Renault-Nissan : qui sont les trois fossoyeurs ou sauveurs de l'Alliance

Thierry Bolloré reprend en main Renault tandis que l'État français ne veut pas lâcher Carlos Ghosn, dernier pilier d'une Alliance industrielle mondiale essentielle pour le groupe automobile. De son côté, Hiroto Saikawa semble avoir désormais toutes les cartes en main. Portraits de trois alliés aux intérêts divergents.
Nabil Bourassi
Les qualités diplomatiques de Thierry Bolloré pourraient ne pas suffire face aux difficiles négociations promises par Nissan, et son patron, Hiroto Saikawa (ci-dessous en photo, lundi 19 novembre lors de sa conférence de presse).
Les qualités diplomatiques de Thierry Bolloré pourraient ne pas suffire face aux difficiles négociations promises par Nissan, et son patron, Hiroto Saikawa (ci-dessous en photo, lundi 19 novembre lors de sa conférence de presse). (Crédits : Reuters)

"Ghosn, c'est fini!" Cette sentence prêtée à l'Élysée par la presse nationale française ne semble pas se confirmer dans les faits. Officiellement, ni le gouvernement ni le conseil d'administration de Renault n'ont enterré le patron déchu de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, au lendemain de sa spectaculaire arrestation à sa descente d'avion sur le tarmac de l'aéroport de Tokyo.

Au contraire de Nissan et Mitsubishi qui s'apprêtent à le démettre de ses fonctions de président de leurs conseils de surveillance respectifs, Renault, lui, s'est contenté de nommer une direction collégiale provisoire: Carlos Ghosn reste PDG du constructeur automobile français.

Thierry Bolloré, le contraire de Ghosn

Conformément à ce qui était prévu, c'est Thierry Bolloré qui assurera la direction exécutive du groupe "disposant ainsi des mêmes pouvoirs que M. Ghosn". Arrivé en 2012 chez Renault, ce Breton avait été désigné au printemps dernier COO (un anglicisme qui signifie numéro deux après le CEO, soit respectivement directeur général délégué et PDG). Sa nomination n'était pas une surprise, mais Carlos Ghosn avait été poussé par le gouvernement français qui souhaitait une meilleure visibilité sur la succession du tout-puissant patron.

Thierry Bolloré est décrit comme affable et doté d'un appréciable et subtil sens de la repartie, maniant les tournures sémantiques avec brio et élégance. Un brin « vieille France » ? Pas vraiment... Ce Quimpérois de 54 ans fait de sa pondération son principal atout de séduction. Son élocution, son sourire et sa prestance passent partout : avec les syndicats, pour les accords de compétitivité, en Iran, pour de nouveaux accords avec le partenaire local, même avec les journalistes, parfois lassés d'un Carlos Ghosn froid et inaccessible.

Lire aussi : Arrestation de Carlos Ghosn : l'avenir de Renault en pointillé

Thierry Bolloré, c'est aussi un homme de dossiers au parcours brillant, totalement converti au métissage des cultures industrielles dont l'Alliance Renault-Nissan se voulait à la pointe. Il est le mieux placé pour poursuivre le déploiement de la stratégie de Carlos Ghosn, "Drive the Future", et ne pas provoquer de rupture opérationnelle depuis la mise sur la touche de ce dernier. Mais la diplomatie de Thierry Bolloré pourrait ne pas suffire face aux difficiles négociations promises par Nissan, et son patron, Hiroto Saikawa.

Hiroto Saikawa, alias "Brutus"

Celui que la presse française appelle désormais Brutus est, en quelques heures, sorti de l'ombre de l'Imperator pour se placer au centre du jeu. Intronisé Pdg de Nissan par Carlos Ghosn en 2017, l'homme de 65 ans s'est livré lundi à un implacable réquisitoire à l'endroit de Carlos Ghosn, de quelques mois seulement son cadet. Après avoir énuméré les griefs issus d'investigations internes, Hiroto Saikawa a dénoncé le "côté obscur de l'ère de Carlos Ghosn". Il s'est dit "extrêmement choqué" et veut en tirer les conséquences pour l'avenir:

"C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne (...) A l'avenir, nous devons nous assurer de ne pas nous appuyer sur un individu en particulier."

Hiroto Saikawa a décapité Carlos Ghosn en direct, sans autre forme de procès.

Jusqu'ici, pourtant, l'homme était perçu comme un pur partisan de la culture de l'Alliance. Arrivé en 1977 chez Nissan, il participe pleinement à sa mise en place lorsque, en 1999, Louis Schweitzer fait entrer Renault dans le capital de Nissan et envoie Carlos Ghosn à la tête d'un commando pour redresser l'entreprise. Hiroto Saikawa s'occupera notamment de la direction des achats, un point saillant des synergies entre les deux groupes automobiles. En 2003, il entre à la direction de Nissan en tant que vice-président. Il gravit ensuite chaque échelon avant de devenir le COO de Carlos Ghosn en 2014, l'antichambre de la direction exécutive.

Lire aussi : Affaire Ghosn: Nissan veut-il racheter Renault ?

Sa nomination en tant que patron du groupe automobile japonais s'est faite dans un contexte de fragilisation de l'Alliance. En mai 2015, lorsque l'État français décide de monter dans le capital de Renault, Nissan réagit épidermiquement et exige un rééquilibrage de l'Alliance. Un an plus tard, Hiroto Saikawa prend la place de PDG de Nissan comme si Carlos Ghosn était contraint de rendre à César ce qui appartenait à César en "rejaponisant" le management de Nissan, désormais à cran sur son identité. N'en déplaise à l'État français.

L'État français, meilleur ennemi de Ghosn

Ce dernier est le dernier protagoniste de cette déflagration mondiale. Il pourrait même avoir été le meilleur ennemi de Carlos Ghosn. Le franco-brésilien-libanais n'a jamais caché sa méfiance et parfois même son agacement quant à la puissance publique, pourtant premier actionnaire de Renault (15% du capital). Selon lui, les considérations politiques des différents gouvernements freinaient ses projets de rationalisation industrielle, et il ne voulait plus être comptable à l'État de promesses d'embauches. Au fil des gouvernements, Carlos Ghosn bataillait sans cesse pour répondre à l'éternelle et très politicienne question : "Pourquoi Renault ne rachète pas définitivement Nissan ?". Les politiciens étaient obsédés par une fusion qu'ils auraient mis au crédit d'une politique industrielle française triomphante, elle n'a fait que saboter les efforts de Carlos Ghosn de ménager la susceptibilité nationaliste japonaise.

Pour Hiroto Saikawa, les velléités de l'État français étaient inacceptables, tandis que Paris estime que le meilleur gage de pérennité de l'Alliance passe par une fusion. De cette méfiance réciproque est née un malentendu qui s'est autonourri... Au-delà des affaires courantes, la tâche de Thierry Bolloré pourrait être de désamorcer cette bombe avant explosion. Gageons que sa diplomatie, là où l'autorité de Carlos Ghosn n'avait suffi, soit le meilleur espoir pour l'Alliance, et plus encore, pour Renault...

Nabil Bourassi

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Commentaires 28
à écrit le 24/11/2018 à 6:26
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et si les trois fossoyeurs été le pdg lui meme l'etat Français et les ministre des finances qui ont ferme les yeux. et accorde des passe droits ainsi que les syndicats qui ont avale les subsides

à écrit le 23/11/2018 à 15:01
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Soyons pragmatique , vu la séquence des evenements , ce ne peut pas etre une simple affaire fiscale de plus , c’est de fait une attaque stratégique frontale , preparée et organisée contre l’alliance dans sa configuration actuelle et ses perpectives...

à écrit le 23/11/2018 à 15:00
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Soyons pragmatique , vu la séquence des evenements , ce ne peut pas etre une simple affaire fiscale de plus , c’est de fait une attaque stratégique frontale , preparée et organisée contre l’alliance dans sa configuration actuelle et ses perpectives...

à écrit le 22/11/2018 à 21:08
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Il sera intéressant de savoir précisément ce qui est reproché à Ghosn. Les conditions de son arrestation à grand spectacle et de sa mise à l'ombre semblent largement dépasser le cadre de l'éventuel abus de biens sociaux ou de la fraude fiscale.

à écrit le 22/11/2018 à 21:04
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Il est bon de rappeler la manip capitalistique de l'état sur Renault quand Jupiter était ministre de l'économie, et qui a sans doute poussé Nissan à chercher un prétexte pour se débarrasser de la tutelle de Renault.

le 23/11/2018 à 11:50
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Au risque de me répéter l'Etat c'était 44% du capital de Renault à la création de l'Alliance en 99. Macron c'était 25%.... "Nissan à cherché un prétexte" Mais c'était qui Nissan a cette époque ? C'était Carlos Ghosn PDG de Nissan. Et le PDG de ...

à écrit le 22/11/2018 à 18:49
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Si l'état français s'en mêle, ce sera une réussite, comme d'habitude !

le 23/11/2018 à 9:20
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A ce stade la présence de l'état au capital de Renault est peut être la seule chose qui évite que Nissan ne rachète 10% sur les marchés pour casser les droits de Renault. Nissan a nourri un dossier sur son président et le PDG de Renault, organisé ...

à écrit le 22/11/2018 à 15:45
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Vous avez devant vous le vrai visage de la mondialisation, alors ne pleurez ni sur le sort des uns ni des autres... On est parfois content de trouver l'Etat, mais les entreprises ne le rendent pas souvent (Etat = les citoyens/puissance publique). Ce ...

à écrit le 22/11/2018 à 14:58
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C'est un problème qui date de 3 ans. A l'origine Macron et sa participation 25 % avec double vote. On ne méprise pas comme ça les japonais qui ne pouvaient s'exprimer et ont pris peur. MACRON FOSSOYEUR DES GRANDES ENTREPRISES FRANCAISES en fai...

le 22/11/2018 à 16:37
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Pour mémoire en 1999 l'état Français possédait 44% de Renault !! Apparemment ça ne posait de probléme à personne au Japon à l'époque... Soyons lucide les 25% de macron ne sont qu'un prétexte. Et l'abandon des droits de vote de Renault à ce moment...

le 22/11/2018 à 17:22
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Avec le pacte de 2016, si l état privatise Renault, le pacte tombe t il et Renault recupee t il ses droits de vote chez Nissan ?

à écrit le 22/11/2018 à 14:08
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Cote Japon on est peut etre pas tres clair mais cote Francais non plus ,,,,nous ne saurons jamais la verite .Le tres peu democratique verrou de Bercy doit fontionner à fond ,,,,??? par contre il est clair que le salaire ENORME de mr GOSHN est finan...

à écrit le 22/11/2018 à 12:06
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C'est simple.Si Nissan et Mitsubishi n'avaient pas un plus grand Chiffre d'affaires que Renault et ne vendaient pas plus de voiture que Renault das le monde,jamais ils n'auraient essayé de débarquer C;Ghosn et de détruire l'alliance car ils étaient ...

le 22/11/2018 à 12:44
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Encore une fois c'est Carlos Ghosn lui même qui à semé les fruits qu'il récolte aujourd'hui. Mitsubishi à été racheté par Nissan sans que Renault qui possède quand même plus de 40% de ce dernier ne soit consulté ou associé à ce rachat... C'est...

le 22/11/2018 à 14:54
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@antoine92..... Qui a foutu le bordel... Après le coup de force de l'Etat français, les langues se sont déliées.... Si jusqu'ici, les Japonais ont su ronger leur frein, l'affaire de la montée de l'Etat dans la capital de Renault a délié les la...

le 22/11/2018 à 15:24
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C'est un fait M. Goshn a remis Nissan debout et il a été très grassement payé pour cela. C'est du passé, maintenant il est accusé de faits graves dont il devra répondre devant la justice s'ils sont avérés. Un ministre, un responsable politique ou un ...

à écrit le 22/11/2018 à 11:53
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Comment avec 44% du capital de Nissan, Renault ne peut plus aujourd'hui influer sur les décisions de sa filiale ? La vérité est que le le pacte de stabilité voté il y a deux ans en AG par Renault interdit à ce dernier d'user de ses droits de vot...

à écrit le 22/11/2018 à 11:04
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Il est bien difficile pour le simple citoyen de démêler les fils de cette affaire faute de connaître la consistance de tous les éléments dont elle est tissée. Cela semble toutefois être une attaque en règle contre un groupe ont la prise de contrôle ...

à écrit le 22/11/2018 à 8:31
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Je suis frappé par la méthode agressive japonaise ! C'est un copié collé de l'agression US sur Alstom ! Collusion entre justice, services de renseignement, industriels peu scrupuleux (Nissan), médias, avec arrestation (véritable enlèvement) des diri...

le 22/11/2018 à 9:34
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Ce sont les méthodes américains ce qui atteste qu' en amont l' initiative est américaine .. Quand les politiques Young Leaders qui nous gouvernent seront effacés au profit de personnages défendant réellement les intérêts frança...

à écrit le 22/11/2018 à 8:30
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M.Saikawa, le Brutus, le désingueur de son patron, représenterait le futur de Nissan et de l'Alliance? Qui peut croire cela. Qui peut envisager un seul instant que la communication entre le management de Renault et Nissan puisse passer par un tel per...

à écrit le 22/11/2018 à 7:57
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65 ans, c'est un âge déjà trop élevé pour devenir PDG de Nissan. Et il faudrait que l'actionnaire Renault se réveille rapidement maintenant, sauf s'il veut tout perdre...

à écrit le 22/11/2018 à 7:44
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Bien vu de rappeler le rôle délétère de l’État français... Si la fusion n'avait pas été au centre des préoccupation de quelques politiciens déconnectés des réalités (sociales et industrielles), cela ne serait peut être jamais arrivé. Comme je l'ai di...

le 22/11/2018 à 17:23
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Je partage votre avis sur nos politicards et maintenant cela va se régler par la diplomatie entre état et les japonnais ne voudront pas perdre la face ! Quant à Carlos ghosn, il a servi de fusible devant une situation explosive face à Nissan. Situat...

à écrit le 22/11/2018 à 6:50
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Renault détenant 43% de Nissan, il doit pouvoir débarquer Saikawa.

le 22/11/2018 à 10:17
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Il paraîtrait que Renault a abandonné la possibilité de se servir de ses droits de vote correspondant aux actions de Nissan détenus .le roi est nu…

le 22/11/2018 à 21:02
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Certes mais là les hostilités ont été (r)ouvertes par le côté japonais. Le pacte de bonne conduite est donc caduc.

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