipementiers automobiles. S'ils n'innovent plus, ils sont morts », lance sans détour Bertrand Rakoto, analyste indépendant basé à Détroit.

Pour Guillaume Crunelle, associé chez Deloitte et spécialiste de l'automobile, « il n'y a pas d'échappatoires, les équipementiers doivent innover s'ils veulent éviter de voir leur produit se commoditiser [des marchandises de bases avec peu de valeurs, ndlr]. Pour l'heure, les groupes français ont prouvé leur force d'innovation ce qui leur permet de défendre leurs prix ».

Valeo a ainsi augmenté de 22 % l'effort brut de R&D en 2016, à 1,6 milliard d'euros, avec l'objectif d'y consacrer 6 % de son chiffre d'affaires à terme (en dépenses nettes). Faurecia, lui, annonce le doublement de ses dépenses R&D à horizon 2020.

L'innovation reste donc un levier essentiel de compétitivité. Car la Chine guette... Et si pour l'heure le pays ne compte pas d'équipementier automobile majeur, il faut rester prudent. « Ce n'est pas parce qu'on ne les voit pas aujourd'hui qu'ils ne vont pas émerger demain, on connaît la capacité de la Chine à constituer des mastodontes industriels en très peu de temps », souligne Guillaume Crunelle. « Les équipementiers automobiles français ont acquis de solides qualités : leur déploiement géographique, leur agilité à travailler avec tous les acteurs, et enfin leur puissance d'innovation. Bâtir un tel modèle requiert beaucoup de temps et d'expertise », relativise-t-il néanmoins.

De son côté, Bertrand Rakoto pense également que le temps joue en la faveur des groupes hexagonaux : « Pour la Chine, il est plus facile de constituer un constructeur automobile, puisqu'il s'agit de plus en plus d'assembleurs, que de créer un géant équipementier car il faut de la technologie et des capacités de production. »

L'innovation implique néanmoins que ces groupes engagent d'ambitieuses politiques de recrutement afin d'appâter les meilleurs candidats qui pourraient, sinon, aller chez un concurrent, ou pire, céder à l'appel de Google ou Apple... Ils soignent donc leur image auprès des écoles d'ingénieurs, organisent des campagnes de recrutement chez les étudiants, misent sur les réseaux sociaux pour promouvoir leur réputation dans les communautés d'ingénieurs. Ainsi, Plastic Omnium prévoit d'augmenter ses effectifs globaux de 10 % sur cinq ans. Tandis que Valeo, lui, a annoncé un objectif de 10 000 recrutements par an pendant cinq ans.

Autre domaine prioritaire : l'industrie 4.0. Les équipementiers automobiles français ont pris très tôt la mesure de ce chantier et se présentent désormais comme les plus avancés de l'industrie française sur le thème de l'usine du futur. Ils ont ainsi largement engagé la reconversion de leurs usines à ces process qui permettent d'améliorer la flexibilité des lignes de production, d'optimiser les flux d'approvisionnements, ou encore de réduire le coût de la maintenance des équipements. Cette stratégie industrielle leur permet de compter parmi les groupes les plus compétitifs au monde.

Loin des géants

Enfin, les équipementiers français bénéficient également d'une conjoncture particulièrement bonne. Les marchés sud-américain, russe et indien ont enfin renoué avec la croissance tandis que la stagnation en volume des marchés américain et européen est largement compensée par la hausse du taux d'équipement des voitures. Du coup, les équipementiers surperforment régulièrement le marché mondial de près de 9 points par an. « C'est structurel », nous explique Xavier de Buhren, gérant actions françaises chez Mirabaud AM.

À la pointe de l'innovation, des rythmes de croissance élevés, des carnets de ­commande remplis, des positions de leadership dans leurs métiers... Nos champions tricolores ne sont cependant pas les géants qu'on pourrait imaginer. Valeo vaut près de 15 milliards d'euros en Bourse, tandis que Faurecia est valorisé un peu moins de 10 milliards... En face, l'allemand Continental est coté plus de 48 milliards d'euros, tandis que Bosch (non coté) a réalisé un chiffre d'affaires de 73 milliards d'euros en 2016, soit près de trois fois l'objectif de chiffre d'affaires de Valeo en 2021... ZF, lui, un autre équipementier allemand sous le statut de fondation (comme Bosch, donc non coté) a enregistré un chiffre d'affaires de 35 milliards en 2016. Celui-ci a néanmoins été aidé par le rachat de l'américain TRW en 2015 pour 13,5 milliards de dollars.

Pour autant, les équipementiers français ne considèrent pas cet effet de taille comme un désavantage. D'abord parce que la puissance des Bosch et Continental est surtout fondée sur une diversité d'activités qui n'ont pas forcément de synergies entre elles. D'ailleurs, ils s'interrogent de plus en plus sur une rationalisation de leur portefeuille d'activités. Continental a ainsi dépêché un audit sur l'opportunité de céder ses activités liées aux moteurs à combustible, tandis que le premier actionnaire de ZF a limogé son PDG pour contraindre l'entreprise à un passage en revue de ses activités.

Les équipementiers français, eux, ont déjà achevé cette mutation. Ils n'envisagent pas de fusions-acquisitions géantes. La dernière opération en date correspond au rachat des activités pare-chocs de Faurecia par Plastic Omnium. « La consolidation ne se fera pas par de grandes fusions industrielles puisqu'avec trois à quatre fabricants mondiaux dans chaque domaine, il est possible mais reste difficile d'envisager plus grande concentration », estime Bertrand Rakoto, qui table davantage sur des acquisitions de startups afin d'acquérir des technologies disruptives. « Les équipementiers doivent surtout faire face à de nouveaux entrants que nous ne soupçonnions pas il y a dix ans comme le fabricant de cartes mères Nvidia, Google ou encore Samsung qui, un temps, a songé à racheter Magneti-Marelli ».

Maintenir la R&D en france

Reste toutefois que Faurecia ne ferme pas la porte à une opération d'envergure. En juin dernier, son PDG, Patrick Koller, avait annoncé dans une interview à La Tribune qu'il souhaitait doter son groupe « d'une jambe supplémentaire ». « Nous n'avons rien identifié, sauf les critères qui nous autoriseront à investir une nouvelle activité. Celle-ci doit être profitable, nous mettre en situation de leader, être en rapport avec nos métiers historiques, nous assurer une présence globale », avait-il alors expliqué. Plus tard, il avouera avoir regardé le dossier Magneti-Marelli, l'équipementier automobile italien filiale de Fiat-Chrysler, mais l'avoir aussitôt refermé.

Pour le secteur automobile français, les équipementiers automobiles jouent un rôle majeur. Ils ont permis de maintenir la R&D en France à l'heure où les constructeurs automobiles ont accéléré l'externalisation de leur recherche. Ce sont les équipementiers qui ont pris en charge le développement de ces pièces, récupérant, au passage, l'essentiel de la valeur ajoutée. En 2016, Valeo a même détrôné PSA dans le classement des plus grands pourvoyeurs de brevets en France. « Les moteurs pourraient être le dernier bastion d'innovations qui appartient encore aux constructeurs, et encore, de nombreuses pièces constitutives du moteur proviennent des équipementiers. Mais avec l'arrivée des voitures électriques, on pourrait voir des groupes motopropulseurs totalement externalisés. C'est assez inéluctable. Surtout si on ajoute la nécessité de mutualiser les volumes », prévient Bertrand Rakoto.

La renaissance des équipementiers a ainsi été une aubaine pour le secteur automobile français. Il a permis de maintenir un tissu industriel compétitif sans lequel, les constructeurs auraient probablement accéléré leur désengagement industriel. En effet, la proximité d'un tissu de fournisseurs (le « sourcing » dans le jargon) est un avantage compétitif majeur pour maintenir les usines terminales. De l'autre côté du spectre, ils ont également sauvé les équipementiers de rang 2, c'est-à-dire leurs propres fournisseurs, qui sont souvent des petites PME familiales ou des ETI.

« Nous avons la chance en France d'avoir un écosystème vertueux entre des acteurs mondiaux de l'automobile qui va de la fourniture de pièce à l'assemblage de produits finaux. C'est un avantage compétitif pour le pays. La vraie problématique de cet écosystème, c'est la capacité des équipementiers de rang 2 à suivre la cadence d'innovations des grands, mais également à faire face à de nouveaux entrants totalement digitalisés », explique Guillaume Crunelle, du cabinet Deloitte.

Si les équipementiers de rang 2 n'ont pas encore achevé leur mue (voir page 14), les constructeurs automobiles, eux, ont enfin terminé leur restructuration industrielle et affichent des résultats solides. Désormais, tous les indicateurs sont au vert pour redonner au secteur automobile français sa force d'antan... N'en déplaise à ceux qui l'avaient enterré trop vite.

Nabil Bourassi

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Commentaires 18
à écrit le 27/04/2020 à 7:49
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Équipementiers rime avec patates et steack haché ?

à écrit le 27/01/2018 à 21:46
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Ben ou je travaillais en dix ans on avait multiplié la vitesse des ligne par 4, automatisé les contrôles, mis des robots ou personne n'aurait imaginé que ça puisse se faire et tout en interne. On avait une usine en Allemagne, une autre en Angleterre...

à écrit le 26/01/2018 à 16:10
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je me suis interesez il y deja quelque annees sur l avenir des equipement automobiles , deja a l epoque les pieces d equipement de la voiture etais faisable en plastique il parle de 90%de faisabilite, POUR LES 10 % RESTANT un seul probleme qui ettais...

le 27/01/2018 à 12:10
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entre les fautes d'ortografeu et la mauvaise ponctuation, c'est très dur à lire

à écrit le 26/01/2018 à 12:42
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La grande messe allemande d' un Nabil plutôt habituel dans ses comparaisons, sinon ce sujet sur la RD allemande l' intéresse ...? http://www.caradisiac.com/les-constructeurs-allemands-ont-finance-une-etude-ou-des-singes-respi...

le 26/01/2018 à 15:53
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Où quand l' Allemagne fait ressortir ses vieux démons ....

à écrit le 26/01/2018 à 11:41
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Jusqu'au jour ou toutes ces pépites seront vendu aux chinois américains ou autres ogre...avec la technologie qui va avec...car nos industriels n'ont pas une vision à long terme et cela est dommage (TGV chinois qui se vend au monde entier par ex)

le 27/01/2018 à 12:11
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Aux Chinois seulement, les US raisonnent encore à court terme comme nos énarques pas bien capables de voir au delà du prochain quarterly report

à écrit le 26/01/2018 à 11:31
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Voilà qui va à l'encontre des sempiternels discours de Gattaz et du medef sur la compétitivité de nos entreprises et de la qualification de nos écoles d'ingénieurs ....son successeur aura du boulot pour redresser l'image du patronat français!!!

le 26/01/2018 à 12:56
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Totalement d'accord avec vous. Même si on peut évoquer les charges et la complexité administrative, ça a surtout servis aux chef d'entreprise à se dédouaner de leur propre incompétence. Leur stratégie économique se résume trop souvent à vouloi...

à écrit le 26/01/2018 à 11:12
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Ah oui c'est une très bonne nouvelle ça. Ils devraient développer l'outillage industrielle pour l'usine 4.0 multi domaine flexible en s'appuyant sur les constructeurs. « il n'y a pas d'échappatoires, les équipementiers doivent innover s'ils veul...

à écrit le 26/01/2018 à 10:08
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On verra dans quelle mesures les équipementiers s'adapteront aux transformations majeurs dans l'automobile et le secteur des transports avec les dévelopements en cours: - baisse du nombre de moteurs diesel. - augmentation des moteurs éléctriques -...

le 26/01/2018 à 14:24
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un voiture c est pas qu un moteur. si vous faites les pare choc, les sieges, l inoftainment (radio, navigation) ca va pas changer grand chose. Le changement est aussi une opportunite car une voiture autonome va importer encore plus d informatique. et...

à écrit le 26/01/2018 à 9:52
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L'article est partial. L'industrie automobile pour les rangs 2 vit essentiellement grace aux constructeurs allemands qui préférent acheter de la qualité francaise que du low cost roumain bulgare marocain etc... Les acheteurs des équimentiers Valeo et...

le 26/01/2018 à 14:10
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Le rédacteur de l'article , spécialiste du secteur automobile est très rarement "complaisant avec les constructeurs français , pour le reste comment font les constructeurs et équipementiers étrangers ?

le 26/01/2018 à 14:21
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Rien d etonnant de la part des constructeurs auto francais. Renault fabrique deja plus de voiture a l etranger qu en France. donc si vous voulez faire du low cost, vous allez dans un pays low cost et faite de la ... low quality L article le soulig...

le 26/01/2018 à 15:50
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reponse à LDX : Je précise ma pensée. Les constructeurs allemands ont créé une zone low cost en tchequie, slovaquie, pologne proche de la frontiere allemande pour les pièces peu complexes et vont en France quand ils ont besoin d'un savoir faire parti...

le 26/01/2018 à 20:55
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@jeanluc Même une wurst de haut rang reste une wurst, les allemands sont en train de perdre la guerre du haut de gamme, de la moyenne gamme, du low cost et de l' électrique derrière les français, ils sont trop cubiques e...

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