L'année 2020 sera une année critique pour l'industrie automobile tant les risques encourus par le secteur sont nombreux. Ce sont les trois premiers marchés automobiles du monde qui vont concentrer l'attention des experts : Chine, États-Unis, Europe. Xavier Mosquet, directeur associé senior au Boston Consulting Group (BCG), analyse la situation en ces termes :
« La situation est pour le moins délicate. On vient d'assister à une baisse des ventes mondiales de 4 % sur l'ensemble de l'année, et on va attaquer 2020 vraisemblablement sur une poursuite de ce ralentissement, même si on peut raisonnablement espérer une stabilisation au second semestre. »
Même tendance chez PwC, où José Baghdad, associé responsable du secteur automobile du cabinet d'audit, relève que « l'année 2020 sera plus critique que 2021, elle sera surtout parsemée d'incertitudes, comme la guerre commerciale sino-américaine ou les conséquences du Brexit ».
Aux États-Unis, le marché ne pouvait plus espérer de marges de progression depuis qu'il a atteint son niveau d'avant-crise en 2016, considéré comme son point d'équilibre, et les experts s'attendaient à une oscillation autour de ce volume de 16,5 millions de voitures neuves. Sauf que le marché montre des signes plus inquiétants, et que des incertitudes liées aux élections américaines et à la poursuite, ou non, de la guerre commerciale avec la Chine et l'Europe (dont les constructeurs premium allemands sont d'importants exportateurs de voitures) pèsent sur les perspectives.
En Chine, il semblerait que la chute vertigineuse enregistrée depuis deux ans soit sur le point d'être enrayée, sans toutefois laisser entrevoir un rebond. Après avoir perdu jusqu'à 2 millions de voitures sur l'ensemble de l'année 2019, le premier marché automobile du monde pourrait se stabiliser au deuxième semestre de l'année.
Le marché européen, lui, pourrait rester sur une relative stabilité, c'est-à-dire sur une baisse contenue de 1% à 2 %.
Des ajustements de production
Tous ces éléments sont conjoncturels et correspondent aux ajustements de cycle classiques de l'industrie automobile. Encore que la période de hausse que vient d'enregistrer le secteur a été exceptionnellement longue : presque dix ans, là où historiquement, le secteur enregistre des cycles de cinq à six ans. Mais les experts estiment que les fondamentaux restent robustes. Aux États-Unis, le marché est tout à fait capable d'absorber un choc baissier avec son complexe industriel rationalisé au cordeau depuis la crise de 2008. « Certains sites ont un taux d'utilisation de leurs capacités de 110 %... Si le marché américain baisse de 10 %, il n'y aura pas d'impacts industriels majeurs », explique Xavier Mosquet du BCG.
En Chine, il y a bien des surcapacités, mais là aussi, Xavier Mosquet ne se montre pas plus inquiet :
« À long terme, le marché chinois va continuer à augmenter, il absorbera sans problème les surcapacités actuelles. »
En Europe toutefois, les experts admettent que les capacités industrielles pourraient devenir un problème à court terme. « Nous venons de passer sous la barre de 60 % de taux d'utilisation des capacités industrielles, la situation est très disparate entre les constructeurs, mais à ce niveau, nous entrons dans une zone qui peut appeler à des ajustements de production », relève José Baghdad de PwC.
En Allemagne, Ferdinand Dudenhöffer, directeur de l'institut de recherche CAR à l'université de Duisburg, signale que la production automobile allemande a décroché en 2019 pour tomber à un plus bas historique depuis vingt-deux ans !
Mais, Xavier Mosquet ne se veut pas alarmiste et pense que compte tenu de « la pression d'investissements (...) le climat » n'invite pas « à chercher des parts de marché aux dépens des marges ». Autrement dit, le risque d'une guerre des prix dommageable pour les marges est écarté. José Baghdad n'exclut toutefois pas que, « en Europe, les constructeurs soient poussés à faire des remises sur leur gamme électrifiée ».
Des marges qui se sont érodées
C'est bien la principale inquiétude des constructeurs pour l'année 2020 : les objectifs de CO2 dans l'Union européenne. Pour rappel, Bruxelles leur a imposé un objectif d'émissions de 95 grammes de CO2 par kilomètre et par voiture. Les amendes potentielles pourraient atteindre des milliards d'euros pour certains constructeurs. Pourtant, les analystes reconnaissent que les constructeurs ont rempli leur part du contrat et qu'ils entameront l'année 2020 avec des gammes électrifiées importantes : des berlines et des SUV 100 % électriques, des hybrides rechargeables... Ils pointent, en revanche, un déficit structurel d'infrastructures de recharge.
« Il faudra 50 % de croissance de la voiture électrique, au moins, pour compenser les émissions de CO2 des voitures thermiques et pour atteindre les objectifs de la réglementation », affirme Xavier Mosquet. Optimiste, José Baghdad observe que « l'appétence grandissante des gestionnaires de flottes pour les voitures électriques est encourageante ». Sera-t-elle suffisante ? « La réponse du consommateur à la proposition d'électrification sera la grande inconnue de l'année 2020 », juge Xavier Mosquet.
Autrement dit, si on agrège tous ces éléments, la marge opérationnelle des constructeurs sera sous pression. Elle l'était déjà depuis plusieurs mois. Au premier semestre, de nombreux constructeurs comme BMW ou Daimler avaient annoncé une baisse. Renault a récemment émis un avertissement sur résultats.
« Même les ventes de SUV ne suffiront plus à tirer les marges vers le haut ; la concurrence accrue sur ce segment a significativement érodé leur rentabilité », déplore José Baghdad de PwC.
L'enjeu est d'ampleur. « Les constructeurs ont consacré énormément d'investissements dans l'électrification », relève José Baghdad, selon qui ces budgets continueront à peser sur les comptes. Pour Xavier Mosquet, « on estime à 300 milliards d'euros le budget alloué à l'électrification. Si en plus les constructeurs doivent payer des amendes parce que les voitures électriques ne se sont pas vendues, ce sera de l'argent perdu... »
Cette pression financière pourrait être une raison pour accélérer la consolidation. Ainsi, la fusion PSA-FCA pourrait être mise en œuvre dès cette année. D'autres mouvements sont attendus tels que l'approfondissement de l'Alliance Renault-Nissan, ou du partenariat entre Volkswagen et Ford. Mais c'est en Chine que les changements pourraient être les plus spectaculaires. Avec plus de 300 constructeurs locaux, le marché est très morcelé, et le gouvernement ferait bien le ménage. Ce qui expliquerait d'ailleurs son peu d'empressement à soutenir le marché. Pékin n'a jamais caché sa volonté de créer des champions nationaux pour s'imposer sur le reste du monde, encore faut-il qu'il consolide son propre marché domestique...
C'est dans ce contexte que les constructeurs sont poussés à rationaliser leur production, et les annonces de restructuration pleuvent : BMW, Audi, Ford, Daimler, Continental... des dizaines de milliers de suppressions d'emplois ont été communiquées ces dernières semaines. Sans parler des petits équipementiers dépendants de la technologie diesel dont la dégringolade va se poursuivre en 2020.
Pour les experts, ce qui se jouera en 2020, au-delà de considérations industrielles et de marché, sera l'entrée du secteur automobile dans la prochaine décennie, qui sera placée sous le signe de l'électrification, mais pas seulement : connectivité, autonomie, nouvelle mobilité... Pour préparer ces prochaines années aussi anxiogènes que palpitantes en matière d'innovations, les constructeurs n'ont donc pas d'autres options que de se restructurer pour se préparer...
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