Comment s'émanciper d'un actionnaire aussi encombrant que l'Etat français ? Luca de Meo, le directeur général de Renault, n'y va pas par quatre chemins. Depuis son arrivée à la tête du groupe en juillet 2020, l'ancien patron de Seat n'a eu de cesse d'imposer des décisions qui, il y a quatre ans encore, n'auraient jamais été permises par l'Etat, qui détient 15% du capital, mais 29% des droits de vote qui lui permettent d'avoir un droit de blocage.
L'Alpine A110 bientôt fabriquée en Angleterre ?
Dernier événement en date, l'étude révélée dans nos colonnes du transfert de la production de l'Alpine A110 en Angleterre, qui serait confiée à Lotus. "Si je trouve un modèle efficace, l'endroit où cela est produit importe peu", a-t-il déclaré à des journalistes alors qu'il recevait le prix de l'homme de l'année décerné par le Journal de l'Automobile. Une phrase inimaginable il y a quelques années, lorsque l'Etat, en 2015, ne s'interdisait pas de prendre 5% du capital du groupe pour disposer de droits de vote doubles lui permettant de mettre son veto sur des décisions qu'il jugerait contraire aux intérêts du constructeur ou de la France.
Luca de Meo qui reconnaît qu'une étude est bien en cours, tout en se défendant d'avoir pris une décision définitive, rappelle néanmoins qu'il est parvenu à sauver l'usine de Dieppe où un SUV électrique sera installé. "Avec un SUV, nous apportons d'importants volumes à Dieppe qui en plus sont des volumes stables sur une longue période, ce qui n'est pas le cas avec l'A110", a expliqué Luca de Meo. Le partenariat signé avec Lotus permettra de partager les investissements pour le développement d'une nouvelle génération d'A110. Le "romantisme" (sic) d'une voiture 100% française n'entre plus en ligne de compte.
A quelques jours du second tour, la phrase tombe assez mal pour l'Etat-actionnaire et donc pour Emmanuel Macron qui pourrait se voir taxer de ne rien faire contre ce transfert de production.
Le premier "non" de Luca de Meo, les fonderies françaises
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Luca de Meo n'est pas aligné avec les intérêts de l'Etat français. A l'automne 2021, alors que les fonderies tombent les unes après les autres dans les tribunaux de commerce en redressement judiciaire, l'ancien patron de Seat avait été très clair : Renault ne viendra pas à leur secours, et ce, malgré les appels de Bercy. Darwiniste sans le dire (contrairement à un Carlos Tavares qui le clame haut et fort), Luca de Meo appelle la filière à se transformer. "Inutile de sortir les mouchoirs", avait-il lancé, un brin provocateur, aux industriels de l'automobile lors de la deuxième journée de la filière fin octobre. Une source interne rappelle que pour soutenir certains fournisseurs, Renault paye ses pièces jusqu'à 30% plus cher par rapport aux prix du marché.
Renault reste engagé en France, selon Luca de Meo
Interrogé, Luca de Meo réfute toutefois l'idée que Renault se désengage de la France. "Nous allons investir près de 9 milliards d'euros en France d'ici à 2025", avait-il rappelé en février dernier lors de la publication des résultats annuels. "Nos investissements vont créer 7 milliards d'euros de PIB supplémentaires en France", avait-il également souligné.
Du côté de l'Etat français, on se défend de toute ingérence dans les arbitrages stratégiques de Renault. Toutefois, le groupe est tacitement considéré comme un symbole de souveraineté majeure de la France. Pas question de laisser son capital à découvert. L'Etat prévient, en coulisse, qu'il restera un actionnaire de référence de Renault, pour maintenir l'ex-Régie sous souveraineté tricolore. A l'heure où la valorisation boursière de Renault s'effondre (6,5 milliards d'euros ce mercredi à la Bourse de Paris), la présence de l'Etat met le français à l'abri d'actions spéculatives ou d'une absorption par un groupe étranger.
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