Salon de Genève : les doutes d'un secteur auto en pleine renaissance

Le marché automobile européen culmine à des plus hauts depuis la crise, nourrissant les profits record des constructeurs. Ceux-ci sont pourtant contraints de repenser leur industrie face aux nouvelles contraintes environnementales, mais également aux nouveaux modèles que vont permettre l'autonomie et la connectivité. A Genève, les constructeurs automobiles veulent montrer qu'ils sont désormais en ordre de bataille...
Les nouvelles normes CO2, la voiture autonome, la connectivité... La transformation du secteur automobile est déjà à l'oeuvre...
Les nouvelles normes CO2, la voiture autonome, la connectivité... La transformation du secteur automobile est déjà à l'oeuvre... (Crédits : iStock)

La crise est loin... Les constructeurs automobiles européens ont du mal à dissimuler leur enthousiasme : des ventes revenues aux niveaux d'avant-crise, des taux d'utilisation des usines proches de la saturation, de bons niveaux de finition et des marques premium en pleine forme... Les constructeurs automobiles affichent des chiffres d'affaires en hausse et de confortables marges de rentabilité, souvent à des niveaux historiques. En 2017, le marché a fini l'année sur une légère progression (+3,3%), mais il est repassé au-dessus des 15 millions d'immatriculations pour la première fois depuis dix ans.

Un marché solide

Cette performance reste toutefois très en retrait de celle enregistrée en 2016 quand la croissance avait été deux fois supérieure. Et ce ralentissement pourrait bien se confirmer en 2018 d'après François Jaumain, associé responsable du secteur automobile chez PwC : "nous restons prudents sur les perspectives 2018. Le Royaume-Uni va peser sur le marché, et les reprises des marchés espagnols et français vont ralentir".

De son côté, Guillaume Crunelle, directeur associé chez Deloitte et spécialiste du secteur automobile, se veut "raisonnablement optimiste" rappelant que "le coût du crédit est faible et l'énergie encore bon marché".

Mais cette perspective reste négligeable tant les fondamentaux paraissent solides. "Le marché s'est largement assaini. Les niveaux de production sont adaptés à la demande avec un taux d'utilisation usines supérieur à 80%, ce qui écarte le risque d'une guerre des prix comme au début des années 2010", estime François Jaumain.

"Les constructeurs sont plus solides qu'avant la crise. Ils en ont tiré les leçons. Les constructeurs automobiles français en sont le meilleur exemple. Ils ont travaillé leur gamme qui est plus étendue qu'il y a dix ans", selon Guillaume Crunelle de Deloitte.

Mise en examen

En réalité, les véritables défis qui inquiètent les constructeurs automobiles sont devant eux, et le salon de Genève sera essentiellement consacré à déminer le terrain avec un travail de pédagogie. Tout d'abord, ils vont tenter de prouver qu'ils ont pris très au sérieux leur mise en examen par l'opinion publique (et dans certains cas par la Justice) de leur stratégie environnementale. Le salon de Genève devrait ainsi être une nouvelle vitrine pour de nouvelles gammes de voitures électrifiées (hybride ou 100% électrique).

Toyota a été jusqu'à annoncer la disparition des motorisations diesel dans son catalogue européen avant la fin de l'année. Pour les constructeurs européens, cette annonce est un véritable pavé dans la marre. Ils estiment que le diesel reste ce qu'il y a de mieux pour limiter les émissions de CO2. D'ailleurs, ils font remarquer que celles-ci sont reparties à la hausse en 2017 en France et en Allemagne, du fait de la baisse des ventes de diesel.

Autre sujet délicat, les constructeurs devront également expliquer comment ils comptent gérer les nouveaux objectifs d'émissions de CO2 qui doivent entrer en vigueur en 2021. Ces normes sont très ambitieuses, et tous les constructeurs ne sont pas certains d'être dans les clous. Il s'en est d'ailleurs fallu de peu pour qu'Opel ne fasse une sortie de route si PSA n'avait pas dépêché en urgence ses ingénieurs pour rectifier le tir l'été dernier juste après l'avoir racheté.

De son côté, Mercedes est également inquiet. Son PDG, Dieter Zetsche a récemment déclaré "ne pas être certain d'être conforme en 2021". A cela, il faut ajouter la difficulté du changement de thermomètre. Car si les objectifs ne changent pas, c'est le protocole de calcul qui va être modifié puisque l'Europe va passer du NEDC (test en laboratoire) au WLTP (test en conditions réelles). Cité par Les Echos, Erik Jonnaert, secrétaire général de l'association européenne des constructeurs automobiles, estime que le passage à ce protocole va contraindre les objectifs d'environ 5% supplémentaires.

Une transformation "déjà à l'oeuvre"

Mais là encore, il pourrait encore s'agir d'une autre péripétie, somme toute surmontable pour cette industrie qui croule sous le cash, ne serait-ce que pour absorber des chocs de court terme. Le salon automobile de Genève pourrait en fait marquer le virage des constructeurs dans l'inéluctable transformation de leur métier.

"La tendance est lourde... La transformation du secteur automobile est déjà à l'oeuvre même si ses effets ne sont pas attendus avant 2025", explique François Jaumain du cabinet d'audit PwC.

Le diagnostic est grave. Le développement des nouvelles mobilités (autopartage, covoiturage...) mais également de la voiture autonome, et enfin de la connectivité vont totalement révolutionner le rapport à l'automobile. Les voitures seront plus partagées et l'autonomie ouvrira le champs des possibles en termes de contenus. Et nous ne sommes qu'à l'aube de cette révolution !

Pour François Jaumain, "seul 1% des déplacements sont effectués sous des formes de mobilités partagées", mais cette part devrait atteindre le tiers des déplacements à horizon 2030. Ce marché est immense puisque dans le même temps, les besoins de mobilités, eux, vont continuer à progresser de 20 à 25% d'ici 2025, toujours d'après PwC. Le cabinet d'audit récuse d'ailleurs l'idée qu'il y aura moins de voitures vendues. D'après une étude récente de PwC, les voitures seront beaucoup plus utilisées du fait de leur partage, leur taux de renouvellement sera alors beaucoup plus élevé. Il n'empêche! Les constructeurs vont devoir revoir leur modèle économique de fond en comble.

" Pour les constructeurs automobiles, le statu quo n'est pas une option. C'est une lourde menace qui pèse sur eux. Ils devront se positionner en amont et aval, c'est à dire dans la production de voitures mais également dans le déploiement de nouveaux services. Car l'enjeu, c'est le déplacement de la valeur", explique François Jaumain.

Ainsi, la valeur risque de se déplacer de la voiture en tant qu'objet vers tout ce que celle-ci peut proposer comme services. C'est cette valeur que les constructeurs ne veulent pas abandonner à d'autres acteurs, au premier rang desquels les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

"Les efforts en R&D des constructeurs automobiles en matière de mobilités mais également de connectivité sont sans précédents", observe François Jaumain.

Il n'y a plus un groupe automobile européen qui n'a pas son incubateur de start-up, ou une branche consacrée aux nouvelles mobilités. Chez PSA, c'est Free2Move. Mercedes et BMW seraient en discussion pour fusionner leur filiales de nouvelles mobilités qui comptent déjà des millions d'utilisateurs.

Renault à l'offensive

De son côté Renault, a opéré un virage assez récent. La démarche ne s'en veut pas moins intensive puisque la marque au losange a multiplié les rachats dont celui des VTC Marcel, après l'application britannique Karhoo. A Genève, Renault devrait d'ailleurs faire de nouvelles annonces, notamment en précisant sa stratégie. En novembre, le groupe emmené par Carlos Ghosn avait surpris le secteur avec sa prise de participation de 40% dans le groupe de magazines Challenges. Aucune marque automobile ne s'était alors aventurée dans le secteur des contenus. Et pourtant... Après les nouvelles mobilités, la maîtrise des contenus pourrait bien être la seconde étape. Or, sur ce chemin, la route des constructeurs pourraient être entravée par les GAFA.

Lire aussi : Challenges-Renault: les vrais enjeux d'un rachat inattendu

Avec CarPlay (Apple) et AndroidAuto (Google), ils ont déjà pris une longueur d'avance sur les constructeurs automobiles. BMW a également laissé entrer le loup dans la bergerie en incorporant Alexa, le service d'intelligence artificielle d'Amazon, dans ses nouveaux services de mobilité. Si les GAFA avaient laissé planer le doute il y a quelques années, il semble qu'ils aient définitivement abandonné l'idée de construire leurs propres voitures. Leur stratégie vise à mettre la main sur un univers de service que les constructeurs automobiles ne sont pas parvenus à préempter.

La partie s'annonce serrée, mais les jeux ne sont pas faits. Et il y a une bonne nouvelle, selon Guillaume Crunelle, "les constructeurs automobiles européens sont particulièrement bien placés pour négocier ce virage".

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 07/03/2018 à 11:53
Signaler
L'automobile thermique arrive à son terme, mais je doute que l'automobile electrique prenne le relais en voyant qu'aucun investissement n'est réalisé pour produire l'électricité supplémentaire nécessaire. Les infrastructures routières détériorées et ...

à écrit le 06/03/2018 à 18:32
Signaler
Article un peu trop optimiste , pour vendre la plupart des constructeurs bradent leurs modèles ou ont recourt à la LLD . L'aspect positif se trouve dans le plaisir de conduire les nouveaux moteurs essences turbo , le consommateur cependant reste pris...

à écrit le 06/03/2018 à 18:30
Signaler
Bidon, la révolution des mobilités; ce n'est pas sérieux de parler de MILLIONS d'utilisateurs des filiales mobilités de BMW et Mercedes; comment vérifiez-vous vos infos M. Bourassi ??C'est l'intox des GAFA et ça marche...en désinformation. La voiture...

à écrit le 06/03/2018 à 14:23
Signaler
Un marché solide blablabla....des contraintes environnementales...blablabla....certes...mais les catalogues des constructeurs sont remplis de voitures diesel...et les quelques voitures hybrides familiales qui existent sont hors de prix....à part cel...

à écrit le 06/03/2018 à 12:43
Signaler
Le diesel a encore de belles années devant lui et les voitures électriques restent limitées à une clientèle aisée et urbaine très minoritaire en terme d'achat chez les constructeurs...

à écrit le 06/03/2018 à 12:43
Signaler
Le diesel a encore de belles années devant lui et les voitures électriques restent limitées à une clientèle aisée et urbaine très minoritaire en terme d'achat chez les constructeurs...

à écrit le 06/03/2018 à 11:11
Signaler
Renaissance ? En plein troisième reich oui certainement... : "Des chercheurs (financés par Volkswagen, Daimler et BMW) auraient fait inhaler des gaz d'échappement à des cobayes humains" https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/automobil...

le 06/03/2018 à 14:19
Signaler
Les Pays-Bas l'ont fait avant les allemands. Ne pas oublier d'en parler aussi. Ne pas prendre que les dernières nouvelles mais remonter à la source de ces expérimentations (suite à des procédures agréées déontologiquement (NL)). Espérons qu'ils ne f...

le 06/03/2018 à 16:01
Signaler
"Les Pays-Bas l'ont fait avant les allemands" Et du coup il est évident que c'est forcément une bonne idée, non où donc ai-je la tête ? "Ne pas oublier d'en parler aussi." Les pays bas sont moins touchés par le génocide du troisième reich...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.